REPORTAGEDans les territoires reculés du pays, les autorités burkinabées encouragent les civils à prendre les armes pour contrer les attaques terroristes. Plusieurs organisations de défense des droits humains pointent le « manque de transparence » entourant ces « volontaires pour la défense de la patrie ».
Ousséni est fier. Son visage s’illumine quand il contemple les petites collines de latérite rouge de Kongoussi, dans le nord du pays. La paix, cette tranquillité dont ce cultivateur burkinabé de 56 ans – il préfère que son prénom soit changé − n’osait plus rêver, est « enfin revenue » dans son village, situé à une vingtaine de kilomètres de là. Et s’il a recouvré la parole, après des mois de sidération et de honte, c’est parce qu’il se sent « victorieux » face aux djihadistes.
Tout a commencé il y a un an, le jour où ils ont débarqué dans son village et donné « soixante-douze heures » aux habitants pour quitter les lieux, faute de quoi ils reviendraient les tuer. L’ultimatum expiré, dix-sept personnes ont été exécutées. Ousséni, lui, a pu fuir, pour se réfugier avec sa femme et ses neuf enfants à Zimtenga, la bourgade la plus proche.
En trois jours, le même scénario s’est reproduit un peu partout dans cette province du Bam, confrontée à la menace terroriste. Quelque 20 000 déplacés ont fini par affluer à Kongoussi, le chef-lieu. La semaine suivante, ils étaient plus du double, entassés dans des abris de fortune ou dormant à même le sol. « On a alerté les forces de l’ordre à plusieurs reprises, mais personne n’est venu », poursuit Ousséni, vêtu d’un boubou violet. Fatigué de « mendier » pour manger, le paysan a décidé, au printemps, d’aller défendre lui-même sa terre. Et c’est ainsi qu’il est devenu VDP, « volontaire pour la défense de la patrie ».
Les ravages du terrorisme sont tels à travers le Burkina Faso – plus de 1 600 morts et 1 million de déplacés en cinq ans – que le gouvernement favorise depuis le début de l’année le recrutement de civils, armés et formés par les militaires. En juin, un rapport de l’Assemblée nationale estimait leur nombre à « plus de 2 000 ».
De la théorie à la pratique
Après des mois d’absence, Ousséni a donc fini par retourner dans son village, son vieux fusil de chasse à l’épaule. Une fois sur place, son cœur s’est serré, la peur l’a étreint. Les terres en friche, les maisonnettes désertes, ce silence de fin du monde… « Pas le choix, si nous ne le faisons pas, qui le fera ? », se convainc-t-il ce jour-là. Il commence par monter la garde avec une poignée de voisins et deux fusils. Au loin, des bruits de motos se font entendre. Les « terroristes », pense-t-il. « On a tiré pour leur faire peur, ils ont fait demi-tour et ne sont plus revenus. »
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