Lors des Deuxièmes Assises de la CMP, l’emploi du français s’est invité aux débats. En effet, dans le projet de loi portant révision de la Constitution de 1992, il est écrit : « Le Français (sic) est la langue d’expression officielle. La loi favorise et détermine les modalités de promotion des langues nationales. » (Titre I, article «3, alinéas (et 6). Cet article diffère de ce que proposait la révision avortée de 2012.
En effet, cette révision constitutionnelle proposait l’élévation des langues nationales au rang de langues officielles, au même titre que le français. Ainsi, d’un projet à l’autre, les intentions diffèrent, mais elles convergent toutes vers un point : comment réussir l’articulation, le partenariat entre le français et les langues nationales. Le sujet ne manque pas de soulever la controverse et celle-ci ne date pas d’aujourd’hui.
Elle a opposé, dans le courant des années 1980, Cheick Oumar Dembélé, à l’époque, chef du département d’Enseignement et de Recherches de lettres de l’E.N.SUP, à Karim Traoré du Burkina Faso et à Valy Sidibé de la Côte d’Ivoire. C’était lors de la tenue d’un colloque sur le théâtre africain, en novembre 1988, à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako.
La séance de la journée du 15 novembre est consacrée au thème Théâtre et langues nationales. Karim Traoré, plutôt modéré dans ses propos, insiste sur la nécessité d’une production théâtrale dans les langues nationales. Plus radical, Valy Sidibé, après des références au Kenyan Ngugi wa Thiong’o et au Péruvien Augosto Boal conclut sa communication en ces termes : « Si nous voulons que la Renaissance culturelle africaine soit vraiment africaine, il nous faut nous débarrasser de tout carcan d’ordre psychologique, de toutes formes de complexe. »
« Il faut instaurer l’écriture et l’enseignement de ces langues car il s’agit d’un choix politique en réalité seule préalable à toute politique culturelle africaine… notre survie culturelle et intellectuelle est à ce prix. » (Théâtres africains, Actes du colloque sur le théâtre africain. Ecole Normale Supérieure, novembre 1988. Editions Silex, Paris, 1990, page 103)
Face à ces deux protagonistes, Cheick Oumar Dembélé a une position plus nuancée, plus modérée avec des références au réel : « La langue nationale est une langue que nous devons pratiquer, qu’il faut lire et écrire… mais les contingences sont telles que cela pose de nombreux problèmes (…). Il faudrait, bien sûr, que nous soyons tous alphabétisés mais en sachant que, pour l’instant, nous ne pouvons pas du tout nous passer du français… et je pense qu’il y a une position dangereuse qui consiste à vouloir coûte que coûte se passer d’une langue qui à mon avis, nous apporte beaucoup de choses, et je crois que nous pouvons nous « développer » en français tout en gardant notre authenticité (…). C’est une obligation historique : on aura une ou des langues nationales mais il y a lieu de bien cerner le problème. Des expériences (qui ont) échoué dans les pays limitrophes tels que la Guinée et le Burkina Faso (où c’est le régime révolutionnaire de Thomas Sankara qui est revenu sur les expériences en langue nationale dans les écoles du Burkina) prouvent qu’il existe un problème réel. Il faut donc avoir le courage de résoudre ce problème et non pas faire une sorte de « fuite en avant » qui ne ferait que mettre en cause l’avenir de plusieurs générations d’enfants »
Ce débat entre trois littéraires sera repris, vingt et une années après par les professeurs Diola Bagayogo et Hassimi Oumarou Maïga.
En 2009, pour trouver une solution définitive à la crise que connaît l’école malienne depuis les événements de mars 1991, le gouvernement organise un Forum national sur l’Education. Diola Bagayogo, acteur majeur de la rencontre produit une Annexe au Rapport National sur l’Education intitulée : Le Futur du Mali et sa Politique des « Langues Nationales » : Méthode Globale de la PC comparée à la Méthode syllabique.
Ce qui aurait pu se limiter à une comparaison entre deux méthodes de lecture va déboucher sur un réquisitoire en règle contre « l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement formel au-delà du 1er cycle de l’enseignement fondamental et dans l’administration ». Cette utilisation est jugée négative pour deux raisons : d’une part, elle « est contraire aux intérêts d’intégration régionale et de compétition globale du Mali, en général, et des élèves affectées en particulier », d’autre part, elle « bloque la participation du Mali à l’entreprise scientifique et technique mondiale, étant donné que le patrimoine mondial en service et en technologie n’existe dans aucune des langues « nationales » du Mali (http : //www..maliweb.net/weeklynews.php ?).
Cette annexe au Rapport du Forum National sur l’Education est acceptée par acclamation générale des participants. Pourtant, elle ne fait pas l’unanimité. Usant de ce qu’il estime être son droit de réponse, Hassimi Ousmane Maïga lui donne la réplique en partant de l’assertion : « L’utilisation des langues nationales au-delà du Premier Cycle de l’Enseignement Fondamental ouvrira la participation du Mali à l’entreprise scientifique et technique mondiale, étant donné que le patrimoine mondial en science et en technologie existe aussi dans les langues nationales au Mali, mais il faut bien le rechercher. » (Idem). Et de recourir, pour justifier cette assertion, à « des preuves linguistiques et scientifiques », « des faits historiques », « des faits politiques et sociaux ».La problématique a vivement intéressé les Maliens si l’on en juge par le nombre d’internautes ayant réagi à la publication des deux textes le 2 février 2009 : à la date du 24 août 2009 : 8116 visualisations et 66 réactions, concernant le texte de Maïga ; 6842 visualisations et 61 réactions, concernant le texte de Bagayogo. A suivre
La Rédaction LE SURSAUT