Considérée à juste titre comme ayant l’une des plus belles voix du Mali voire d’Afrique, ambassadrice de la culture malienne, Rokiatou Traoré (Rokia Traoré) est incarcérée en France pour avoir refusé de remettre sa fille à son ex compagnon qui est violent et qui a des comportements indignes d’un père à l’égard de son enfant. Et curieusement, c’est Rokia qui a maille à partir avec la justice en France et en Belgique. Le père de son enfant lui reproche l’enlèvement, la séquestration de son propre enfant. Entendue par le juge le mercredi dernier (18 mars 2020), le délibéré est fixé à ce mercredi 25 mars 2020.
La défense de Rokia s’insurge naturellement contre le fait que la non-présentation d’enfant ait été transformée en un chef d’accusation incluant « séquestration, prise d’otage et enlèvement » pour afin de lancer un mandat d’arrêt international. Une décision dont l’objectif est non seulement d’humilier la jeune mère, mais aussi l’empêcher de comparaître libre à son procès en appel. Les zones d’ombres meublent cette action judiciaire contre Rokia.
A partir du moment où une décision de justice a été rendue «au Mali, pays souverain », un tribunal belge est-il encore compétent pour arracher à la mère la garde de son enfant mineur ? On se retrouve ainsi en face de la violation de plusieurs conventions internationales et traités qui prévoient que, en matière de garde d’enfant, « ce sont les juridictions du lieu de résidence de l’enfant qui sont compétentes pour statuer sur sa garde et sur toutes les mesures prises dans son intérêt supérieur ».
Comment peut-on arrêter une personne munie d’un passeport diplomatique comme une vulgaire délinquante. « Le juge qui a ordonné ma mise en détention à la prison de Fleury-Mérogis m’a affirmé qu’une immunité diplomatique malienne ne serait pas valable en Europe. Le policier à l’aéroport de Roissy m’avait indiqué que l’avocat général lui avait dit n’avoir rien à faire de mon immunité diplomatique », a expliqué Rokia Traoré dans une lettre. C’est donc fort naturellement que beaucoup d’observateurs voient dans cette affaire une forme de racisme.
Le gouvernement a assuré dans un premier temps suivre « avec attention la situation judiciaire de Mme Rokiatou Traoré», qui «bénéficie de l’assistance des autorités maliennes depuis plusieurs mois». Mais, on s’attendait surtout à une réaction plus vigoureuse à ce déni d’immunité aux porteurs de passeport diplomatique malien en Europe, précisément en France. La réciprocité étant un principe fondamental de la diplomatie, il fallait interpeller les autorités françaises afin d’avoir une réaction officielle pouvant servir de base à une riposte à hauteur de souhait.
Une vague d’indignation à l’échelle mondiale
Depuis l’annonce de cette arrestation ou plutôt de cette séquestration le 10 mars 2020 à Paris, des personnalités se sont depuis mobilisées pour critiquer la manière. A commencer par l’ancienne Garde des sceaux française Christiane Taubira. Dans une tribune publiée mercredi dans le quotidien français « Libération » et signée par Lilian Thuram, Edgard Morin, Barbara Cassin ou encore Bénédicte Savoy, on peut lire : «Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, en France, une mère qui se rend au procès en appel pour la garde de son enfant soit arrêtée et jetée en prison. Il est inacceptable qu’une enfant de 5 ans soit privée de sa mère au motif que celle-ci a obéi à une convocation de justice. Il est inacceptable que la France, qui se targue d’être le pays des droits de l’Homme, bafoue à ce point ceux des femmes. Il est inacceptable qu’à l’heure où il est de bon ton de distinguer l’homme de l’artiste, la mère, la femme, la Noire et la musicienne subissent sans égards un sort d’une telle violence » ! Une pétition en ligne exigeant la libération de l’artiste a recueilli plus de 27 000 signatures à la date du 18 mars 2020.
Au Mali, même si le gouvernement n’a pas autorisé le sit-in prévu le 18 mars dernier devant l’ambassade de Belgique à Bamako, la mobilisation ne faiblit pas. De Salif Kéita à Youssou Ndour, les artistes et les opérateurs culturels ont dénoncé par tous les mots cette injustice. Et L’Association malienne des Procureurs et poursuivants du Mali (AMMPP) a également déclaré être disposée à jouer sa partition pour que justice soit rendue à Rokia et à sa fille.
«Consciente de la place de notre compatriote et du rôle significatif qu’elle joue inlassablement et avec conviction, pour la paix, la tolérance et la fraternité entre les peuples et les nations à travers le monde, l’AMPP s’engage à suivre l’évolution du dossier, à veiller, en étroite collaboration avec les organisations des Procureurs en France et en Belgique au respect du droit de Madame Rokia Traoré à la présomption d’innocence, et de son droit à une justice équitable et égale pour tous», a déclaré son président, Cheick Mohamed Chérif Koné, dans une «Tribune» dans la presse la semaine dernière.
Une mère empêchée de protéger sa fille
« Rokia Traoré est en prison, arrêtée en France parce qu’elle a eu le courage de protéger sa fille contre un père à la moralité douteuse. Elle a pris ses responsabilités de mère. Ce qui n’est pas admis en France et en Belgique, parce qu’elle est noyée », a dénoncé dans une « Tribune », M. Cheick Oumar Sissoko, cinéaste, président de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) et ancien Ministre de la Culture au Mali.
Et d’ajouter, « dans ces pays la parole d’un (e) Noir (e) ne compte pas. Le droit d’un (e) Noir (e) n’existe pas. Tous ceux ou toutes celles comme Rokia Traoré qui ont eu un problème de garde des enfants avec un (e) conjoint (e) belge, ont perdu devant la justice belge ». Pour M. Sissoko, « le juste combat de notre sublime artiste Rokia va nous aider à crever cet abcès de l’habitude coloniale bête méchante stupide, fortement, ancrée dans les administrations française et belge. Leur comportement est inhumain, irrespectueux et indigne. Parce que cette fille est métisse, il faut la livrer à son père soupçonné d’attouchements sur elle et incapable de subvenir à ses besoins. C’est scandaleux ». Raison de plus donc pour que Rokia Traoré recouvre lalibéré aujourd’hui.
Surtout que, depuis son incarcération, Rokia Traoré a entamé une grève de la faim « afin que lui soit accordé un procès équitable en Belgique et pour que le mandat d’arrêt européen ne soit pas injustement appliqué ». Et selon son avocat, « elle est très affaiblie et il y a un risque de contracter en cellule le Covid-19 ».
D’ailleurs avant la tenue de l’audience de mercredi 18 mars 2020, son avocat avait déposé une requête de remise en liberté pour raisons médicales. « Elle est fatiguée… Il est difficile pour une mère de ne pas pouvoir protéger sa fille », a confié Me Feliho à la presse française.
C’est lâche et inhumain de se servir d’un enfant pour régler ses comptes personnels et professionnels ; emprisonner la mère pour mieux l’humilier aux yeux du monde.
Quelle que soit la décision rendue aujourd’hui, il faut rester mobiliser aux côtés de Rokia car ce procès pour la garde de son enfant sera loin d’être terminé. C’est un combat de longue haleine et la partie adverse est déterminée à tout pour humilier la jeune star afin de l’affaiblir. Et surtout qu’elle ne s’embarrasse pas de valeurs comme Rokia !
Alphaly