Après avoir récemment dépassé l’Union européenne, dans ses anciennes frontières incluant le Royaume-Uni, le monde francophone compte désormais 524 millions d’habitants. Une progression essentiellement due à l’Afrique francophone, dont l’émergence démographique et économique mériterait davantage d’intérêt de la part des pays francophones du Nord, et notamment de la France.
En se basant sur les statistiques démographiques détaillées publiées en juillet dernier par le PRB (Population Reference Bureau), organisme privé américain et une des références mondiales en matière de démographie, la population du monde francophone, qui avait atteint la barre des 500 millions d’habitants fin 2018, peut être estimée à 524,0 millions au 1er janvier 2021. Soit une hausse de près de 2,3 % sur un an (512,3 millions début 2020), et une population désormais supérieure à celle de l’ensemble constitué par l’Union européenne et le Royaume-Uni (515,8 millions).
524 millions d’habitants début 2021
Cette estimation correspond à la population du monde francophone dans sa définition géographique la plus stricte et la plus sérieuse, qui ne tient compte que des pays et territoires réellement francophones, dans lesquels la population est en contact quotidien avec la langue française, et où l’on peut donc « vivre en français ». Un ensemble qui rassemble 33 pays répartis sur quatre continents, et dans lequel ne sont ainsi pas comptabilisés les territoires non francophones de pays comme la Belgique, la Suisse ou le Canada, tout comme un certain nombre de pays membres à part entière de l’organisation internationale de la francophonie (OIF), mais ne remplissant pas les critères nécessaires afin de pouvoir être considérés comme francophones (tels que le Liban, la Roumanie ou encore le Rwanda). Et ce, en vertu du fait que le français n’y est pas, seul ou avec une langue locale partenaire, la langue de l’administration, de l’enseignement pour l’ensemble de la population scolaire (au moins à partir d’un certain âge), des affaires et des médias (ou au moins la langue maternelle de la population, sous sa forme standard ou sous une forme créolisée, un peu comme l’arabe dialectal par rapport à l’arabe standard dans les pays du Maghreb).
Dans ce vaste espace, qui s’étend sur près de 16,3 millions de km2, soit près de quatre fois l’Union européenne tout entière (et auxquels s’ajoutent de vastes zones économiques exclusives maritimes – ZEE, dont celle de la France, seconde plus grande au monde avec ses près de 10,2 millions de km2), les cinq premiers pays francophones sont aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC, 91,1 millions d’habitants), la France (67,9 millions, territoires ultramarins inclus), l’Algérie (44,8), le Maroc (36,8) et Madagascar (28,1). Vient ensuite la Côte d’Ivoire, en sixième position (26,5 millions).
Avec une croissance démographique de 2,3 % en 2020, le monde francophone constitue l’espace linguistique le plus dynamique au monde, devant l’espace arabophone (2,0 %, et 454 millions d’habitants *), et avait dépassé en 2012 l’espace hispanophone dont la population est aujourd’hui estimée à 470 millions d’habitants (+ 1,0 %). Cette croissance devrait demeurer supérieure à celle des autres espaces linguistiques, et porter la population de l’ensemble francophone à un peu plus d’un milliard d’habitants en 2060. Le rythme de cette progression démographique est toutefois sur une tendance baissière, principalement du fait de la baisse continue du taux de fécondité en Afrique subsaharienne francophone, qui s’établit désormais à 5,5 enfants par femme contre 7 enfants en 1975 (cette diminution progressive étant encore masquée par les conséquences démographiques de la hausse de l’espérance de vie). Au passage, il convient toutefois de rappeler que l’espace francophone demeure assez largement sous-peuplé, même en tenant compte des territoires désertiques ou recouverts par de denses forêts équatoriales. À titre d’exemple, sa population actuelle est à peu près égale à celle de l’ensemble Union européenne – Royaume-Uni, qui est pourtant réparti sur une superficie près de quatre fois moins étendue.
Par ailleurs, il convient aussi de rappeler que le chiffre de 300 millions de francophones fréquemment avancé par l’OIF, ne correspond à aucune réalité géopolitique ou économique (la population totale d’un pays ou territoire francophone étant le seul critère à prendre en compte pour évaluer l’importance d’un marché). De même, il est également largement inapproprié d’un point de vue social pour la simple raison que de nombreuses choses de la vie courante se font en français dans les pays et territoires francophones, où l’ensemble de la population est en contact quotidien avec la langue française, y compris dans les zones les plus reculées et dans lesquelles le pourcentage de personnes ayant une bonne maîtrise de la langue française est moins élevé (médias, internet, administration publique, documents commerciaux et comptables…).
Toute statistique ne tenant pas compte de l’ensemble de la population des pays et territoires francophones, et diffusée à un large public (au-delà, donc, de certains hauts fonctionnaires, notamment au sein de l’Éducation nationale en vue d’aider à l’élaboration des politiques d’enseignement et de scolarisation), n’a donc pour seule et unique conséquence que d’induire en erreur les acteurs et décideurs économiques et politiques, ainsi que l’ensemble de la société civile, en dévalorisant considérablement à leurs yeux le monde francophone et la langue française.
