vendredi 29 mars 2024
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Kayes : les confidences d’une prostituée : (suite): « Des hommes en tenue qui sont censés nous protéger contre les sévices, venaient eux-mêmes nous forcer à coucher avec eux…» disait, la jeune prostituée sans défense.

Après notre dernière parution du jeudi 18 Mai 2017, nous vous proposons la suite de notre rédaction sur le phénomène de la prostitution faisant l’objet d’un trafic mafieux en région kayesienne. Ainsi, à la suite de l’interview de Gift, cette fillette de 16 ans qui s’est naïvement faite prendre au piège d’une trafiquante et vendue à une proxénète sans foi ni loi, ce qui la contraignit à vivre les pires frasques de sa toute jeune vie, notre périple nous a conduits vers une autre zone économique se trouvant à quelques encablures du Cercle de Kayes. Là, il fallait quasiment fermer les yeux ou se boucher les oreilles, pour éviter de voir ou entendre des choses aussi malsaines qu’offusquantes.
Arrivés là, nous avons rencontré Joice, une autre jouvencelle de 18 ans, exerçant le commerce du sexe depuis presque 03 ans. Cette jeune fille, apparemment très éveillée et semblant suffisamment mieux imbibée dans le milieu, ne nous a rien cachés. « Au début, ça n’a pas été du tout facile pour moi, mais avec un peu plus d’endurance et combativité, je m’en suis mieux sortie », lança-t-elle, l’air pleinement enjouée. Joice, à l’instar de Gift, a été vendue à un proxénète qui lui fit voir de toutes les couleurs. Mais contrairement à Gift qui désire retourner au bercail et poursuivre ses études après le versement intégral de sa caution d’un montant d’un million cinq cents (1.500.000) francs CFA, Joice, après avoir pris son « indépendance », a préféré rester au Mali pour faire prospérer son business. Ce qui semble lui avoir bien réussi, à en croire ses nombreux déplacements dans d’autres contrées de la région de Kayes jusqu’à la frontière du Mali d’avec le Sénégal où le plus vieux métier prospère à ciel ouvert et sans tabou. C’est entre autres, les localités de Diéma, Mahina, Diboli, Kidira, Sadiola, Loulou, Fadougou, Djidjan, Tabakoto, Gangonteri, Manantali, etc…
Prostitution : les horreurs d’un métier aux multiples facettes
Ainsi, Joice nous fit sa confession en ces termes : « En effet, je suis issue d’une famille très pauvre où même les trois repas journaliers étaient souvent vus comme un luxe. Par la faute de l’indigence, j’ai finalement abandonné les études, et ce, depuis l’âge de 13 ans. C’est ainsi que j’ai contracté, l’année suivante, une grossesse avec un copain du quartier qui a carrément fui ses responsabilités, m’abandonnant seule avec ma détresse. Pas besoin de vous détailler l’enfer que j’ai vécu durant ces neuf mois de conception aussi bien qu’après mon accouchement. C’est ainsi qu’un jour, une ancienne connaissance de ma mère se présenta à mes parents leur demandant de la laisser m’amener hors du pays et travailler avec elle comme assistante commerciale.
Sans même donner plus de précision, mon père donna son aval et j’étais moi-même enchantée par la proposition. Mon enfant, venant à peine de marcher, fut automatiquement abandonné entre les mains de ma maman, vu que je ne voulais, en aucun cas, laisser passer l’opportunité. Quelques jours après, nous nous sommes destinés vers le Mali où elle allait ensuite me vendre à un proxénète malien à Bamako, un homme bien connu dans le milieu et qui, à son tour, m’amena à quelques dizaines de kilomètres de Kayes. Jusque-là, j’ignorais ce qui se tramait. Arrivée dans cette localité et sans aucune forme de procès, il me montra le chemin de la prostitution en me donnant tous les détails sur la conduite à tenir, et ce, à son seul profit. Il menaça même de me tuer au cas où je tenterais une quelconque fugue. N’ayant aucun autre choix que de transformer mon corps en une marchandise sexuelle, j’ai alors commencé à me livrer aux hommes. A l’époque, étant donné que j’étais la plus jeune parmi les autres, j’ai commencé à avoir de l’affluence quasiment chaque soir devant ma chambre de passe. Ce qui m’attira la jalousie des autres livreuses de plaisir, jusqu’à me vouloir du mal.
