Les juges de la Cour pénale internationale ont assoupli les conditions de la liberté accordée à l’ancien président ivoirien et à son ex-ministre.
A l’heure où l’Europe se déconfine, Laurent Gbagbo voit s’élargir ses possibilités de déplacement. Peut-être même pourra-t-il célébrer ses 75 ans, le 31 mai, en dehors de Bruxelles et de sa banlieue, dans laquelle il s’est installé peu après son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) en janvier 2019. Jeudi 28 mai, dans l’attente qu’une décision soit rendue sur l’appel introduit par le bureau de la procureure, les juges de la CPI ont assoupli les conditions de la liberté accordée à l’ancien président ivoirien et à son ex-ministre, Charles Blé Goudé, le chef des Jeunes Patriotes, avec lequel il était accusé de « crimes contre l’humanité » commis durant la crise post-électorale de 2010-2011.
Ce n’est pas encore la liberté pleine et entière demandée par leurs avocats mais, désormais, les deux hommes devraient pouvoir retrouver leurs passeports, saisis lors de leur arrestation et très certainement périmés depuis, et ne seront plus soumis à l’interdiction de « se déplacer en dehors des limites de la municipalité dans laquelle ils résident dans l’Etat d’accueil ».
« Chaînon manquant de la réconciliation »
Laurent Gbagbo peut quitter la villa en Belgique dans laquelle il a emménagé avec sa compagne, Nady Bamba ; Charles Blé Goudé, l’hôtel de La Haye aux Pays-Bas, où la Cour le prend en charge, mais leur réinstallation éventuelle ne pourra se faire que dans un pays signataire du Statut de Rome et avec le concours du greffe de la CPI. La Côte d’Ivoire est l’un des 123 Etats parties au traité et si les deux anciens dirigeants ont formulé publiquement ou laissé entendre par leur entourage respectif leur désir de regagner leur pays d’origine, ce retour devrait encore attendre.
« Revenir dans son pays est son droit le plus fondamental et nous allons nous y employer dès aujourd’hui », prévient Franck Anderson Kouassi, le porte-parole du Front populaire ivoirien (FPI), qui voit dans la décision de la justice internationale « une clé supplémentaire pour débloquer le processus de réconciliation, dont Laurent Gbagbo est le chaînon manquant. »
Depuis sa sortie de cellule en février 2019, Laurent Gbagbo n’a jamais fait part publiquement de ses intentions. Mais, alors que le premier tour de la prochaine présidentielle demeure fixé au 31 octobre 2020, ses plus fervents partisans continuent d’espérer une candidature qui, pensent-ils, lui permettra de reconquérir ce fauteuil qu’il avait dû céder le 11 avril 2011 sous les bombes de la rébellion ralliée à Alassane Ouattara, de l’armée française et des casques bleus des Nations unies.
Le souhaite-t-il aussi ? Une chose est sûre : M. Gbagbo est désormais un homme très courtisé. Preuve de la volatilité des alliances politiques ivoiriennes, il est depuis plus d’un an dragué par son ancien adversaire, l’ex-président Henri Konan Bédié, avec lequel une entente politique a été conclue en vue d’un désistement, en cas de second tour, au profit du candidat du parti le mieux placé. L’ex-chef rebelle Guillaume Soro, qui fut pourtant l’un des artisans de sa chute, ne cesse de lui faire les yeux doux depuis qu’il est en rupture de ban avec l’actuel pouvoir ivoirien, qu’il a contribué à installer.
Reste que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé n’en ont pas fini avec la justice. Internationale, tout d’abord. Les deux hommes demeurent interdits de se prononcer sur l’affaire toujours en cours et doivent se présenter devant la CPI lorsque celle-ci l’ordonne. Par ailleurs, d’ici la mi-juin, ses juges doivent tenir une audience concernant la procédure d’appel déposée par la procureure Fatou Bensouda. Leur réponse pourrait intervenir avant les vacances judiciaires de l’été ou à la rentrée.
« Ils seront accueillis »
En Côte d’Ivoire, ensuite, où les deux hommes ont été tous deux condamnés par contumace à vingt ans de prison. Laurent Gbagbo en 2018 pour l’affaire dite du « braquage » de l’Agence nationale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bécéao), et Charles Blé Goudé en décembre 2019 pour des « actes de torture, homicides volontaires et viol », commis eux aussi durant la crise post-électorale.
Selon une source proche des autorités ivoiriennes, l’interdiction faite à MM. Gbagbo et Blé Goudé d’entrer en contact avec des témoins de la procureure pourrait également être utilisée pour empêcher leur retour. « Ils n’ont pas vocation à devenir apatrides, mais, en revenant en Côte d’Ivoire, ils seront au milieu des victimes », dit-elle pour alerter sur les possibilités que ces anciens chef de l’Etat et ministre puissent faire pression sur des témoins.
Pour l’heure, les autorités ne sont guère disposées à ouvrir la porte à un retour de ces deux hommes. « Il n’y a rien à négocier avec eux. S’ils reviennent, ils seront accueillis », plaisante une source sécuritaire, sous entendant que les deux hommes pourraient être arrêtés une fois revenus dans leur pays. Soucieux de s’assurer une succession contrôlée à travers son premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, Alassane Ouattara n’a certainement aucun désir de voir le « Boulanger d’Abidjan », surnommé ainsi pour sa capacité à rouler ses adversaires dans la farine, et le « Général de la rue », pour son aptitude à mobiliser les foules, venir refouler le sol ivoirien avant la présidentielle.