Avant même d’être officiellement publié, des médias ont réussi à se procurer le «Rapport final» du Groupe d’experts créé par la résolution 2374 (2017) du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Mali et renouvelé en application de la résolution 2484 (2019). Un document explosif de 40 pages contenant des accusations extrêmement graves contre la hiérarchie militaire et la Direction générale de la Sécurité d’Etat (DGSE) dont les responsables sont nommément accusés de se livrer au trafic de drogue qui permet aux réseaux terroristes de financer leurs activités.
Les accusations des experts de l’ONU, qui sont d’une extrême gravité, méritent donc l’éclaircissement nécessaire pour éviter de déstabiliser davantage un pays qui se cherche entre les menaces terroristes et l’instabilité institutionnelle programmée par une classe politique en panne d’idées pour conquérir le pouvoir.
«L’un des aspects de la cooptation des groupes armés par le gouvernement est lorsque les agents de l’État tolèrent et protègent activement leurs entreprises criminelles en échange d’argent», a dénoncé le Groupe d’experts des Nations unies dans leur «Rapport final» remis au Conseil de sécurité le vendredi 07 août 2020 et qui n’a pas été encore officiellement publié.
«Par exemple, les paiements de Mohamed Ould Mataly (MLi.008) au service de sécurité de l’État malien ont lancé un appel aux autorités nigériennes pour qu’elles libèrent les trafiquants de drogue arrêtés en avril 2018. Le célèbre trafiquant d’êtres humains, Baye Coulibaly, bénéficie de la protection de la Sécurité d’État… Des Forces qu’il paie lors de la prise en charge des migrants arrêtés pour les exploiter davantage et même les utiliser pour le recrutement dans des groupes armés», chargent les experts.
Autrement, ces experts accusent le Directeur général de la S.E (et son adjoint) d’avoir reçu des payements mensuels pour protéger la mafia de la drogue. Un avion de l’armée aurait même été utilisé pour convoyer la drogue. La S.E est également accusée de vendre les places dans le cadre du DDR.
Pis, le rapport impute au Général Kéba Sangaré la responsabilité de l’attaque du 14 février 2020 dans le village d’Ogossagou où 35 civils de la communauté peul ont été tués, y compris des femmes et des enfants âgés d’à peine 4 ans. «Les meurtres ont été perpétrés après qu’une unité de l’armée malienne qui, à la demande du président du Mali, avait été spécifiquement chargée de protéger les habitants d’Ogossogou Peul, à la suite d’un premier massacre de 160 civils le 23 mars 2019 au même endroit, avait quitté son poste avant l’arrivée de son unité de remplacement»,ont déploré les experts de l’ONU.
Au-delà du doute sur la crédibilité de ce rapport, nous nous sommes posés beaucoup de questions après avoir lu la copie que nous sommes parvenus à nous procurer. D’abord pourquoi maintenant où le pays est presque paralysé par une crise sociopolitique ? Comment expliquer la fuite d’un document si important le lendemain de sa remise au Conseil de sécurité ?
Quand le haschich menace la mise en œuvre de l’Accord
Le timing de cette fuite est tout sauf fortuit. Et l’exploitation qu’en font certains médias ou activistes ne laissent planer aucun doute sur leurs objectifs : Fragiliser le pouvoir politique, la hiérarchie militaire et la Sécurité d’Etat en les discréditant aux yeux de l’opinion nationale.
Ces médias se sont par exemple gardés de faire allusion aux passages du rapport qui indexe aussi des groupes armés. «L’implication des groupes armés dans le crime organisé continue d’évoluer principalement autour du transport de haschich, conduisant à des affrontements meurtriers pouvant constituer des violations du cessez-le-feu et menaçant la mise en œuvre de l’Accord, en vertu duquel les parties s’engagent à lutter conjointement contre le crime organisé», ont pourtant également dénoncé les experts qui, une fois de plus, indexent «le réseau criminel» de Mohamed Ben Ahmed Mahri (MLi.007), également connu sous le nom de Rouggy.
