mercredi 27 novembre 2024
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Mort de George Floyd : l’Afrique oscille entre indignation et retenue

Le président du Ghana a été l’un des rares chefs d’Etat à condamner fermement le racisme aux Etats-Unis, aux côtés de stars du football ou de la musique.

Devant l’ambassade des Etats-Unis à Nairobi, au Kenya, quelques dizaines de manifestants brandissant des pancartes « Silence is violence ». Une pétition déposée à celle d’Accra, au Ghana, par une organisation défendant les droits des diasporas africaines, afin de demander à la justice américaine de se montrer exemplaire. Un petit groupe de courageux regroupés sous la bannière « Black Lives Matter », bravant la pluie à Lagos, au Nigeria, pour exprimer leur indignation. Effet coronavirus limitant les manifestations, crainte d’une répression policière ou simple distance avec l’événement… La mort de George Floyd, un Afro-Américain étouffé sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis, le 25 mai, n’a pour l’heure été suivie d’aucun rassemblement d’envergure sur le continent africain.

Les condamnations, les expressions de colère et les demandes de justice affluent en revanche sur les réseaux sociaux. Alors que l’Afrique officielle est souvent jugée d’une extrême timidité lorsqu’il s’agit de critiquer Washington, l’une des paroles les plus fortes est venue du président du Ghana. « Les Noirs sont choqués et consternés par le meurtre d’un homme noir non armé par un policier blanc aux Etats-Unis […] Ce n’est pas possible au XXIe siècle que les Etats-Unis, ce grand bastion de la démocratie, continuent d’être aux prises avec le problème d’un racisme systémique », a écrit Nana Akufo-Addo dans un communiqué publié sur Twitter et où apparaît le visage du défunt sur fond noir. Et de conclure : « Nous espérons que la mort malheureuse et tragique de George Floyd inspirera un changement durable dans la façon dont l’Amérique affronte les problèmes de la haine et du racisme. »

Bien que le Ghana, l’un des berceaux du panafricanisme lors de son indépendance, soit désormais un allié des Etats-Unis, d’autres figures de la classe politique locale ont exprimé leur consternation. Réputé pour sa verve, l’ex-président Jerry Rawlings a imploré sur les réseaux sociaux « chaque Américain à regarder la vidéo » de l’arrestation de George Floyd. « Comment est-il possible qu’un policier soit à l’origine d’une mort aussi violente et cruelle, qu’il étouffe avec son genou un homme noir jusqu’à ce qu’il ne bouge plus ? », demande-t-il avant de lâcher : « Honte à l’Amérique, honte aux Américains. »

« Des pratiques discriminatoires persistantes »

Dans un ton plus diplomatique mais non moins ferme, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a condamné dès le 29 mai « le meurtre de George Floyd […] aux mains d’agents des forces de l’ordre ». Alors que certains n’ont pas tardé à lui reprocher sa discrétion sur les répressions policières commises dans plusieurs pays africains, l’ancien premier ministre tchadien a profité de l’occasion pour se référer à « la résolution historique de l’OUA [l’ancêtre de l’UA] sur la discrimination raciale aux Etats-Unis », prise lors de la première conférence de l’organisation, en 1964 en Egypte, et pour réaffirmer « le rejet par l’UA des pratiques discriminatoires persistantes à l’encontre des citoyens noirs des Etats-Unis ».

Comme l’a rappelé Jeune Afrique en republiant son discours de l’époque, Malcolm X était alors au Caire, invité en tant qu’observateur, afin, disait-il, de « représenter les intérêts des 22 millions d’Afro-Américains dont les droits humains sont quotidiennement violés par le racisme des impérialistes américains ». Les mots du leader politique afro-américain à l’endroit des chefs d’Etat d’un continent encore porté par la vague des indépendances résonnent étrangement aujourd’hui : « En Amérique, nous sommes vos frères et sœurs, perdus depuis longtemps. Et si je suis ici, c’est uniquement pour vous rappeler que nos problèmes sont vos problèmes. Alors que les Afro-Américains se réveillent aujourd’hui, nous nous trouvons sur une terre étrangère qui nous a rejetés. Et, tel le fils prodigue, nous nous tournons vers nos frères aînés pour obtenir de l’aide. Nous prions pour que nos supplications ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. »

Si le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud, a conservé certains de ses vieux réflexes, forgés dans la lutte contre un oppresseur blanc, en enjoignant « tous les Américains et leur gouvernement à trouver une solution à l’amiable à l’impasse raciale » et en dénonçant « la valeur dangereusement faible qu’accorde la société américaine à la vie des Noirs », force est de constater que les dirigeants du continent n’ont finalement jamais été « les bergers de tous les peuples africains, partout dans le monde », souhaités par Malcolm X. Lorsque les pouvoirs s’expriment, comme au Nigeria, le conseil prudent l’emporte sur la solidarité d’épiderme. « Nous espérons que davantage d’efforts seront faits pour rétablir la confiance entre la police et les communautés noires. Nous demandons également que des incidents comme celui-ci ne soient plus jamais tolérés », a ainsi déclaré le porte-parole du président Muhammadu Buhari.

Les Africains, « principales victimes du racisme »

Figure de la défense des droits humains sur le continent, le Sénégalais Alioune Tine juge que « les Africains doivent bouger pour soutenir la lutte contre le racisme dans le monde, car ils en sont les principales victimes partout ». Des vedettes africaines du football, comme l’Egyptien Mohamed Salah ou le Sénégalais Sadio Mané, ont mis un genou à terre avant d’entamer leur match, tandis que le musicien Youssou Ndour a ajouté un « Stop Racism » à la photo de son profil sur les réseaux sociaux.

Pour le philosophe camerounais Achille Mbembe, « il n’existe pas un seul pays au monde où “l’homme noir” […] soit entièrement protégé du danger que représentent l’Etat et ses appareils, à commencer par la police », mais « un retour massif des diasporas sur le continent n’est pas la solution ». Selon lui, les Etats africains devraient constitutionnaliser « le droit au retour » pour ceux qui le souhaitent. L’intellectuel juge également que « les descendants africains disséminés dans le reste du monde seront éternellement en danger tant que l’Afrique n’est pas debout sur ses propres jambes et tant que ses filles et ses fils tiennent la nuque de leurs congénères sous leur botte ».

Le monde

Djibril Coulibaly

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