La vie humaine n’a pas de prix. Mais, s’il faut exposer celle des centaines ou des milliers de personnes ainsi que la stabilité d’un pays pour la garantir, cela ne peut naturellement que susciter des questions. Il est aussi vrai que les vies ne se valent pas et n’auront jamais la même valeur. Pour la liberté de Soumaïla Cissé, Sophie Pétronin et de deux Italiens (Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghali a obtenu la libération d’au moins 200 de ses prisonniers. Ainsi, entre 180 et 204 jihadistes ont été élargis et qui vont bientôt s’évaporer dans le Sahara pour préparer de nouvelles attaques contre nos armées et des attentats dont les civils sont généralement les principales victimes.
Suite à une longue négociation entre l’Etat malien et le Jamaat Nosrat al-Islam wal Mouslimin (Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans/GNIM), Soumaïla Cissé et la Française Sophie Pétronin et deux autres captifs (deux Italiens) ont recouvré la liberté le 8 octobre 2020 en échange de là celle d’au moins 200 jihadistes et d’une forte rançon estimée entre 10 et 20 millions d’Euros. Et il ne s’agit pas seulement d’hommes de main ou d’intermédiaires, mais d’au moins une dizaine de Jihadistes qui ont pouvoir décision dans cette organisation du mal.
Selon des témoignages concordants, il y a au moins trois figures du jihadisme au Sahel qui ont retrouvé la liberté à cette occasion. Il s’agirait du Mauritanien Abou Dardar, important chef local lors de l’occupation du nord du Mali par les islamistes et qui s’était rendu en 2014. Il y aurait aussi son compatriote Fawaz Ould Ahmed « Ibrahim 10 », proche conseiller de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar au sein du groupe Al-Mourabitoune, notamment impliqué dans des attentats contre un restaurant à Bamako et un hôtel de Sévaré (Mali) qui avaient fait 6 et 22 morts en 2016. Le 3e serait le Malien Mimi Ould Baba, soupçonné d’avoir organisé des attentats à Ouagadougou (Burkina Faso) et Grand-Bassam (Côte-d’Ivoire) en 2016, qui avaient tué 30 et 19 personnes, et pour lesquels il avait été inculpé par la justice américaine après son arrestation par des soldats français en 2017.
Dans le lot il y a aussi Abou Dardar qui a régné sur la ville de Douentza lors de l’occupation du nord du pays en 2012. C’est aussi le cas de Mahmoud Barry alias « Abou Yehiya » qui avait été arrêté en 2016 et qui est considéré comme l’un des chefs jihadistes de la région du Macina. Parmi ces criminels désormais en liberté dans la nature pour préparer leurs prochains coups foireux, il y a aussi Souleymane Barry (membre présumé de la Katiba Macina, active dans le centre du Mali) ; Yacouba Traoré (ex-membre de la police islamique) dont la principale mission a toujours été de ravitailler les cellules terroristes pour les aider à s’implanter dans le sud du pays.
Le nombre exact des terroristes est difficile à connaître d’autant plus que la libération de prisonniers n’a pas fait l’objet d’une communication officielle par notre pays. Mais, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM, l’alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda) a revendiqué sur l’application Telegram avoir obtenu la libération de 206 de ses membres. Et là aussi, on sait que les besoins de la propagande poussent ces groupes à toujours surévaluer leurs acquis, à gonfler les chiffres en leur faveur. Même si ce n’est pas la première fois que des prisonniers jihadistes sont libérés dans le cadre de négociations, « l’ampleur de ce mouvement est inédite » ont constaté de nombreux observateurs.
A qui profitent ces libérations ? Bien naturellement à la France pourtant très opposée à une quelconque négociation aves les « Jihadistes Maliens » pour les ramener dans le giron de la République laïque. Dans cette affaire, il ne faut pas avoir peur des mots, Soumaïla Cissé et les Italiens ne sont que le bonus d’une libération qui aurait dû également profiter à d’autres otages maliens (forces armées et de sécurité, administrateurs civils, enseignants) …
La preuve est qu’il est aujourd’hui prouvé que Soumy aurait pu être libéré bien avant, si la France ne s’y était pas opposée. Pour l’Elysée et le Quai d’Orsay, il n’était pas question de négocier quoi que ce soit si la priorité n’était pas la libération de l’humanitaire française.
Une « générosité » lourde de conséquences pour le Mali
Comme l’a confié à la presse nationale le chercheur Ibrahim Maïga, « cent jihadistes remis dans la nature, c’est quand même relativement dur à avaler pour les combattants, pour l’armée malienne…Quand on est dans l’une des localités affectées par le terrorisme (surtout au nord et au centre du pays) et qu’on entend cette information, il y a de quoi se poser des questions ».
