« J’incline à penser que tu as suffisamment de raison pour n’avoir pas la faiblesse de te compter parmi les dieux de l’Olympe », telle est la quintessence du message que l’ancien président de l’Assemblée nationale du Mali, Pr. Ali Nouhoum Diallo, a adressé, par voie publique, à son cadet Ibrahim Boubacar Keïta, actuel président de la République. S’il a choisi de passer par une lettre ouverte, c’est parce que, dommage, IBK se trouve enfermé dans sa tour d’ivoire et n’est donc accessible ni à ses petits frères, et ensuite ni à ses grands frères, tous toujours obligés à forcer sa porte par voie de presse. Et encore si ce filet peut prendre dans ses mailles l’homme IBK qui apparaît de plus en plus, sinon comme Zeus, du moins tel un de ces demi-dieux tombés dans l’arène politique.
Clairvoyant et honnête jusqu’au bout de ses ongles, Pr. Ali Nouhoum Diallo est toujours d’une perspicacité salutaire pour la patrie. Patriote sincère et ami fidèle, il l’est, avec une honnêteté angélique, toujours. Qu’il ait choisi de s’adresser ainsi à son célèbre cadet dénote d’un réel souci d’épargner au Mali bien de mésaventures qui profilent dangereusement à l’horizon, et aussi sans aucun doute parce qu’il a le souhait ardent que celui à qui il s’est adressé rentre digne et fier dans la glorieuse histoire du Mali et non de sortir par la petite porte infâme qui débouche sur la partition du pays. L’homme Ali Nouhoum Diallo n’est pas né de la dernière pluie et il a blanchi sous le harnais du service patriotique. On comprend vite ce qu’il indexe, autant que ses angoisses, son anxiété, ses craintes qui empêchent un honnête citoyen de dormir. On peut donc l’écouter avec intérêt : « Chaque 06 avril, Bilal Ag Chérif commémore avec faste par un défilé militaire grandiose, toutes proportions gardées, au nez et à la barbe de la MINUSMA et de l’opération Barkhane qui ont pour mission de restaurer l’intégrité du Territoire du Mali. Ne vous posez pas de question, voyons! C’est l’éternel Boudeur qui, en connivence avec Bilal Ag Chérif et ses alliés extérieurs, encourage ces commémorations. Le Boudeur qui, pourtant, préconise un réexamen de l’Accord de Bamako issu du processus de Ouagadougou et concocté à Alger ».
Voilà, pour l’histoire, qui fait redouter à présent que l’intégrité du territoire national du Mali est en passe d’être blessée très fortement. Le Poulo Gorko Mawdo Ali Nouhoum Diallo a eu beau jeu, à l’entame de sa missive publique destinée à IBK, de donner à celui-ci les conseils qu’il faut : « Écoute tes amis, tes camarades, tes frères, Écoute ton peuple et, encore une fois, aies plus peur de lui que de tes partenaires étrangers, lesquels représentent des États qui, comme l’ont affirmé plusieurs hommes politiques, n’ont pas d’amis et n’ont que des intérêts. Historien de formation, tu le sais mieux que beaucoup d’entre ceux qui se soucient de la fin heureuse de ton deuxième et dernier mandat au déroulement si sinueux et si cahoteux!… » Il y a comme un réquisitoire pour procès futur, que cela soit pour les temps présents ou dans l’histoire.
Là, il fallait s’y attendre, les suggestions du Professeur de médecine prennent la tournure de thérapie de choc et le goût du remède, toujours à l’adresse d’Ibrahim Boubacar Keïta perché sur l’Olympe : « Aide tes amis, les vrais, à t’aider à sortir par la grande porte de la scène où tu ne te trouves que pour un moment! Ne l’oublie pas… Paie tes ennemis au besoin pour qu’ils te disent la vérité si tes amis ne te la disent pas. Cela, conformément à la vieille sagesse africaine. Ainsi, tu éviteras de procéder à des raisonnements et/ou jugements trop courts et plutôt réducteurs du genre : le Mali est en guerre, nul doute, c’est la bouderie d’un homme qui a déclenché cette guerre! » À partir de là, il y a un glissement, qui n’est pas que sémantique et politique, mais de justice surtout devant le peuple et, très certainement devant l’Éternel. On se serait sûrement plaint de Pr. Ali Nouhoum Diallo s’il n’avait pas abordé dans cette communication la question brûlante de l’heure, à savoir les relations tendues jusqu’à la lisière de la haine entre IBK et Soumaïla Cissé pour lesquelles c’est Sory Ibrahima (pittoresque appellation d’IBK chargée quand même de leçons sociales ancrées dans nos traditions) est jugé le coupable. Mais laissons la parole à l’ancien président de l’Assemblée nationale : « Les députés élus dans l’Adrar des Ifoghas perçoivent leurs indemnités parlementaires et certains d’entre eux, une fois dans la huitième région administrative du Mali, arborent comme écuisson le drapeau de l’Azawad ! À juste titre, tu te révoltes contre cette attitude des représentants de la Nation malienne. C’est sûrement inconsolable Soumi, ton brillant ancien ministre des finances, qui refuse aujourd’hui de t’obéir et continue à payer aux députés leurs indemnités parlementaires indues. » Humour ou ironie, plaisanterie de mauvais goût ou vérité d’airain, ces phrases retiennent le souffle citoyen et donnent à réfléchir aux patriotes. Peut-être que nous ne saisissons pas toute la subtilité de Pr. Ali Nouhoum Diallo. Mais il y a à observer une pause pour mieux entendre quand, s’adressant à IBK, il passe subitement du « tu » à « vous » : « Dites-moi pourquoi Bamanans, Bozos, Dogons, Peulhs, oubliant les pactes séculaires qui les lient, s’entretuent au su et au vu de toutes les forces nationales et internationales chargées de sécuriser les populations maliennes et leurs biens. Osera-t-on nous dire : c’est encore Soumaïla Cissé qui incite à se massacrer ces citoyens maliens du delta intérieur et des zones exondées des 4ème et 5ème régions administratives du Mali ? »
Un phare est placé, il nous permettra certainement de voir plus loin. Ce qui importe, c’est le Mali, la sauvegarde de sa souveraineté et de l’intégrité de son territoire national. Faut-il rappeler ici que l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation a été justement homologuée par l’O.U.A. pour préserver le Mali quand le Maroc n’avait pas encore renoncé à l’idée d’un protectorat sur Tombouctou?
« En toute amitié, ton aîné Ali Nouhoum Diallo, avec le soutien de toutes celles et de tous ceux qui veulent que le Mali prenne son destin en main », conclut l’expéditeur. Mais ce n’est pas la conclusion quant à la préoccupation soulevée. Celle-ci est de savoir si IBK a bien reçu le message avec intérêt ou s’il s’en fout de lui comme de l’An 40. Ce qui est sûr aujourd’hui et qui n’a échappé à personne, c’est que, après avoir publiquement crié qu’Ibrahim Boubacar Keïta ne daigne pas le recevoir depuis un mois, Ousmane Madani Haïdara a été convié dès le lendemain à se rendre au palais de Koulouba. Mais on voit bien Pr. Ali Nouhoum Diallo lire tranquillement son livre sous un arbre dans l’attente d’une hypothétique réception par un dieu de l’Olympe. Comme au bon vieux temps des années 90.
Amadou N’Fa Diallo