Mais ce qui était encore pire, c’est que, lui-même (son logeur) venait plusieurs fois, tard dans la nuit, frapper à ma porte et vouloir coucher avec moi, et ce, dans un état d’ivresse insupportable, dans la majeure partie des cas où il me faisait subir sa fougue sexuelle. Des fois, également, lorsque ses amis venaient, il me demandait, toujours contre mon gré, de leur souhaiter la bienvenue en offrant à ceux-ci, le meilleur de mes recettes sexuelles. Et même quand certains de ces créanciers n’étaient pas contents de lui, jusqu’à vouloir souvent le convoquer devant une instance judiciaire, il s’arrangeait chaque fois à créer des rendez-vous de jambe-en-l’air entre ceux-ci et moi pour, dit-il, calmer leurs ardeurs. J’étais donc presque devenue un réservoir libidique, une vraie décharge sexuelle dans ce cabaret. Mais, il fallait tout faire pour vite retrouver mon autonomie et me soustraire à une monstruosité sans nom ».
Le commerce du sexe : un business suffisamment rentable au Mali
« Après de longs mois de calvaire, lorsque j’ai pu rassembler, en intégralité, la somme qu’il fallait pour régler ma caution, j’ai commencé alors à sillonner plusieurs zones où le métier prospère, et me faire une certaine renommée. Ce qui m’a permis en, quasiment un an après mon accession à l’autonomie, de faire de bonnes économies. En effet, ce métier prospère bien ici au Mali, car, il faut reconnaitre franchement que les hommes maliens sont, pour la plupart, de véritables affamés sexuels. Ils nous disent, très souvent, que nous leur faisons des trucs au lit dont sont incapables leurs propres femmes. Nombreux parmi ces hommes sont de vrais vicieux, d’insatiables bêtes sexuelles. Ils sont prêts à débourser toutes sortes d’argent pour expérimenter sur nous, tous leurs fantasmes sexuels, notamment, ceux qu’ils voient dans les films X. Ce que n’accepteraient pas forcément, leurs propres épouses. Je suis ainsi sollicitée même par des cadres de ce pays pour ce boulot et, des fois, jusque dans leur bureau. Car, certains, par peur pour leur image, évitent les hôtels et préfèrent me recevoir dans leur bureau, généralement pendant les heures de pauses ou au petit soir, après la descente. J’ai même, en ma possession, l’adresse de plusieurs de ces hommes de renom, tant civils que militaires. Dès qu’ils ont envie de s’envoyer en l’air, ils me contactent aussitôt et fixent un rendez-vous intime. Grâce à ce travail, j’arrive, aujourd’hui, à m’occuper de ma famille et financer les études de mes frères et sœurs depuis mon Nigéria natal, bien que personne dans ma famille, ne sache jusque-là, ce que j’exerce réellement comme profession, ici au Mali. Vu la situation économique combien instable, de ma famille, je compte encore me livrer à ce commerce jusqu’à ce que je puisse retourner au bercail avec suffisamment de garantie financière et m’assurer une vie socialement paisible ».
