Elles sont venues à Sikasso dans le but de connaitre les circonstances dans lesquelles sont morts leurs époux, enfants et frères. En de pareilles circonstances, les familles victimes bénéficient de compassions et d’une certaine pitié. Mais c’est loin d’être le cas des familles des bérets rouges qui, depuis l’ouverture du procès, sont fréquemment pris à partie par les supporters d’Amadou Haya Sanogo et ses hommes sous le regard souvent complice de certains hommes en armes. Immersion dans le douloureux séjour des familles des victimes.
«Je suis à Sikasso pour connaitre la vérité sur les circonstances de l’assassinat de mon neveux béret rouge qui était une connaissance d’Amadou Haya Sanogo. Avant qu’il ne soit dans l’armée, il jouait au football avec Haya Sanogo à Koulikoro. Souvent Haya prenait du thé avec lui. C’est ensuite qu’il a intégré l’armée, le corps des commandos parachutistes. Tous les officiers de Koulikoro le connaissaient très bien parce qu’il jouait bien au ballon. Il s’appelle Bréhima Coulibaly plus connu sous le surnom de B». Ce récit est du Colonel-major à la retraite, Soungalo Coulibaly. Il y a vingt autres récits les uns plus tristes que les autres. Elles sont au nombre de 22 personnes en plus de Soungalo Coulibaly à avoir effectué le déplacement de Bamako pour Sikasso pour, enfin, savoir ce qui s’est réellement passé et qui a ôté la vie à leurs parents. A les voir à l’ouverture du procès, tout de blanc vêtus, on comprenait la symbolique que revêtait pour eux la tenue de ce procès tant entendu. Ces familles éplorées, tristes sont restées dignes et gardent confiance en la justice malienne malgré les nombreuses suspensions. Si la foi ne les a jamais quitté concernant la volonté du gouvernement de tenir ce procès, elles ont une fois à Sikasso perdu quelques peu la foi en la l’être humain. En cet après midi du mercredi 30 novembre dernier, quelques heures avant l’ouverture de la 4e journée du procès, nous nous sommes rendus à l’hôtel Kaaky palace, situé à la sortie de la ville sur la route de Côte-d’Ivoire. A l’entrée de l’hôtel, deux policiers partageant une seule arme sont préposés à la sécurité des 23 familles de victimes et de leurs accompagnants. Si l’endroit est calme et reposant, il est loin d’être en sécurité affirme le Colonel Major-Soungalo Coulibaly. «Nous sommes ici exposés ; nous ne sommes pas du tout en sécurité », dit-il. L’insécurité, selon lui, va au-delà du cadre de vie. «En allant à la salle d’audiences, ils disent qu’ils nous escortent mais ils ne nous escortent pas parce qu’il n’y a qu’une seule voiture devant qui fait l’ouverture de route ; donc, aucun moyen de protection. On est à la merci de n’importe quelle personne de mauvaise volonté». Ces nombreuses interpellations et même celle faite à l’endroit d’un Colonel en charge du groupement de la Garde nationale quelques minutes avant notre arrivée n’y ont rien changé.
Le sourire malgré la douleur
Malgré cette insécurité, c’est dans une ambiance bon enfant que nous avons retrouvé les familles des victimes à moins de 24 heures de la quatrième journée du procès. Autour d’un grand fourneau, les femmes s’affairent à la préparation du dîner. La fraîcheur des tomates, des oignons qui vont servir à l’assaisonnement de la salade qui rempli une bassine installée au milieu du groupe renseigne à suffisance que nous sommes dans le Kénédougou. Les unes épluchent les légumes, les autres entretiennent le feu et les plus âgées sont laissées au repos. Dans la douleur, elles se soutiennent. Dans la souffrance, elles se donnent la main pour monter marche après marche les escaliers menant à la vérité. Sagara Bontou Maïga, la Présidente des femmes de bérets rouges assassinés n’est pas loin. Avec ses inséparables lunettes correctrices, les cheveux bien noués sous un foulard de couleurs noirs et blanc et est vêtue d’un boubou ample à la couleur jaune. Depuis ce temps, elle à l’habitude des interviews et de s’y prendre. C’est donc sans difficulté qu’elle nous accorde quelques minutes de son temps avant de passer à la sieste. A l’instar des autres, elle ne doute aucunement de la volonté des autorités à rendre la justice. «Cette justice se fera tôt ou tard», dit-elle. Cette assurance dans la voix est succédée par des trémolos dans la gorge et un visage soudain mélancolique. Bintou Maïga dit ne pas comprendre la réaction de certaines populations qui s’en prennent aux familles des victimes comme si c’était elles les coupables. Leur seul tort c’est d’avoir perdu leurs maris, leurs enfants et leurs parents. Elle dit ne pas comprendre cette animosité d’une certaine population à leur égard, eux qui doivent être pris en compassion et soutenus. Cette situation la rend sceptique et la laisse sans voix. Comme toujours, il y a un pour soutenir l’autre. A ses côtés le Colonel-major Soungalo Coulibaly se tenait droit dans ses bottes. A quelques mètres des femmes, nous retrouvons Me Hamidou Diabaté, Avocat de la partie civile, assis au sein d’un groupe d’hommes. Sur la tournure que prend le procès, il n’a pas voulu se prononcer, il venait d’arriver juste la veille. Il attend de prendre ses marques avant de dire quoi que ce soit.
A deux pas du groupe, un membre de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) qui soutient financièrement les victimes à travers l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH) est plongé dans les dossiers. Pour la défense des victimes, rien ne semble être laissé au hasard. A la sortie de l’hôtel nous retrouvons Ismaël Fané, le porte-parole des familles des victimes qui nous avait, à notre arrivée, indiqué les personnes à interviewer. En tant que porte-parole, nous sollicitons quelques mots de sa part sur leurs quotidiens et la tournure que prend le procès. Il n’est pas avare en mots. Il ne fait pas dans la langue de bois. «De plus en plus les manifestants pro Amadou Haya Sanogo sont violents. La dernière fois ils s’en sont pris à notre car avec des sachets d’eau et sont venus jusqu’à taper sur nos vitres. Le vendredi, à la suspension de la séance, il a fallu que j’aille moi-même voir le Procureur de Sikasso pour qu’il demande à des soldats de venir nous sécuriser ; car, nous commencions à être envahis par ces gens », dit-il remonté contre le laxisme dans leur sécurisation. Il affirme qu’ils sont nombreux à venir de Bamako pour la cause mais avoue ne pas reconnaitre parmi eux des militaires comme cela se dit depuis le début du procès.
En quittant l’hôtel, le seul policier qui était resté sur place somnolait, le fusil callé entre ses jambes et aucune trace de son second à la ronde. Ainsi va la sécurité des familles des victimes à l’hôtel Kaaky palace de Sikasso.
Mohamed Dagnoko, Envoyé Spécial à Sikasso : LE COMBAT