Appelé à la rescousse d’un navire en perte de repère pour sauver ce qui peut encore être sauvé après les échecs répétés de ses quatre prédécesseurs à la primature, l’actuel Premier Ministre défriche à petits coups le terrain miné par de nombreux défis liés à la sécurisation du territoire et à une décentralisation digne du nom.
Soumeylou Boubèye Maïga est, certes, en terrain connu de par sa spécialité en questions de sécurité, mais il mesure combien la mission confiée est difficile, voire impossible. Le facteur temps est un handicap parce qu’il ne dispose que six mois tout au plus pour carburer dur. Le successeur d’Abdoulaye Idrissa Maïga doit être également conscient qu’il n’a pas tout à fait les coudées franches par rapport au président IBK avec qui ses premiers ministres ont toujours eu des relations tumultueuses. Du coup, l’on se demande si SBM ne va pas se révéler un médecin après la mort.
Pour autant les difficultés en face de lui sont énormes. Plus de deux ans et demi après la signature de l’Accord de paix, les blocages dans sa mise en œuvre demeurent intacts. Tous les facteurs traditionnels de fragilisation sociale et politique sont réunis: crises agricoles, pauvreté endémique, revendications régionales, injustices sociales, État absent, élites corrompues et, plus encore, tensions ethniques qui ralentissent la reconstruction nationale, etc.
Par voie de conséquence, la seule réponse sécuritaire est insuffisante ; car, les conflits violents prospèrent et s’alimentent de la faiblesse de l’État, non pas seulement de celle de ses forces armées, mais du faible investissement dans les services publics et plus encore de l’absence de décentralisation réelle qui permettrait pourtant de répondre aux pressions exercées par les mouvements armés cherchant à avoir davantage de contrôle et de participation dans le processus politique.
En réalité, la crise malienne est telle que la notion même de « pays » semble ne plus exister que sur le papier. Le vide sécuritaire et administratif dans 80% du territoire fait que les frontières, les circonscriptions et les collectivités territoriales, l’administration publique au sens large et son Gouvernement, deviennent une abstraction pour des pans entiers de la population. Dans ce contexte, peut-on encore parler de paix ?
Peut-on encore attendre les fameux « dividendes » de l’Accord au profit des populations lorsqu’une « guerre invisible » perdure dans un vide sécuritaire toujours propice à la prolifération des groupes djihadistes et à leurs discours religieux ? Que fait l’État malien face à cette situation ? A-t-il les moyens de reprendre la situation en main et d’éviter que le Mali ne tombe, comme la Libye, dans un chaos et une anarchie généralisés où seule règnerait la loi du plus fort ?
On aimerait poser la question : que fait le Gouvernement ?
Cependant, il n’y a pas eu un Gouvernement unitaire, mais une succession, sous la Présidence d’Ibrahim Boubacar Kéïta, de cinq Premiers ministres et de pas moins de sept gouvernements. Or, vu qu’un gouvernement est un outil de mise en œuvre d’une politique elle-même fondée sur une vision, ce jeu de chaise musicale ne fait qu’illustrer un pouvoir tâtonnant et l’absence d’une vision constante du Chef de l’État.
Toutefois, la désignation de Soumeylou Boubèye Maïga (Spécialiste des questions de sécurité et de défense) à la tête du Gouvernement fait penser que le Président souhaite résolument agir contre la dégradation du climat sécuritaire, dans, notamment, l’optique d’assurer les conditions de l’agenda électoral dont le sien propre, soit dit en passant.
Le nouveau Premier Ministre l’assure : «Il faut lutter contre les groupes terroristes et en même temps engager une série d’actions urgentes pour rétablir la confiance en l’État des Habitants du Centre et du Nord ». Pour « regagner le cœur et l’esprit » des populations, le Gouvernement annonce déployer très prochainement un volume important de forces militaires et sécuritaires, le redéploiement de l’Administration et l’installation des services publics pour répondre aux besoins d’éducation, de santé, de sécurité alimentaire et de justice.
Cet objectif de bon sens, pragmatique et incontestable, intervenant près de trois années après la signature de l’accord, suscite, cependant, des interrogations bien légitimes. Pourquoi avoir laissé la situation se dégrader avant de réaliser ces évidences et de proposer des recettes connues de tous et depuis longtemps ? Si les moyens techniques, humains et financiers sont réellement disponibles pour agir selon les orientations du nouveau Premier Ministre, pourquoi ne pas les avoir déployés plus tôt ? Plus encore, quels sont les moyens effectifs de l’Etat à répondre à la crise et plus particulièrement sa capacité réelle à redéployer son Administration et à reconstruire ses institutions régaliennes : l’appareil d’État? Il faudra une potion magique au Premier Ministre SBM pour sauver le moribond.
Katito WADADA : LE COMBAT