Il était exactement 11 heures 33 mn, lorsque Joice décida de s’apprêter pour se rendre dans la ville de Kayes pour un shopping. Ce qui coïncida avec l’arrivée d’Awa Tigana, une autre jeune professionnelle du sexe, âgée de 21 ans. A peine installée, celle-ci accepta également de nous livrer son témoignage, mais avec des yeux inondés de larmes et, chaque fois, de longues pauses, avant de continuer. Elle nous dit ceci : « En effet, il y a quatre ans de cela, mes parents m’avaient donnée en mariage forcé, à un homme qui était même plus âgé que mon père en raison de son aisance financière. Après des nuits de pleurs ininterrompus, j’ai alors décidé, un jour, de m’enfuir très loin du domicile conjugal pendant que mon vieux mari était absent. Ne sachant rien faire de mes dix doigts, je me suis vite destinée au commerce de mon corps. Ma virginité m’ayant été brutalement arrachée, je me suis donc dite que je n’avais plus rien à perdre dans la vie. J’ai donc commencé à me livrer à n’importe quel arrivant, comme une bête féroce, des fois même sans protection ».
La moralité salissante de certains hommes en tenue
« Ayez bien en tête, que ce monde est une vraie jungle, car, vous êtes, sans nul doute, exposés à toutes sortes de risques telles que maladies, agressions physiques, vols, violences verbales, meurtre… Dans la première zone où j’ai travaillé, et à une centaine de kilomètres de la ville de Kayes, il fallait faire face principalement à deux difficiles fronts : entre nous-mêmes travailleuses du sexe et les clients dont certains s’avèrent d’une barbarie inqualifiable. J’étais obligée de me protéger constamment avec des armes blanches, histoire de dissuader d’éventuels agresseurs. Des hommes en tenue qui sont censés nous protéger contre ces sévices, venaient eux-mêmes, chaque fois, nous forcer à coucher avec eux, notamment, des éléments de la Gendarmerie et la Garde Nationale. Même lorsqu’il nous arrive de solliciter leur intervention contre des malfrats, ils nous obligent, en retour, à leur donner du plaisir en allant souvent jusqu’à nous forcer à passer la nuit avec eux. Certains parmi ces corps habillés, venaient également nous faire l’amour sans rien payer en retour. Et quand tu refuses, ils te sortiront de ces menaces qui finiront bien par t’obliger à les accepter dans ton lit. Nous ne pouvions finalement compter sur eux qu’en contrepartie de sommes d’argent ou séances de jambe-en-l’air. C’est ainsi que deux ans après ma disparition, que je me suis retrouvée ici où je gagne bien ma vie. Jusqu’ici, je n’ai voulu garder aucun contact avec ma famille, car, j’estime que tous m’ont trahie et ont, d’une manière ou une autre, contribué à faire de moi, ce que je suis aujourd’hui. Je continue néanmoins de bien entretenir mon corps et faire beaucoup attention à ma santé sexuelle et reproductive car, je compte, un jour, refaire ma vie avec l’homme de mes rêves et fonder un foyer digne de ce nom ».
C’est sur ce vœu cher d’Awa Tigana, âgée de 21 ans, que nous bouclâmes la série des témoignages sur le monde des travailleuses du sexe. Un univers soutenu par la citadelle d’un réseau mafieux, un trafic aussi prolifique qu’humainement dégradant, sévissant, notamment, en zone kayesienne. Voici après un long périple, le vrai visage ou les vraies réalités d’une pratique très souvent passée sous silence, par les autorités du pays aussi bien que les médias.
Si, en théorie, la nation compte sur les forces vivent qui la composent, notamment, la jeunesse, il ne s’agira nullement d’une jeunesse malade, mal encadrée, engluée dans la débauche et qui n’ait d’yeux que pour les jouissances mondaines. Par ailleurs, lors de notre itinéraire, nous sommes parvenus à l’ultime conclusion, que la plupart des victimes de la prostitution et autres formes de perversion des mœurs, puise plutôt ses racines dans le déficit d’éducation et insuffisance de ressources vitales, en un mot, l’indigence matérielle. Chose essentiellement imputable à l’irresponsabilité de l’Etat et la démission parentale.
DILIKA LA SIRENE

Djibril Coulibaly

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