Moins d’un trimestre après son installation, les autorités de la transition malienne font face à une grogne sociale qui se radicalise. Ces dernières années, les mouvements de grève observés par différents corps dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest à revenu modeste et aux difficultés diverses ont engendré une énorme perte économique à l’État et aux citoyens.
Selon plusieurs observateurs, l’objectif naturel d’une transition est la préparation d’une opération électorale (générale ou singulière ) à l’issue de laquelle sortiront les autorités devant faire face aux obstacles d’ordre social, politique et économique ayant engendré la chute du régime précédent. Cette perception qui soutient les prétextes selon lesquels l’organe transitoire n’est pas obligé de traiter les problèmes de fond est à revoir. La limitation de la raison d’être d’un organe intérimaire à la mise en oeuvre du processus de rétablissement de l’ordre constitutionnel par l’organisation des opérations électorales constitue certes un mécanisme de préservation de la démocratie, mais ce cadrage doit aller avec le processus de refondation qui passe par les réformes. La grève de l’Union Nationale des Travailleurs du Mali qui seconde celle des administrateurs civils parmi près d’une vingtaine de préavis qui est vue par certains comme une tentative de déstabilisation de la transition doit être une opportunité à saisir par le gouvernement Moctar Ouane afin de mesurer l’ampleur des défis et de poser les jalons d’une politique administrative constante .
En analysant les différents préavis de grève, dont celui de la centrale syndicale (UNTM) ,on constate que le point principal demeure l’éternelle question de l’amélioration des conditions de travail .Un sujet dont le traitement superficiel comme effectué par les exécutifs précédents ne serait qu’un transfert de défis dans l’avenir. Pour apporter une solution constante à cette préoccupation, le secrétaire général de l’UNTM souhaite une harmonisation des grilles afin de restaurer l’égalité, l’équité et la non-discrimination entre les employés de l’État. Une harmonisation des grilles conduit à une réduction des disparités entre les niveaux de traitement salarial. Un membre de la centrale syndicale a pris l’exemple sur le salaire d’un enseignant débutant sur une antenne radio de la place qui empocherait selon lui 240 000 FCFA mensuel. Bien que cette affirmation ait été vivement dénoncée par des enseignants sur la toile, on devrait plutôt articuler le débat autour de la question de l’harmonisation qui est bien différente de l’uniformisation. Le principe de « travail égal, salaire égal » qui doit s’appliquer pour tous les travailleurs sans considération corporatiste permettrait certes de réduire ou de mettre fin à l’injustice entre les travailleurs de l’État – un germe de plusieurs mouvements de grève – mais son application ne doit pas frôler le cadre de l’objectivité afin de maintenir l’équilibre social. Dans un système administratif malien où coexistent les statuts, autonome, particulier et général, l’harmonisation des salaires nécessite des efforts importants de la part de l’État et bien sûr des travailleurs. En nous référant sur le statut autonome du magistrat qui semblerait le meilleur, l’alignement des autres fonctionnaires sur cela est délicat. Le magistrat n’est pas payé pour son diplôme, mais sur la base de la nature de sa fonction qui lui fait le détenteur du pouvoir selon la conjoncture salariale universelle .
La nécessaire résolution intelligente de la crise
L’option défensive que plaident certains à travers l’application de l’article 50 de la constitution du 25 février 1992 qui donnerait prérogative au Président de la transition de suspendre le droit à la grève est une réponse autoritaire et permettrait peut-être aux autorités de montrer ses muscles. La récente nomination de treize (13) militaires comme gouverneurs sur les vingt régions administratives alors que les administrateurs civils poursuivent leur grève illimitée semble le coup de départ même si elle donne un élan au processus de sécurisation du territoire. La suspension du droit à la grève a certes un habillage juridique en forme ; mais au fond, elle pourrait être un facteur de déplacement des défis sociaux devant l’autorité de l’après-transition d’une part et d’autre part instigatrice de la constitution d’un large front de contestation hétéroclite ouvrant ainsi la voie à une union entre la classe politique courroucée depuis la publication des deux décrets relatifs à la clé de répartition des 121 sièges du Conseil national de la transition et les trois grandes centrales syndicales à savoir l’UNTM, la CDTM, la CSTM et dont les deux dernières sont membres du M5-RFP, le principal mouvement tombeur du régime Ibrahim Boubacar Keita. Un danger à écarter ! La refondation d’un pays se passe par le traitement objectif des obstacles qui entravent son développement. Le présent blocage n’émane pas du hasard. Il est la suite de la réponse éphémère apportée par la partie gouvernementale aux différentes revendications des syndicats qui ont, aussi, lutté en rangs dispersés. Cette incongruité a occasionné l’inaffectivité dans la mise en oeuvre des points d’accord ou même le transfèrement des griefs dans un autre domaine syndical. Le gouvernement Moctar Ouane doit cette fois-ci mettre sur la table les options allant dans le sens de la désescalade continuelle en privilégiant les mécanismes d’anticipation et de résolution non concoctée des griefs sociaux.
D’abord, une réponse politique diligente doit être apportée aux revendications syndicales à travers une large ouverture à ceux-là dans la gestion des affaires publiques et bien sûr dans la constitution du Conseil national de la transition. Cette ouverture déjà demandée par l’UNTM dans son préavis de grève constitue un pas vers la pacification du front social et pourrait même favoriser l’adoption d’un pacte de stabilité sociale entre le gouvernement et les différentes organisations syndicales. Le gouvernement doit également rompre avec le système de déplacement des griefs en songeant aux possibilités de la mise en œuvre d’une grille générale évolutive avec un régime indemnitaire adapté qui va couvrir les statuts. La politique administrative malienne comme beaucoup de la sous-région a des imperfections qui engendrent l’injustice sociale. L’exemple des statuts autonomes ne dit pas le contraire. La perspective d’une grille générale qui pourrait réserver une ouverture à la magistrature et à l’armée doit être explorée. Elle permettra de rétablir l’égalité entre les agents de l’État, donc de réduire la liste des griefs servant de récupérations syndicales et politiques. L’accalmie sur le front social et politique est une condition sine qua non pour l’autorité intérimaire de jeter l’ancre d’un navire électoral pacifique, transparent et crédible au terme des 18 mois de la transition.
Secundo, l’échec des négociations à la veille des cessations concertées de travail n’émane pas souvent de la mauvaise foi des insurgés, mais de la porosité du dispositif d’évitement de grève. Le dépôt de préavis 15 jours avant la manifestation syndicale, l’observation du service minimum ou encore la retenue sur le salaire du gréviste ne constitue plus une barrière à l’activité. En France, aux premiers moments de son élection, l’ancien Président Nicolas Sarkozy a dû revoir la politique administrative française pour renforcer son dispositif d’évitement. Et le système,qu’il a adopté ,a fait ses lumières. Les autorités actuelles doivent se puiser de cette expérience en adaptant les législations en vigueur. Les nouveaux textes pourraient exiger aux parties, par exemple, une semaine de négociation avant le dépôt du préavis qui aussi ne doit être fait en moins de 15 jours avant le démarrage de l’activité. Cette démarche créera un cadre de concertation dissuasive entre les parties d’une part et d’autre part permettra à l’exécutif de bien adapter sa défense (argumentaires ou autres). La gestion objective des griefs sociaux est également une réponse importante pour réduire les risques de contestations sociopolitiques qui se terminent généralement, en Afrique, par l’intervention des militaires. Pensons-y !
Seydou Konaté