Ils sont dans l’air, sur nos légumes, dans nos placards et surtout dans… nos assiettes. Donc, nos ventres et devenant du coup une sérieuse menace pour notre santé. Les pesticides ne se voient pas à l’œil nu, mais font partie de notre quotidien. Or ces substances phytosanitaires (herbicides, insecticides ou fongicides) ne sont pas anodines. Non contentes d’avoir des effets nuisibles sur l’environnement, elles ont également un impact sur notre santé. Heureusement que, avec l’aide des partenaires comme la Banque mondiale, notre pays fait des efforts énormes pour les éliminer à travers le Projet d’élimination des pesticides obsolètes (PEPPO).
Comment le Mali est parvenu à éliminer des tonnes de pesticides dangereux ? La réponse à cette question est contenue dans un document récemment publié par la Banque mondiale. «L’agriculture est un secteur clé de l’économie et la sécurité alimentaire au Mali. Cependant l’utilisation de produits toxiques présente des risques importants pour les exploitants et leurs familles», rappelle l’institution de Bretton Woods.
Depuis plusieurs années, elle aide notre pays à circonscrire la menace à travers le Projet d’élimination des pesticides obsolètes (PEPPO). Une initiative qui a permis de traiter des centaines de tonnes de produits dangereux et de renforcer la réglementation. Ce projet a aussi initié une campagne d’information et d’éducation pour mieux former et encadrer les populations aux pratiques sûres. Et les témoignages des agriculteurs mettent en exergue la pertinence de ce projet, mais aussi son efficacité.
«Avant la fin de l’hivernage, j’ai eu besoin de mil et m’en suis procuré auprès d’un vendeur. J’ai demandé si c’était du mil pulvérisé. On m’a répondu que non. Alors j’ai remis le mil aux femmes qui l’ont moulu et cuisiné», témoigne Zantié Dembélé, un agriculteur du village du Dempela (région de Sikasso) qui a vu quatorze de ses proches intoxiqués après avoir consommé du mil traité aux pesticides. Cela est loin d’être un cas isolé puisque dans notre pays, près de 200 personnes meurent chaque année d’intoxication et plusieurs milliers contractent des maladies dues à l’utilisation intensive de pesticides souvent périmés.
Notre économie repose en grande partie sur la production agricole. Si l’usage des pesticides est indispensable au bon développement de ce secteur, de l’économie en général, le pays est confronté à un problème de gestion de ses engrais périmés. On a ainsi recensé 580 tonnes de produits impropres à l’utilisation, dont certains datent de plusieurs décennies. Et selon la Banque mondiale, la revente de ces produits est «une activité lucrative pour des milliers de jeunes qui les distribuent sans connaître les mesures de sécurité et, souvent, l’origine de la marchandise».
Près de 80 % de ces pesticides périmés sont utilisés dans la culture du coton, polluant les terres et les sources d’eau avec des conséquences dramatiques sur le bétail et la chaîne alimentaire. Les emballages de pesticides et les déchets résiduels se comptent en dizaines de tonnes sur l’ensemble du territoire malien. Les récipients ayant contenu des substances toxiques sont malheureusement réutilisés, notamment pour stocker l’eau.
Une approche intégrée pour maîtriser la menace
Pour s’attaquer à ces stocks dangereux pour la nature et les humains, les spécialistes recommandent une approche intégrée. En effet, pour faire face à ce danger, le Mali et la Banque mondiale ont élaboré cette stratégie dès 2007 afin de prévenir leur accumulation, contrôler l’importation et homologuer les intrants chimiques. Elle a été complétée par la formation d’agents phytosanitaires et la sensibilisation de la population aux risques sanitaires a complété cette initiative.
Le Programme africain relatif aux stocks de pesticides obsolètes (PASP Mali) a mis en place un Comité national de gestion des pesticides et a permis d’éliminer 65 tonnes de produits périmés et déchets liés ; d’identifier et de sécuriser une partie des stocks et de mener des opérations pilotes de dépollution.
