En remontant à seulement l’année 2012, le Mali a vécu des crises quasi existentielles dont aucune n’a été totalement maîtrisée. Bien au contraire, les spectres des différents soubresauts sont demeurés comme des lames de fond aux resurgissements imprévisibles.
Le week-end dernier, à bien des égards, a été comme le retour des vieux démons qui ne rigolent pas. Toutes cornes visibles, ils ne réapparaissent pas pour troubler seulement le sommeil des seuls gouvernants, mais ils sont résolus à mettre dangereusement toute la république sur la sellette, quitte à provoquer incognito la chute du pouvoir régnant.Le premier diablotin de la rupture programmée, voire de la discorde recherchée, a pour nom Mahmoud Dicko, fringant ancien président du Haut Conseil Islamique du Mali, auréolé par ailleurs d’une éclatante victoire contre l’enseignement de l’homosexualité dans nos écoles sous la pittoresque dénomination de « la politique d’éducation sexuelle complète »; victoire qu’il a remportée de haute lutte, obligeant le Premier ministre de l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga, et peut-être le président de la République aussi, à faire piteusement le pas de côté. Depuis, l’homme a quitté la tête du haut organisme islamique, mais il ne chôme pas. Il a créé un mouvement, qui a tous les habillages d’une association politique, sans doute pour respecter la norme édictée par la conférence nationale de 1992, laquelle a interdit la création au Mali des partis politiques à vocation religieuse. Mahmoud Dicko peut donc demeurer le plus légalement du monde dans l’arène politique, sans être accusé de diriger un parti politique islamique. Et c’est depuis ce tremplin commode qu’il appelle les citoyens à un meeting géant tenu le week-end passé. Pas pour faire de la frime, mais pour délivrer un message qui n’est rien de moins qu’un ultimatum adressé au pouvoir, donc au chef de l’État et au gouvernement : si d’ici le vendredi prochain 6 mars, les gouvernants ne trouvent pas les bonnes solutions au problème de l’école malienne, entre autres souffrances du pays, les Maliens prendront leur destin en main. De Kidira à Kidal, ils sortiront pour se faire entendre, « avec bâtons et haches ». Cette dernière expression, qui ne peut dire autre chose que les indispensables armes pour une insurrection populaire sanglante, Dicko la rattrapera vite en homme expérimenté, par « …je ne dis pas que nous sortirons dès ce vendredi avec des bâtons… » Le mot est en tout cas lâché et rien ne surprendra encore. En effet, un ultimatum adressé aux autorités pour trouver en une semaine les solutions satisfaisantes à un problème si profond que celui de l’école publique nationale, c’est tout simplement prendre le pouvoir à la gorge. Qu’à cela ne tienne, avec une de ces ruses dignes de Sioux, Mahmoud Dicko évente ce que le Premier ministre, « mon fils » près de « mon grand-frère » , lui a confié en privé à propos des blindés inappropriés achetés par le Mali à coups de milliards de francs CFA, sur la base des recommandations de certains officiers de l’armée nationale envoyés préalablement en mission d’information. Le très patriote Mahmoud Dicko peut lancer, avec une feinte espièglerie, qu’il aime bien son fils et son grand-frère qui sont malgré tout à ses yeux quantité négligeable par rapport au Mali, s’il doit les mettre en balance. Le message ne souffre d’aucune ambiguïté : le combatif imam est prêt, au nom du Mali, à en découdre avec le pouvoir défaillant. Les précautions indispensables ont été prises, notamment la trêve qu’il a demandé à Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa d’observer et que ces derniers auraient acceptée. Les préparatifs, tous les préparatifs, sont donc terminés. Il ne tient plus qu’à l’État d’empêcher l’ouverture des hostilités en ne perdant pas de vue l’ultimatum lancé. Or, à compter de ce mardi, vendredi prochain est dans seulement trois petits jours. Le second démon du week-end écoulé, ce sont les meetings tenus par les populations dogon du centre du pays, la région de Mopti. Pas que ces citoyens en légitime colère soient eux-mêmes des démons, mais parce que leurs manifestations expriment la colère du diable qui ne fait aucun cadeau. À Bamako, les ressortissants dogons sont sortis en grappes pour prendre d’assaut le monument de l’indépendance. Leur message est clair : ils ne reconnaissent plus Boubou Cissé comme Premier ministre et ils sont solidairement engagés à se faire respecter, sous-entendu à prendre en main la gouvernance de leurs terroirs, libre à IBK de le comprendre. À Bandiagara, les populations, comme pour donner un écho lointain au meeting des leurs à Bamako, sont massivement sorties pour marcher dans les rues de leur ville. Un seul message était scandé : « Démission de Boubou Cissé ». Les jours prochains risquent d’être riches en développements inattendus.
Démourou Bah