L’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ) serait-elle une niche de bandits en col blanc ? Rien n’est moins sûr. Le dernier rapport du Vérificateur général décèle des manquements de plus de 4 milliards de nos francs dont 3 milliards dépensés dans des conditions totalement opaques.
La présente vérification financière a relevé de nombreux dysfonctionnements et irrégularités financières qui se sont traduits par des manquements dans le dispositif de contrôle interne et dans la gestion financière.
Au regard des manquements constatés, le Vérificateur Général a formulé des recommandations tant à l’endroit du procureur de la République car, les faits sont gravissimes et sont assimilables à des crimes économiques, qu’à l’endroit des responsables de l’APEJ.
Au titre des manquements relevés dans le dispositif de contrôle interne, le bureau du Végal a été surpris de constater que l’APEJ n’a pas passé de marchés pour des dépenses atteignant le seuil légal. Elle n’a pas passé de marchés pour l’achat de 14 tracteurs et leurs accessoires, pour un montant de 158,41 millions de FCFA, deux opérations de fournitures de kits de formation de jeunes sélectionnés dans le cadre de la pisciculture à cages flottantes pour des montants respectifs de 1,05 milliard de FCFA en 2014 et de 1,29 milliard de FCFA en 2016, deux opérations de dépenses pour l’organisation de la cérémonie de lancement du 7ème programme du stage de formation professionnelle pour des montants respectifs de 34,45 millions de FCFA et de 34,04 millions de FCFA. En lieu et place de contrat de marché public, l’APEJ a conclu des conventions de partenariat pour les projets et a fait effectuer des prestations de service sur la base d’une simple facture, sans procéder à des appels à concurrence, ni motiver les raisons du recours à un tel choix.
Dans ce même chapitre, il a été constaté que l’APEJ ne dispose pas d’un manuel de procédures. Un projet manuel de procédures budgétaires et comptables définissant les conditions d’intervention du Fonds national pour l’emploi de jeunes a été élaboré par l’APEJ, mais non approuvé par les ministres chargés des Finances et de l’Emploi comme exigé par la réglementation. L’absence de manuel de procédures budgétaires et comptables validé ne permet pas à l’APEJ de réaliser efficacement ses activités, affirme le rapport.
Plus loin, le Végal s’est dit aussi ébahi de constater que l’APEJ ne produit pas de compte de gestion. Pendant la période sous revue, l’Agent comptable de l’APEJ n’a produit aucun compte de gestion, contrairement à la réglementation en vigueur qui précise qu’un tel document doit être obligatoirement élaboré, par budget et par exercice budgétaire définitivement clôturé. Ce manquement ne garantit pas la qualité et la transparence de la gestion financière et comptable de l’APEJ.
Apparemment, les dysfonctionnements sont à tous les étages de l’APEJ. C’est du moins le constat du rapport. C’est ainsi qu’il ressort que le Comité de Crédit et de Garantie de l’APEJ n’a pas élaboré de grilles d’évaluation technique des projets. Or, selon la réglementation en vigueur, ce comité doit procéder à une évaluation de chaque projet-jeunes par secteur ou type d’activités, à travers une grille comportant des scores relatifs aux différentes rubriques du projet. Car, l’absence de grilles d’évaluation peut exposer l’APEJ au financement de projets non rentables.
Aussi, le bureau du Végal estime que l’APEJ a effectué des emprunts bancaires irréguliers. Elle a procédé à trois opérations d’emprunts auprès d’une banque sans requérir l’avis du Comité national de la dette publique. Elle n’a pas, non plus, requis l’autorisation préalable de sa tutelle, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, pour les emprunts à plus d’un an, comme l’exigent les textes en vigueur. La non-soumission des dossiers d’emprunts au Comité National de la Dette Publique et au ministre de tutelle pourrait affecter la capacité de remboursement de l’APEJ.
Le rapport explique également que l’APEJ a effectué des financements irréguliers. Elle a financé en 2014 et en 2016, avant leur approbation par les organes techniques compétents et le Ministre chargé de l’emploi, deux projets relatifs àl’acquisition de cages flottantes et d’un réseau de points services. Un tel manquement peut conduire l’APEJ à financer des projets non viables.