Forts de ces acquis, la Banque mondiale et le Mali ont mis sur pied en 2014 le nouveau Projet d’élimination des pesticides obsolètes (PEPPO/Mali) avec l’appui du Fonds pour l’environnement mondial et du Danemark. Entre 2014 et 2018, il a permis d’éliminer 532 tonnes de pesticides périmés et déchets toxiques. «Ces projets ont renforcé les capacités institutionnelle, réglementaire et technique dont le secteur avait besoin pour remédier à la pollution de l’environnement et l’empoisonnement des communautés », a souligné Maria Sarraf, responsable du pôle environnement de l’institution de Bretton Woods pour l’Afrique de l’ouest. Et d’ajouter que «l’une des clefs de sa réussite a été la sensibilisation de l’ensemble des utilisateurs aux dangers et aux bonnes pratiques dans l’utilisation et le reconditionnement de ces produits dangereux».
A noter que c’est une étude environnementale qui a permis de «localiser et recenser les lieux et le matériel contaminés». Tout comme une évaluation des risques pour la santé a aussi été menée autour des sites prioritaires de stockage des pesticides obsolètes. Pour prévenir l’accumulation de produits à péremption limitée et gérer les flux, le gouvernement collabore étroitement avec les différents opérateurs qui détiennent les stocks.
«Nos stocks obsolètes ont été détruits», explique Dr Ousmane Cissé, un responsable de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT). «Dorénavant, les pesticides que nous utilisons sont recommandés par le comité sahélien et homologués, donc autorisés à la vente. Nous animons aussi régulièrement des sessions d’information avec les agriculteurs et incitons nos fournisseurs en phytosanitaires à y participer», assure-t-il.
Un Plan national de prévention en cours d’exécution
Le PEPPO a également élaboré un Plan national de prévention prend en compte tous les aspects du cycle de vie des pesticides et offre un cadre légal mieux adapté. En amont, l’amélioration des contrôles à l’importation et le renforcement du système d’homologation des intrants chimiques importés de l’étranger ont beaucoup contribué à maîtriser les risques. «Un système fiable d’inventaire des stocks disponibles et des produits en circulation s’est progressivement mis en place, en identifiant et sécurisant les lieux de stockage», assurent ses initiateurs. Ces dépôts et magasins, ajoutent-ils, doivent «répondre aux normes de sécurité et aux directives de la FAO pour éviter la contamination de l’environnement avoisinant».
Un vaste programme de formation a permis à tous les acteurs de la filière de se familiariser avec la législation en vigueur, la classification des produits, le traitement et la décontamination du matériel utilisé. Mais aussi avec l’utilisation d’équipements de protection et le reconditionnement des emballages vides. C’est ainsi que, en 2019, ce sont 35 000 bidons, 21 000 flacons et 1 000 sachets de phytosanitaires qui ont été collectés par la CMDT à travers le pays. Un système de collecte et de centralisation de ces emballages a aussi été initié dans certaines régions comme Kita et Koutiala par le biais de la société coopérative des producteurs de coton.
Les actions du projet ont été accompagnées d’une stratégie d’information, éducation et communication à travers des sketches, bandes dessinées, blogs écrits par les jeunes, vidéos, ateliers de cuisine bio et spot radios… Plusieurs canaux de communication ont été ainsi utilisés autour d’une campagne de sensibilisation sur le thème «Stop aux pesticides obsolètes» organisée par le groupe média «Benbere».
Malgré la pandémie du Covid-19, les initiatives de formation ont continué, mais avec un nombre réduit de personnes. «En impliquant tous les acteurs locaux et en informant les utilisateurs comme le grand public sur les dangers associés aux produits potentiellement toxiques dans leur vie quotidienne, le Mali mène le combat pour une gestion durable des pesticides obsolètes dans la région», assure la Banque mondiale.