Il est clair que ces dangereux détenus en liberté ne vont pas déposer les armes et se transformer en apôtre de la paix. Bien au contraire, ce soutien de leur hiérarchie qui les a imposés comme monnaie d’échange, va les requinquer. C’est donc une « victoire symbolique » pour le JNIM (GSIM) qui a merveilleusement profité d’une belle opportunité de créer plus « d’engouement » autour de lui. « L’idée derrière, c’est de montrer que le GSIM n’oublie personne, qu’il n’oublie pas ses hommes et qu’il est en mesure aussi de libérer ses hommes quoi qu’il en coûte », rappelle M. Maïga.
Et du coup, l’organisation récolte un beau pactole avec la rançon évaluée à 10 ou 20 millions d’Euros, soit plus de 6,6 à plus de 13 milliards de F Cfa. De quoi galvaniser les éléments et surtout s’équiper pour renforcer un arsenal militaire avec qui ceux de nos armées nationales ne soutiennent pas la concurrence.
En fournissant des éléments déjà expérimentés et une manne financière au JNIM, la France rallonge ainsi la durée de sa présence militaire au Sahel sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Une présence qui est pourtant dénoncée par les peuples de la région parce que son impact est loin d’être visible malgré la propagande médiatique autour des rares faits d’armes.
Nous pensons que, si besoin en était encore, que le processus de libération de Sophie, pardon Mariam Pétronin (devenue musulmane pendant sa captivité) permet à tout un chacun de comprendre que la France a d’autres intérêts au Sahel, particulièrement au Mali, que la lutte contre le terrorisme. L’instabilité de notre pays et de toute la bande sahélo-saharienne est du pain béni pour l’Elysée car créant une situation géopolitique et géostratégique favorable à ses intérêts militaires et économiques. Et ce n’est pas Paris qui va prier pour une victoire rapide sur le terrorisme dans notre pays.
Les paradoxes d’une présence militaire française au Mali
Et comme le disait notre célèbre professeur Assadek Ag Hamady (professeur de mathématiques à la FAST de l’université de Bamako au Mali), « quand il s’agit de négocier avec des jihadistes pour libérer des otages (occidentaux), la Communauté internationale est d’accord. Mais, quand il s’agit d’ouvrir les négociations avec ces mêmes jihadistes pour un cessez-le-feu voire l’arrêt des hostilités, elle y oppose son véto ».
C’est ainsi que, malgré la volonté clairement exprimée par le peuple Malien de négocier avec les « Jihadistes Maliens », en l’occurrence Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, la France a toujours imposé son véto à travers le chantage et la pression sur le pouvoir central. Les rapports de la Conférence d’entente nationale (CEN, du 27 mars au 2 avril 2017) et du Dialogue national inclusif (DNI, 14-22 décembre 2019) ont tous prêché l’ouverture des négociations avec Kouffa et Iyad.
« Depuis 2014, je recommande de parler avec les jihadistes maliens. Que fait-on avec eux ? Engager des discussions avec eux, savoir ce qu’ils veulent, est-ce qu’ils ont des revendications ? Et s’ils en ont, comment le pays est prêt à les traiter pour parvenir à la paix », avait déclaré l’ex-ministre des Affaires étrangères et président du Parena, Tiébilé Dramé, au lendemain de la CEN.
Si le Mali a été toujours ouvert au dialogue avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa dans le cadre d’un « Etat républicain et laïc », la France s’y est toujours opposée au nom du sang de ses soldats et des « sacrifices » imposés par sa présence militaire au Sahel. Mais, la donne a changé quand il s’est agi de la libération de son dernier otage dans le monde. Et, nous sommes convaincus que s’il ne s’agissait que du seul Soumaïla Cissé, la France se serait systématiquement opposée à la libération de ces prisonniers en rappelant que la France ne consent pas de « sacrifices » humains et financiers pour que des prisonniers servent de monnaie d’échange. D’ailleurs, dans la soirée du jeudi 8 octobre 2020 et les jours suivants, les médias français n’ont presque évoqué que la libération et le retour en France de Sophie Pétronin.
La libération de Soumaïla est un grand soulagement pour toute la République. Mais, les conséquences de la contrepartie sont incalculables. Et comme avertit un ancien diplomate algérien au Mali, « que les otages soient libérés est une bonne chose. Ce qui est à craindre, c’est que les malfaisants libérés recommencent à constituer une menace ». Et surtout que notre pays n’a pas les moyens d’activer le système de surveillance que les puissances militaires utilisent généralement pour éliminer les terroristes libérés lors des négociations comme celle qui a abouti à la libération de Sophie Mariam Pétronin et compagnie.
Leurs proches peuvent jubiler. Contrairement aux familles de Mohamed Cissé (garde de corps du chef de file de l’opposition honorable Soumaïla Cissé tué lors de l’enlèvement du leader politique) et de la missionnaire Bâloise Béatrice Stockly tuée par ses ravisseurs en septembre dernier lors de sa captivité. Des victimes innocentes du terrorisme. Malheureusement, avec l’élargissement de plus de 200 criminels et la forte rançon payée au GSIM, il serait utopique de croire qu’elles seront les dernières victimes de cette sale guerre qui ne cesse aussi de ternir l’image de l’islam dans le monde !
Hamady Tamba