De mémoire d’homme, c’est la première fois dans l’histoire de la jeune démocratie malienne qu’il y ait autant de monde à un meeting politique au Mali. Tous les observateurs sont unanimes que la manifestation du 19 juin 2020 est celle qui a mobilisé le plus de foule que toutes les précédentes manifestations sous l’ère démocratique. Le Héros du jour s’appelle Mahmoud Dicko, Imam de son état, c’est grâce à son leadership, à son charisme et à sa droiture que les maliens sont sortis nombreux pour répondre à son appel à l’emblématique place de l’indépendance. L’Imam Dicko est incontestablement le leader politico-religieux le plus influent et le plus populaire du Mali. Son aura a dépassé aujourd’hui les seules frontières du Mali et s’érige désormais en acteur incontournable du jeu politique malien. Qu’est ce qui a rendu l’Imam Dicko célèbre ? Jusqu’où pourra-t-il aller ?
En deux petites semaines, le Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques, M5 RFP, sous le leadership de l’Imam Dicko, a mobilisé des dizaines et des centaines de maliens à la place de l’indépendance pour demander la démission du Président de la République à trois ans de la fin de son mandat pour incompétence à gérer le pays. Sans nul doute, c’est grâce à l’imam Dicko que plus de 80 % des manifestants sont sortis, car au Mali ils sont rares les leaders politiques qui sont en mesure de mobiliser. La question qu’on est en droit de se poser est celle de savoir comment un Imam pourrait-il descendre dans l’arène politique et chipé le leadership aux acteurs politiques traditionnels dont certains sont sur la scène politique depuis plus de 20 ans ? La réponse est à rechercher ailleurs, car les hommes politiques traditionnels sont très peu crédibles aux yeux de l’opinion, parce qu’ils sont pour la plupart versatiles et n’ont d’ambitions que pour la préservation de leurs intérêts personnels. Le nouvel acteur politique qui est l’Imam Mahmoud Dicko a su se forger une image, celle d’un défenseur des droits des plus démunis. Il n’a pas voulu troquer son manteau de défenseur des causes des plus pauvres contre des privilèges et autres espèces sonnantes et trébuchantes que certains leaders religieux et politiques s’empresseraient à faire pour ensuite se la boucler après. Pour arriver à cette posture de leader charismatique, l’Imam Dicko a parcouru un long chemin, souvent truffé d’embuches.
Qui ne se rappelle pas de son premier grand meeting au Stade du 26 Mars sous ATT, pour dénoncer le code de la famille et des personnes. Il s’est opposé à ce code au moment où tous les députés y compris IBK, avaient donné leur quitus. Nombreux sont les maliens à se rappeler de son intervention en tant que Président du Haut Conseil Islamique devant Amadou Toumani Touré lors d’une présentation des vœux à l’occasion du nouvel an à Koulouba. Sans détour, il a fustigé les comportements peu orthodoxes des dirigeants de l’époque, à commencer par le chef d’Etat lui-même. Il a mis ATT devant ses responsabilités face à la mauvaise gouvernance. Il jouait déjà le rôle de l’Opposition quand toute la classe politique s’est ralliée au régime ATT au non d’un consensus qui n’était rien d’autre qu’un partage de gâteau. Déçu par la gestion du régime ATT, il a pris fait et cause pour le candidat IBK en 2013 en s’affichant clairement avec ce dernier et en appelant la UMA islamique du Mali à voter pour lui. Au bout d’un an seulement il a commencé à reprocher des griefs à celui qu’il a toujours considéré comme son ami et frère, à savoir IBK, avant de combattre ouvertement sa gestion des affaires. Il s’est farouchement opposé à sa réélection pour un second mandat en 2018. Malgré tout il a été réélu difficilement car sa réélection a provoqué une crise post-électorale sans précèdent au Mali. A trois ans de la fin de son mandat IBK fait face à l’une des contestations les plus virulentes et les plus énormes. Cette fronde, menée par celui qui était hier son ami et frère l’Imam Mahmoud Dicko, a pris de l’ampleur avec beaucoup de ralliement.
Quant à l’imam Dicko, le héros du jour dans tous ses discours, il présente ses excuses au peuple pour le choix porté sur IBK en 2013, et s’est dit déterminé à combattre le régime d’IBK. Leader incontesté du Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques, l’imam Dicko passe aujourd’hui aux yeux de beaucoup de maliens comme le héros et le sauveur. C’est pourquoi il est crédité d’une confiance auprès des citoyens que nul autre acteur politique ou religieux ne jouit. Son passé plaidant fortement en sa faveur, il a la possibilité d’occuper toutes les hautes fonctions au Mali, mais il dit se limiter à son rôle d’imam et que son combat n’a d’autre signification que de voir son pays sortir des crises multidimensionnelles dans lesquelles il est plongé depuis belle lurette.
Youssouf Sissoko