Usant de son pouvoir régalien, le Président de la République vient d’engager une procédure de révision constitutionnelle. Depuis, c’est un véritable branle-bas de combat. L’opposition s’est mobilisée et, même si elle ne présente pas un front uni, a décidé de barrer la voie à ce qu’elle considère comme un acte aussi bien inutile qu’inopportun : ce n’est pas le moment, il ya d’autres priorités, cela viole tel article de la Constitution, c’est pour mettre fin à la séparation des pouvoirs en les concentrant entre les mains d’un seul homme…
Le pouvoir se justifie : un toilettage de la loi fondamentale est devenu indispensable pour renforcer les acquis démocratiques, la révision est exigée par la nécessité de mettre en application certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, ce n’est pas une « révision de confort » mais une exigence de la Communauté internationale.
La révision constitutionnelle ne saurait laisser indifférent. La levée de boucliers, les chaudes empoignades qu’elle a suscitées en témoigne, comme le débat sur Radio Klédu du vendredi 16 juin 2017 suivie de la marche de protestation du samedi 17 juin.
Il ne s’agit pas de se tenir à l’écart du débat, de se comporter tel Néron quand Rome brûle… Cependant, y participer, suppose se comporter en n’ayant en vue que l’intérêt supérieur de la Nation : poser sereinement le problème, l’étudier sans passion et formuler des recommandations, expression d’une vision qui est celle d’un Mali réhabilité dans son intégrité, son honneur et sa dignité.
Tout à fait le contraire de l’actuel débat entre majorité et opposition. A y regarder de près, en effet, ce débat s’appréhende comme un prétexte pour vider des querelles entre les acteurs des événements de mars 1991 tombés et pris dans les rets de leurs contradictions.Les intéressés, déclenchant l’insurrection qui a eu comme conséquence, vingt-cinq ans après les faits, l’effondrement du Mali, n’étaient d’accord que sur un point : instaurer le multipartisme au mieux de leurs intérêts individuels ; d’où la guéguerre qui s’est installée entre eux depuis lors.
Tout de suite après la chute de la Deuxième République, au lieu de se retrouver entre patriotes pour constituer un front uni, réfléchir au devenir du pays et mettre en place une équipe gouvernementale compétente, ils se sont positionnés pour le « partage des dépouilles » ; d’où les scissions dont ils continuent de pâtir.
Aujourd’hui, le débat oppose, à une majorité qui doute d’elle-même, une opposition éclatée. Le RPM veut faire aboutir la révision constitutionnelle, parce qu’il n’a d’autre choix. Ayant mal négocié l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, devant assumer les conséquences désastreuses de l’Entente pour la mise en place des autorités intérimaires, il conçoit cette révision comme un moyen de donner des gages de sa bonne volonté pour le retour de la paix et de la sécurité au Mali.
Il est difficile, voire impossible de souscrire à son argumentation pour une révision de la loi fondamentale, argumentation dont le fondement est l’incapacité dans laquelle se trouve les tenants du pouvoir pour résoudre les problèmes du Mali. En effet, il ne faut pas s’y méprendre, le RPM, le pouvoir, se fourvoie de nouveau. Au cas où il ferait adopter par référendum la révision constitutionnelle, il ne renforcera en rien la démocratie au Mali, ne fera nullement progresser le pays vers la paix, la sécurité et la stabilité. Les gages qu’il va donner auront, comme destinataires, la Communauté internationale et la rébellion.
Pire, approuvée par le peuple en l’état, la Constitution amendée ouvrirait la voie à plus d’une dérive : l’exécutif pourrait de nouveau la réviser à sa guise pour y inscrire tout ce qu’il a été contraint de rejeter car l’article 143 dispose : « Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès… » Le peuple ainsi mis à l’écart, l’exécutif, s’appuyant sur ces majorités mécaniques que nous connaissons avec nos démocraties tropicalisées, pourrait aisément mettre dans la Constitution ce que bon lui semble.
L’opposition est-elle crédible ? Il est permis d’en douter. Ce qui est surprenant est que sa dénonciation porte, non sur les risques de partition du pays, mais, essentiellement, sur trois points :
■l’inadéquation du moment choisi pour procéder à la révision, ce qui constitue une violation de l’article 132 de la loi fondamentale, plus des 2/3 du pays échappant au contrôle de l’Etat ;
■les « pouvoirs exorbitants » que la révision conférerait au président de la République : elle ferait passer le Mali d’un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel ;
■l’inutilité du Sénat perçu comme une institution inutilement budgétivore.
L’unanimité sur ces trois points ne fait pas cependant de l’opposition un front uni. Les motivations ne sont pas les mêmes ; elles font établir une distinction nettement tranchée entre trois tendances.
La première est celle de l’opposition parlementaire (VRD) qui, en s’opposant, ne fait que jouer sa partition à l’Assemblée Nationale ;
La deuxième est une opposition extra-parlementaire qui ne dit pas son nom, qui rassemble ceux qui ont eu à diriger le pays durant les années 1992-2002 et qui, pour préserver ce qui leur reste des avantages acquis durant cette période, se sont regroupés au sein d’une plateforme dont certains membres se sont arrogés le droit de se constituer en « sentinelles de la démocratie ». Ces derniers considèrent le parti au pouvoir comme constitué d’anciens compagnons de route qu’ils ont expulsés de leurs rangs à la faveur de leur congrès d’octobre 2000 et à qui, actuellement, il ne faut pas rendre la tâche aisée.
Enfin, il existe une seconde opposition extra parlementaire dont le premier responsable considère la Constitution du 25 février 1992 comme son « bébé » auquel il ne faut pas toucher.
Face à ces différentes prises de position, les patriotes gagneraient à s’en tenir à une ligne de conduire préservant l’essentiel. La révision telle que retenue par l’Assemblée Nationale donne satisfaction sur l’essentiel, à condition que l’on ne triche en l’appliquant. Ce qu’il faut redouter aujourd’hui, ce n’est ni une présidentialisation du régime ni l’institution d’un Sénat ; ce qui doit retenir l’attention n’est pas de savoir si la Constitution est violée ou ne l’est pas. Le vrai péril se situe ailleurs : c’est la dislocation du Mali. Se mobiliser pour empêcher cela revient à ne pas occulter le vrai combat.
Diaoullèn Karamoko Diarra LE SURSAUT