Dans la nuit du vendredi 6 mars au samedi 7, vers 22 heures, nous avons reçu un appel. La sonnerie retentit et nous décrochons. « Allo ». Notre interlocuteur au bout du téléphone sanglote, à peine pour lui, s’il peut nous expliquer les raisons de son appel. « Nous sommes tous destinés à mourir un à un. Finalement nous allons tous disparaître. Ici à Mopti, rien ne va. On ne fait que respirer l’odeur de la mort. Les hôpitaux sont pleins. Nous ne savons plus ce que nous devons faire», s’alarme-t-il.
Au Mali, nous sommes loin des nuits calmes, fraîches et étoilées dans nos villages où les jeunes sans discrimination ethnique se donnaient rendez-vous dans un espace bien déterminé après le diner, souvent, autour d’un feu pour chanter et danser, avant d’aller se coucher. Au même moment, dans la cour c’est aux tout petits d’être autour d’un autre feu, entourant « Papi » ou « Mami » afin d’écouter des contes et histoires de nos ancêtres, que ceux-ci racontent. Quant aux animaux, vaches, ânes, chevaux, chèvres, moutons, dans des clôtures, dorment paisiblement, et les poules, perchées, somnolent dans les poulaillers. On peut souvent voir, des chiens dans la cour, couchés près de leurs maîtres. C’était le Mali d’antan.
Aujourd’hui, force de constater que, malheureusement, ces villages sont devenus des hameaux fantômes. Dès le coucher du soleil laissantplace à la nuit, les villageois se terrent dans leurs maisons, craignant d’être pillés, incendiés ou tout bêtement tués par des monstres. Plus de bruit, plus d’animations et un vent pesant et inquiétant souffle durant toute la nuit sur les toits des cases. Et du coup, ces feux de joie, de réconfort sont devenus des feux de l’horreur. Car, aujourd’hui, ces mêmes personnes assistent impuissamment non à un feu qui les réchauffent, mais plutôt qu’au feu qui brûle leurs habitations, leurs bétails, leurs enfants et leurs femmes.
Plus de marché hebdomadaire pour ses villageois dans la région de Mopti, où se traitaient des échanges commerciaux avec ces hommes et femmes vêtus de leurs plus beaux vêtements déambulant entre les marchands en prenant plaisir à dénicher la bonne affaire. Les bétails, la nourriture, les vêtements sont là en abondance. Chacun y va de sa baguette magique pour toucher le gros lot.
Tuer est devenu banal. Prendre l’argent des autres, leurs biens, et détruire leurs maisons est tout à fait normal dans l’esprit funeste de ces démons qui sont là à guetter leurs proies. Ces barbares semblent avoir les gènes de tueurs. Ils sont omniprésents partout, de nuit et de jour, rien ne compte pour eux sauf une seule envie, celle de renifler comme une drogue, le sang humain. Cela leur procure une sensation de plénitude allant de la jouissance à l’extase.
Les animaux demeurent là, immobiles et terrifiés en voyant ces monstres avancer vers eux, les enfants tétanisés et traumatisés arrêtent de sourire, les jeunes ne s’amusent plus, les parents quant à eux, la peur au ventre n’ont que leurs yeux pour pleurer.
Au cours de l’appel reçu cette nuit du 6 mars, l’homme à l’autre bout du téléphone en état de choc et par une voix faible, mal assurée, raconte : « Nous sommes au bout du gouffre. Depuis dimanche le 1er mars jusqu’au 6 mars, plusieurs villages ont été incendiés ou vidés. Les morts se comptent en dizaines. Des familles décimées, des cadavres jonchent dans trois villages faute de ne pas pouvoir les inhumer. Un vieux de 80 ans, jeté comme une merde dans un puits. Une femme enceinte brûlée avec ses 5 enfants. Pour celles qui ont pu s’échapper, certaines ont accouché en chemin.
Même les bébés ne sont pas épargnés. Les gens semblent devenus fous. Nous assistons à des scènes insoutenables. Dans les villages, hommes et femmes déferlent à toute vitesse dans des camions en direction de Bankass et Mopti pour échapper à la mort, fuyant ainsi l’horreur ». « Nous avons, a-t-il enchaîné, le sentiment d’être abandonnés par tous, et que nous nous trouvons seuls au monde. Retourner au village, c’est aller à la rencontre de la mort. Ces attaques deviennent de plus en plus une folie meurtrière. Nous sommes tous terrorisés». Il reprend son souffle et continue,« Vous savez ? C’est une vue d’horreur. Des cadavres brûlés ou gonflés en décompositionjonchent dansles rues. Des villages entiers en ruine, transformés en tas de pierres et de banco. C’est dégoutant! » Et pour finir, il lança des propos désespérants et navrants: « qu’est ce que nous avons fait au Bon Dieu pour nous avoir donné des dirigeants pareils ? Ils nous ont laissés à l’abandon et au désespoir. C’est la situation la plus horrible que j’ai vécue depuis ma naissance, et nous ne savons pas quand cela va s’arrêter. Je vous envoie la liste des villages concernés». Un silence lourd, puis il raccroche le téléphone
Après un appel de détresse de la sorte, surtout la nuit, comment ne pas avoir de l’insomnie ?
Qu’est-ce qui se passe avec notre pays ? Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? Pourquoi toute cette haine entre frères et sœurs du même pays ?
Des questions et des questions qui taraudent l’esprit, mais sans réponses. Et cela toute la nuit.
Un schéma d’abandon, de désespoir revient à chaque fois que nous essayons d’analyser la situation. Quand on sait que des femmes ont été éventrées devant leurs familles, des enfants anéanties après avoir vu ses parents exterminés. L’horreur est à son comble. Plus qu’une tragédie, ce génocide est sans précédent dans l’histoire du Mali. Ce qui est plus troublant, c’est que le régime d’IBK laisse mourir ces pauvres sans pouvoir fournir une aide. Peut-on rester sans réagir à des situations de violence si paroxystique ?
Nous sommes des êtres humains comme les autres, qui veulent revenir à nos anciennes coutumes, à nos mœurs et ainsi partager les mêmes droits et le même désir d’une vie sans violence. Est ce trop demandé à BK? Pourrait-il encore réaliser les droits humains élémentaires qui garantiraient la sécurité économique et sociale de son peuple ?
Nous ne voulons pas savoir comment, mais nous avons besoin aujourd’hui d’un homme qui contribuera à ranimer notre conscience et à réveiller notre humanité partagée.
Le gouvernement peut-il prendre l’engagement de faire des élections au moment où il est incapable de sécuriser les populations ? Paradoxe!
Pourtant, encore et encore, mortifiés par l’horreur, les villageois continuent à être témoins ou victimes de nouvelles atrocités de masse.
Bathily Sadio