Outre les drogues, a dénoncé le rapport, «le commerce illicite de marques de cigarettes introduites au Sahel à partir des Émirats arabes unis risque principalement de financer des groupes armés au Mali qui compromettent la mise en œuvre de l’Accord, comme l’a fait par le passé la marque américaine Legend produite en Grèce. Cela représente également des millions de dollars de pertes de revenus pour les Etats de la région».
Nos confrères français et des activistes à la solde du diable font semblant comme si les faits reprochés à certains officiers dans les massacres du centre sont couverts d’impunité. Ils se gardent ainsi de dire que, à la suite de l’attaque du 14 février à Ogossagou, le président IBK a suspendu le Général Kéba Sangaré en tant que commandant du Quartier général des forces conjointes pour les opérations dans la région centrale. Et, en mai 2020, il a également été remplacé en tant que chef d’état-major de l’armée de terre.
Une menace lourde de conséquence pour être traitée à la légère
Par rapport aux accusations contre la DGSE, elles ont été démenties par celui qui serait son principal allié, Mohamed Ould Mataly (député et membre de la Plateforme). Accusé d’avoir régulièrement versé de l’argent au Général Moussa Diawara et au Colonel Ibrahima Sanogo (jusqu’en juillet 2018 au moins), en échange de la protection des autorités maliennes accordée à un groupe de trafiquants démantelé au Niger, ce dernier a nié en bloc ces accusations.
Mais, les réfutations d’un «trafiquant» ne sauraient aujourd’hui laver l’honneur de nos officiers. Et cela d’autant plus que les accusations sont graves et portent un préjudice énorme à l’image de notre pays. Comme, l’a souligné un observateur, «si le Mali est un pays sérieux, la justice malienne doit se saisir de ce dossier ! Si c’est avéré c’est une haute trahison ! Une armée gérée par des narcotrafiquants, c’est très inquiétant» !
Il ne s’agit pas seulement de balayer ses graves accusations d’un revers de la main. Il est important de tirer les choses au clair pour non seulement se faire une idée de la véracité des faits et situer les responsabilités. Une armée et un service de renseignement aux ordres des narcotrafiquants est une menace lourde de conséquence pour être traitée à la légère.
Le drame vécu par les Bissau Guinéens depuis des décennies doivent nous amener à prendre conscience de la gravité de ces accusations. Les cartels sud-américains de la drogue ont été accusés d’être impliqués dans le double assassinat du président João Bernardo «Nino» Vieira, quelques heures après la mort du chef de l’armée dans un attentat à la bombe dans cette ex-colonie portugaise.
Depuis la disparition d’Amílcar Cabral (héros révolutionnaire assassiné après plus d’une décennie de guérilla), un an avant que le pays n’obtienne son indépendance du Portugal en 1974, ce pays est constamment au bord du chaos. Avec cette instabilité et cette incertitude en toile de fond, ont noté des observateurs, «de nouvelles questions se posent sur le trafic de drogue. A l’heure actuelle, personne ne sait combien de cocaïne entre sur le territoire, si les politiciens et les militaires sont toujours impliqués et si les barons de la drogue exercent encore un contrôle sur l’État».
Et au Mali, on a encore à l’esprit les ravages de l’histoire de «Air Cocaïne» (Un avion-cargo rempli de cocaïne a atterri en plein désert en 2009 avant que l’équipage et le chargement ne se volatilisent). Pour de nombreux observateurs cette affaire, que Koulouba a tenté d’étouffer dans un premier temps, à précipité la fin du régime d’Amadou Toumani Touré dit ATT.
Pour l’image de notre pays et pour l’honneur des personnes incriminées, dont des officiers supérieurs, il est important que toute la lumière soit faite sur ces graves accusations. Le meilleur parti que le régime d’IBK peut tirer de cette embarrassante situation c’est de tirer les choses au clair, d’établir la vérité.
Moussa Bolly