L’APEJ n’a pas procédé à la conclusion de contrats simplifiés pour des achats atteignant le seuil. Pendant la période sous revue, elle n’a pas conclu de contrats simplifiés pour 27 opérations d’achats de biens ou de services dont les montants individuels atteignent 500 000 FCFA, seuil à partir duquel la conclusion d’un tel contrat est exigée. La non-conclusion de contrats simplifiés prive l’Etat de la perception de droits d’enregistrement.
Des dépenses floues et informelles
La direction de l’APEJ s’est beaucoup sucrée sur le dos des jeunes sans emplois et de l’Etat, en tout cas selon le constat du Vérificateur général. Ce dernier, dans son rapport, au chapitre des dépenses, a constaté que la Direction de l’APEJ a procédé à un fractionnement de dépenses. En effet, dans le cadre de l’organisation des Journées nationales de l’entreprenariat jeune, en 2014, les dépenses de restauration d’un montant total de 28,24 millions de FCFA ont été reparties en trois achats effectués à travers deux factures et un contrat simplifié auprès de deux prestataires, au lieu de conclure un marché par appel d’offres qui, au regard du montant total, est le seul mode requis.
Le Directeur Général de l’APEJ n’a aussi pas appliqué des pénalités de retard. Dans le cadre de deux marchés de fournitures de véhicules conclus en 2014, il résulte de la comparaison entre les dates de notification et de réception que leur exécution a accusé un retard de 108 jours par marché. Pourtant, il n’a pris aucune disposition pour appliquer les pénalités exigées selon les termes du contrat établi. Le montant total des pénalités non appliquées s’élève à 8,60 millions de FCFA.
De son côté, l’agent comptable en a aussi fait qu’à sa tête ; il n’a pas justifié des retraits effectués sur les comptes bancaires. Dans certains cas, les retraits sont partiellement justifiés. Le montant total de ces retraits non justifiés sur les comptes bancaires s’élève à 3,85 milliards de FCFA.
Son Directeur, à son tour, a ordonné des paiements irréguliers. Il a, sans base légale, octroyé au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle un montant de 13,85 millions FCFA sous forme d’avances. Il a également autorisé le préfinancement du salaire du personnel du « Projet Jeunes » pour un montant de 8,59 millions FCFA. Aucune de ces avances n’a été remboursée. Le montant total de ces avances irrégulières s’élève à 22,44 millions de FCFA.
Les deux complices (le Directeur Général et l’Agent Comptable) de l’APEJ ont effectué des paiements irréguliers. Dans le cadre de la mise en place de deux mille «points services relais», en partenariat avec la Société WARI, ils ont irrégulièrement payé, en 2014 et 2015, un montant total de 450 millions FCFA à cette société en l’absence du «business model» définissant la contribution de chaque partie, tel que prévu par la convention de partenariat. Aucun des sites d’installation des kiosques n’avait également été identifié. De plus, ce financement a été effectué avant l’approbation du Comité de Crédit et de Garantie et aucun kiosque n’a été installé comme l’atteste la lettre de WARI du 19 janvier 2018, plus de trois ans après le premier virement de fonds à la société WARI.
Au total, ce sont un manque à gagner de plus de 4 milliards de nos francs que le Végal a constaté. Il ne s’est pas fait prié pour saisir le procureur de la République afin que les auteurs de ces crimes économiques puissent répondre de leurs actes. Les faits dénoncés au Procureur portent sur :le fractionnement de dépenses ; le favoritisme dans l’acquisition de tracteurs et accessoires, la fourniture et l’installation de cages flottantes et l’organisation de cérémonies de lancement de stages de formation de jeunes ; les retraits non justifiés sur les comptes bancaires pour un montant total de 3,85 milliards de FCFA ; le paiement irrégulier de 450 millions de FCFA à la Société WARI.
A suivre.
Bilaly Yerkoybagné AZALAI EXPRESS