Comme attendu par une frange importante des Maliens depuis la grande mobilisation du 5 juin 2020, le président Ibrahim Boubacar Kéita s’est adressé à la nation dans la soirée du dimanche 14 juin 2020. S’il a tenu un discours d’apaisement, la réponse politique n’a sans doute pas été à la hauteur des attentes de ceux qui dénoncent sa mauvaise gouvernance et qui réclament sa démission. Ils sont nombreux à conclure, après cette énième adresse à la nation, que «le Vieux est visiblement dépassé et qu’il n’a plus rien à proposer aux Maliens» !
Pour une fois, le message a été court, concis, précis et empreint d’une grande humilité qui sied à la gravité de l’heure. Le président Ibrahim Boubacar Kéita s’est adressé à son peuple dans un élan d’apaisement et avec la volonté de privilégier le dialogue comme mode de résolution de nos différends sociopolitiques.
«J’ai suivi avec attention les récents évènements qui se sont déroulés dans notre pays. J’ai entendu les colères et les cris… J’ai entendu les revendications et les interpellations. Je vous ai compris…Chaque malien qui souffre ou qui manifeste, m’interpelle et mérite mon attention…», a souligné Ibrahim Boubacar Kéita dans son message à la nation pour dire qu’il est conscient que sa gouvernance n’est pas satisfaisante. Ce qui se traduit par un malaise dans tous les secteurs, notamment l’Education, la Santé, la Sécurité…
Ainsi, des missions d’ordre sécuritaire, social, politique et de gouvernance seront confiées à la nouvelle équipe que Boubou Cissé doit former dans les jours à venir en se conformant aux recommandations du Dialogue national inclusif (DNI). On s’attend donc à une équipe restreinte faisant de la place à la compétence et non aux considérations partisanes. «J’attache du prix à la résolution complète et rapide de cette crise qui n’a que trop duré. L’école c’est l’avenir de notre Nation», a prévenu le président Kéita s’adressant au PM.
Le Chef de l’Etat se voulait convaincant. Mais, si l’on se réfère aux réactions qui ont aussitôt suivi son message sur les réseaux sociaux, sa réponse politique à la contestation n’a pas été hauteur de souhait. Et cela parce qu’il était attendu de lui «des actes et non des promesses» comme toujours. Autrement, les «forces patriotiques» qui réclament sa tête, pardon sa démission, attendaient qu’il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale illégitime, le démantèlement de la Cour constitutionnelle dont la mission a tourné à la farce ces dernières années. Les enseignants attendaient qu’il leur annonce qu’il accepte leurs revendications, notamment l’application de l’article 39…
Une volonté dénudée car ne se traduisant par aucun acte concret
Mais, hélas, Boua est une fois apparu comme «visiblement dépassé et qu’il n’a plus rien à proposer aux Maliens». Loin de convaincre, IBK a plutôt fait un aveu d’impuissance, faute d’actes concrets. On s’attendait à des annonces fortes pour décrisper la tension socio politique. Mais, «le président n’a proposé rien de concret pour rassurer le peuple sur sa volonté et sa capacité à relever les défis du moment, à faire face aux maux comme la corruption dénoncés le 5 juin dernier par des Maliens frustrés et en colère».
C’est un président tiraillé entre sa volonté de combler les attentes de son peuple et son impuissance à aller dans le sens de ses aspirations. Un président qui persiste dans la démagogie, dans le déni de la réalité où réellement coupé des réalités de son pays. Ce passage de son adresse à la nation l’atteste : «La trêve sociale que j’ai demandée, avant et pendant le Dialogue (DNI), ne procède d’aucune malice, d’aucune esquive, mais de l’analyse d’une triste réalité : la demande est forte et légitime, mais l’offre est modeste, elle est celle d’un pays en guerre».
Ce qu’IBK ne dit pas ou ne sait pas, c’est que ce n’est pas l’effort de guerre qui pose problème. Nous sommes sûrs que les Maliens sont prêts à tous les sacrifices pour mettre les forces armées et de sécurité dans les meilleures conditions pour sécuriser le pays et défendre son intégrité territoriale. Mais, ce sacrifice n’est pas et ne sera plus un blanc seing. Il est lié à la gestion rigoureuse et efficiente des ressources de l’Etat.
Comment convaincre les enseignants de se sacrifier alors que les budgets votés pour équiper notre outil de défense vont sur des comptes privés ? Comment convaincre les Maliens à supporter la faim, la maladie… alors que des gens viennent quotidiennement les narguer avec une fortune mal acquise car volée aux contribuables qu’ils sont ?
Ce n’est pas la guerre qui ruine le Mali, mais la corruption et la délinquance financière. Une minorité a fait main basse sur les ressources et les richesses du pays en toute impunité. C’est pourquoi «l’offre est modeste». Elle l’est parce que, malgré une volonté sans cesse manifestée, IBK est impuissant à éradiquer la corruption et la délinquance.
Poser des actes pour aller au bout de son mandat
Il est impuissant parce qu’il a du mal à se défaire du clan (sa famille et ses parrains) qui l’a pris en otage depuis septembre 2013 et qui semble détenir la réalité de son pouvoir. Oui, face à la gravité de la situation et à l’immensité des défis, le président de la République donne l’impression d’être l’otage de ceux qui profitent réellement de son régime et qui sont pourtant incapables de le défendre chaque fois qu’il est acculé par la rue.
C’est pourquoi, Boua apparaît toujours comme un président seul face à tous (faux partisans, vrais et faux opposants) ; comme un commandant debout seul, tenant courageusement le gouvernail d’un bateau en pleine tempête pour éviter le naufrage.
Mais, il ne pourra pas combler les attentes tant qu’il est dans ce dilemme cornélien : sauver son pouvoir ou son clan ! Et cela d’autant plus que le meilleur gage qu’il peut donner aujourd’hui de sa bonne foi à changer radicalement la gouvernance du pays, c’est de laisser la justice traquer les fonctionnaires corrompus et les délinquants financiers, y compris dans le cercle de ses proches. Et la formation du futur gouvernement lui donne une opportunité de restaurer la confiance entre lui et le peuple, le vrai. Et cela à condition de privilégier la compétence et l’intégrité morale aux dépens des considérations partisanes.
Et la meilleure manière de procéder à ce titanesque travail d’assainissement de la gouvernance, c’est qu’IBK accepte enfin de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi de la mise en œuvre des résolutions et recommandations du Dialogue national inclusif. Et cela d’autant plus que l’exécutif ne peut pas continuer à «choisir les recommandations et les résolutions qui lui plaisent en les mettant en œuvre de la façon qui arrange ses intérêts». Une stratégie qui est diamétralement opposée à l’esprit du DNI et qui le vide de son sens, de son utilité à poser les jalons de la gouvernance souhaitée par les Maliens.
Pour convaincre les Maliens et désamorcer la bombe sociopolitique qui menace son régime, IBK doit poser des actes concrets, courageux. Même à son corps défendant.
Moussa Bolly