L’émergence démographique et économique de l’Afrique francophone
La progression démographique du monde francophone résulte essentiellement du dynamisme de l’Afrique francophone, qui croît actuellement à un rythme annuel de 2,7 % (3,0 % pour sa partie subsaharienne). Ce vaste ensemble de 25 pays rassemble désormais 430 millions d’habitants (ou 82,0 % de la population de l’espace francophone) contre seulement 74 millions en 1950, soit à peu près autant que l’Allemagne seule, à ce moment-là (69,5 millions). Cette même année, la population du monde francophone était d’ailleurs estimée à seulement 128 millions d’habitants, soit quatre fois moins qu’aujourd’hui.
Ce dynamisme de l’Afrique francophone se traduit notamment par la montée en puissance des villes africaines, qui occupent désormais huit des dix premières places du classement mondial des métropoles francophones. À partir des dernières données publiées par l’ONU, dans son rapport « Les villes du monde en 2018 », la capitale congolaise, Kinshasa, conforte sa position au sommet du classement avec une population pouvant être estimée à 14,6 millions d’habitants au 1er janvier 2021, et creusant ainsi considérablement l’écart avec la capitale française, Paris (11,1 millions). Suivent ensuite les agglomérations d’Abidjan (5,3 millions), de Montréal (4,3 millions), de Yaoundé (4,0), de Casablanca (3,8), de Douala (3,7), d’Antananarivo (3,4), de Dakar (3,2) et de Ouagadougou (2,8). Cette dernière viendrait ainsi de ravir la dixième position à la ville d’Alger (2,8 millions), ville « arabo-berbéro-francophone » à l’instar de Casablanca, et qui occuperait désormais la 11e place du classement. Il est également à noter que la capitale haïtienne, Port-au-Prince, arrive juste après en occupant la 12e place (2,8 millions également, après arrondissement). Au cours de l’année 2020, Haïti est d’ailleurs redevenu le pays le plus peuplé de la Caraïbe, avec 11,5 millions d’habitants et devançant Cuba, dont la population est en constante baisse. Il retrouve ainsi une place qu’il avait perdu il y a un peu plus de deux siècles, au cours de la première décennie du 19e siècle.
Mais cet essor démographique s’accompagne également d’un grand dynamisme économique, et notamment en Afrique francophone subsaharienne qui constitue le moteur de la croissance africaine, en plus d’être globalement et historiquement l’espace le plus stable au sud du Sahara (avec le moins de conflits, de tensions ethniques, et une moindre criminalité). Ainsi, cet ensemble de 22 pays a enregistré les meilleures performances économiques du continent pendant sept des huit années de la période 2012-2019, avec une croissance annuelle de 4,4 % en moyenne (5,0 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), contre 2,8 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Un dynamisme notamment dû aux nombreuses réformes accomplies par une majorité de pays afin d’améliorer le climat des affaires et de progresser en matière de bonne gouvernance, et qui est particulièrement important dans les pays de l’UEMOA (majeure partie de l’Afrique de l’Ouest francophone), qui continue à être la plus vaste zone de forte croissance de l’ensemble du continent (6,4 % en moyenne annuelle sur la période 2012-2019), en plus d’en être la zone la plus intégrée, devant la CEMAC (qui recouvre une partie de l’Afrique centrale francophone). Ces deux exemples d’intégration poussée, loin devant les autres ensembles régionaux, démontrent d’ailleurs que le panafricanisme est avant tout une réalité francophone.
Grâce à ces avancées, la Côte-d’Ivoire vient, par exemple, de dépasser le Nicaragua en termes de richesse par habitant, pour devenir le premier pays africain au sous-sol globalement pauvre de l’histoire à devancer un pays d’Amérique hispanique, avec un PIB par habitant de 2 286 dollars début 2020 (hors très petits États de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons). Une performance réalisée après avoir dépassé le Kenya, et surtout après avoir réussi l’exploit de devancer le Ghana et le Nigeria, deux pays voisins regorgeant de richesses naturelles, pour devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest (le Ghana est le premier producteur africain d’or et le quatrième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, tandis que le Nigeria est le premier producteur continental de pétrole. Tous deux étant à des niveaux de production de très loin supérieurs à ceux de la Côte d’Ivoire). La progression du pays résulte d’une croissance de 8,2 % en moyenne sur la période 2012-2019, soit la deuxième plus forte progression au monde de ces huit années (après l’Éthiopie, dont la performance s’explique principalement par le fait qu’elle était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012, et qui vient de connaître une guerre civile, fin 2020).
Cette croissance globalement assez rapide de l’Afrique francophone est par ailleurs soutenue par une assez bonne maîtrise de la dette publique, les pays francophones n’étant même qu’au nombre de deux parmi les dix pays les plus endettés de l’ensemble du continent (et n’arrivaient qu’aux 8e et 9e place début 2020, juste avant la crise sanitaire et selon les données révisées du FMI). Par ailleurs, il est à noter qu’il n’y a désormais plus qu’un seul pays francophone parmi les cinq pays les plus pauvres du continent (à savoir le Burundi, avec quatre pays anglophones que sont le Soudan du Sud, pays le plus pauvre du monde, le Malawi, la Somalie et le Soudan).
Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)