samedi 23 novembre 2024
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L’ŒIL DE SONIA : Les miracles de la Mystérieuse femme

Je ne savais pas que tu étais aussi sensible à l’art mon chéri. Beaucoup d’artistes se sont inspirés de l’art africain pour créer leurs œuvres. Je crois (si j’ai bonne mémoire) que ce fut le cas de Modigliani sans doute inspiré par ce côté basique presque naturel que l’on retrouve notamment au niveau des masques et certaines sculptures de l’Afrique.
Je sais aussi que ces représentations à vos yeux ont une grande importance socioculturelle, car elles ont une histoire et sont porteuses de messages, de bons ou mauvais sentiments. A ce sujet, j’ai une petite histoire à te raconter. Jeune épouse comme toutes les femmes je voulais des enfants mais sur ce point c’est la nature qui décide du moment.
Quand j’y pense je me dis que j’étais bien naïve car pétillante de vie et pleine de curiosités. A l’époque rien ne m’arrêtait et je ne pensais qu’à moi, à mon bonheur tout neuf qui éblouissait tout sur mon passage sans même que je m’en aperçoive. Cette euphorie quand on se sent pousser des ailes qui nous laissent supposer que l’on peut tout faire, tout affronter.
Je ne regrette rien de cette jeunesse fougueuse car j’ai connu la passion, l’ivresse et l’amour : celui qui te transporte ! A l’époque, j’avais aussi une passion pour l’art africain qui venait tout juste d’entrer dans ma ville au travers de petites boutiques qui sentaient bon ce mélange de cèdre, des épices, de la chaleur ; l’étrange côtoyant les rondeurs avec des tissus chatoyants s’enroulant sur mon passage.
Atmosphère chargée de toutes ces subtilités qui vous caractérisent. Un microcosme étouffant qui ouvrait au voyage à condition d’être bien attaché. La boutique faisait tourner la tête à la limite de la nausée tellement mes sens étaient désorientés et ne savaient plus ou s’accrocher. Difficile de définir cette impression : un grand bazar bariolé avec une multitude de masques qui observaient chacun de mes mouvements !
Et au fond, dans la pénombre, un ou deux hommes de couleur débordant eux aussi d’un enthousiasme trop grand. Sous le poids de cette accumulation, je vacillais. Et pourtant une force invisible m’attirait. Impossible de poser mon regard sur un seul élément, je me prenais de plein fouet ce raz-de-marée. Il m’a fallu du temps pour m’habituer à cet autre monde parallèle et retrouver mes esprits.

Bercée par une lancinante mélodie
Chacune de mes venues produisait une décharge intense dans cette atmosphère confinée, pleine de secrets avec ce côté terrifiant mais envoutant. Petit à petit, je me suis laissée bercer par cette musique lancinante qui me guidait au travers de ce dédale sans fin car, au fond de la boutique, se trouvait un petit escalier en colimaçon que je n’avais nullement remarqué lors de mes premières visites.
Un microcosme sur 3 étages et toujours cette chaleur opaque, ces couleurs étouffantes et cette sensation d’être observée, d’être dépouillée de mon essence avec cette force invisible qui m’empêcher de faire marche arrière. Une force bienveillante car je n’avais aucune crainte, mais aucune envie d’être dépossédée de mes sens.
Et puis, je ne sais comment, je suis arrivée devant une petite vitrine avec à l’intérieur 4 ou 5 représentations de la femme dans toute sa générosité. De suite, j’ai été attirée irrésistiblement par l’une d’entre elle sans pour autant éprouver un élan de beauté pour cette forme informe blanche comme le lait. Des formes volumineuse avec un postérieur énorme : la nudité à l’état pur immaculé d’un blanc uniforme avec un visage à moitié caché par sa chevelure !
Rien à voir avec l’art africain traditionnel. De la taille d’un gros hérisson dans une position plus que osée avec des rondeurs débordantes : bref rien d’élégant ou d’attirant pour la jeune fille que j’étais ! Et puis au vu du prix, je n’étais pas prête de faire cette acquisition de plus disgracieuse. Je m’en suis retournée sans plus y penser. Et pourtant cette chose étrange a longtemps hanté mon esprit. Il me la fallait car elle m’était destinée.
Une petite œuvre d’art exceptionnelle au vu du prix conséquent. Et pourtant, elle était là à m’attendre, unique en son genre et invisible aux yeux des autres visiteurs. De nature abstraite, un fessier trop lourd, je me demandais comment j’avais pu faire l’achat d’une telle acquisition. Je voulais en savoir un peu plus sur son histoire et j’ai dû patienter quelques jours avant de rencontrer son créateur en visite en France. Il a ainsi pu m’expliquer la relation forte qu’entretenait cette petite merveille venant tout droit du continent africain.
Cette femme blanche représentait dans toute sa nature la plus simple, la fécondité à l’état pur. Il m’a recommandé d’en prendre grand soin et de m’en débarrasser le jour où je ne voudrais plus d’enfant. Je voulais en savoir un peu plus, mais l’homme m’a dit que cela suffisait d’un ton imposant.
J’avais dans les mains une femme difforme avec un visage de marquise me faisant penser à une grosse bourgeoise ne connaissant rien de la vie dans sa boite de velours. Elle a trouvé place sur une commode de ma chambre, seul endroit adéquat pour une telle possession.

Plus jamais de masques africains
Là silencieuse elle est devenue plus belle de jour en jour à un point tel que j’en suis tombée amoureuse. Elle n’avait plus cette extravagance d’un mauvais goût des premiers jours, elle était la splendeur d’un art nouveau, généreuse et pleine de sensibilité.
Mère de 4 beaux enfants, la prédilection était juste car chacun d’entre eux est arrivé naturellement au moment voulu sans effort particulier. L’on peut toujours dire que la nature avait bien fait les choses. Mais, me souvenant du message de son concepteur, je l’ai offerte à l’une de mes connaissances qui essayait depuis plusieurs années d’avoir un second enfant. Le mois suivant, elle est tombée enceinte sans aucun recours à la médecine. Suivant mes conseils, elle l’offrit à une épouse malheureuse car stérile d’après les médecins. Et là le miracle se produisit, elle aussi a eu sans effort un beau bébé. L’histoire pour moi s’arrête là car je n’ai pas cherché à en savoir plus.
Parfois, il faut accepter l’inimaginable, l’inconcevable et je suis certaine que cette femme mystérieuse continue à donner des enfants.
Je suis certaine d’une seule chose, je n’achèterai jamais de masques africains. Là encore je ne saurais te dire pourquoi car cela s’impose sans pour autant que je sache la raison. La boutique n’est plus, à la place des bijoux ethniques mais après toutes ces années, les murs ont conservé cette mémoire d’un autre temps, je la ressens toujours même si elle est faible et presque insignifiante.
Sonia LE REFLET

Djibril Coulibaly

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