Gageons qu’elle (Banque mondiale) restera vigilante et exigeante vis-à-vis de ses partenaires maliens pour pérenniser les acquis même à la fin du projet. Sans compter que, en ce début d’hivernage, l’idéal serait d’accentuer la campagne d’information et de sensibilisation dans nos langues nationales sur les dangers liés à l’usage abusif et au mauvais stockage des pesticides. Sans oublier le danger que représente les pesticides obsolètes et comment les éviter, en s’approvisionnant par exemple chez des vendeurs appropriés ou dans les magasins des coopérative
Moussa Bolly
Du poison quotidiennement dans nos assiettes
L’usage des pesticides, surtout obsolètes, ne constitue pas une menace pour la nature seulement, mais aussi pour la santé humaine. Comment les consommateurs sont-ils alors exposés à ses conséquences ? Selon de nombreuses études, les pesticides ne s’arrêtent pas au champ, mais pénètrent aussi dans les sols, les plantes, fruits et légumes… qu’ils traitent.
C’est donc en mangeant des aliments traités que les consommateurs se retrouvent généralement exposés aux produits phytosanitaires. Ils le sont aussi chez eux, à faible dose, lorsqu’ils utilisent des herbicides pour leur jardin ou des insecticides dans leur maison. Mais pour le moment, il est difficile d’avoir une idée claire sur les risques encourus par le consommateur. «On n’a rien pour dire qu’il y a un effet de risque ou pas», relevait un expert, il y a quelques années. Et cela d’autant plus que les études sont peu nombreuses sur le sujet.
Toutefois, l’Institut français de veille sanitaire a publié en 2013 un rapport sur le niveau d’exposition de la population française aux pesticides. L’étude portait sur près de 400 personnes âgées de 18 à 74 ans. Elle a aussi porté sur trois familles de pesticides que sont les organochlorés (pour la plupart désormais interdits mais persistants dans l’environnement et l’organisme), les organophosphorés et les pyréthrinoïdes (utilisés pour leur action insecticide). Ses conclusions montrent que la population française est largement imprégnée (à 90 %) par les organophosphorés et les pyréthrinoïdes.
«Les personnes le sont sans aucun doute à des taux faibles, mais ces chiffres nous inquiètent beaucoup car, parmi ces pesticides, certains sont des perturbateurs endocriniens. Et le risque ne dépend donc pas de la dose, mais de la période à laquelle on se retrouve imprégné», souligne Pierre-Michel Périnaud, un expert français. Selon lui, la grossesse et l’enfance (jusqu’à la fin de la puberté) sont donc des moments où il faut être particulièrement vigilant. Le risque est sans doute plus élevé dans nos Etats où de nombreuses quantités de pesticides obsolètes voire périmés sont chaque année dans les circuits de vente.
Il faut rappeler qu’un pesticide est une substance utilisée pour lutter contre des organismes considérés comme nuisible. C’est un terme générique qui rassemble les insecticides, les fongicides (une substance conçue pour éliminer ou limiter le développement des champignons parasites des végétaux), les herbicides et les conçus pour avoir une action biocide (un biocide est un produit destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre, par une action chimique ou biologique). Les pesticides s’attaquent respectivement aux insectes ravageurs, aux champignons, aux «adventices» et aux vers parasites.
Le terme pesticide comprend non seulement les produis phytosanitaires ou phytopharmaceutiques utilisés en agriculture, sylviculture (exploitation rationnelle des arbres forestiers) et en horticulture mais aussi les produits zoosanitaires, les produits de traitements conservateurs de bois et de nombreux pesticides à usage domestique comme le shampoing anti-poux ; les poudres anti-fourmis, bombes insecticides contre les mouches, mites ou moustiques ; colliers anti-puces ; diffuseurs intérieurs…
De nos jours, la meilleure manière de se mettre à l’abri de la menace sanitaire des pesticides est de se «mettre au bio». Mais, cela est loin d’être gagné d’avance dans un pays comme le nôtre où les engrais et les pesticides sont utilisés dans presque tous les champs et les jardins maraîchers pour améliorer les gains financiers. Savez-vous que nos maraîchers utilisent ces produits dans les petits espaces consacrés au «nanayer» (menthe) que vous aimez tant dans votre thé ou autres boisons ?
M.B LE MATIN