Etre Malien ! Un privilège qui, naguère, était source d’une grande fierté pour celui ou celle qui pouvait s’en prévaloir… Hélas !
Aujourd’hui, être Malien a tendance à être, plus qu’un challenge ou un honneur, un fardeau. Brimé et sans cesse humilié à l’extérieur de nos frontières (la nombreuse diaspora en témoignera éloquemment), il subit pire dans son propre pays. Le Malien lambda n’est rien pour les autorités publiques, les sociétés publiques ou privées.
La preuve, c’est que pour avoir le moindre document ou le moindre service, il faut trimer. Et même pour des services qui ne sont pas gratuits et qui peuvent beaucoup rapporter au Trésor public ou aux entreprises privées.
Il faut s’armer de patience pour avoir un certificat de nationalité, un casier judiciaire… Il faut avoir un courage indien (si on n’a pas les moyens de corrompre et le bras suffisamment long) pour avoir une simple pièce d’identité (carte d’Identité ou passeport) détournée au profit des étrangers qui ne revendiquent leur malianité que lorsqu’ils commettent des délits ou crimes.
Ce mardi, il est 5 h du matin. Nous avions décidé de faire la prière de l’aube dans une mosquée et continuer notre jogging matinal. Devant l’un des nombreux commissariats de Bamako, un petit groupe de citoyens se serrent sur un banc à la porte. Ils sont demandeurs de carte d’identité (CI). Et ils ne sont pas autorisés à entrer dans la cour avant 7 h 45, début de la journée de travail.
Parmi eux une jeune dame avec un bébé qui ne semble pas en bonne santé. Il tousse et ne cesse de pleurer. « Je dois voyager demain pour passer quelques jours dans ma famille. Je me suis rendue compte que ma carte d’identité est périmée », se lamente-t-elle.
« La semaine dernière, je me suis présentée deux fois au commissariat et chaque fois on me disait que le quota quotidien est bouclé et qu’il faut revenir le lendemain. C’est finalement une amie qui m’a dit que pour avoir cette pièce, il faut dormir au commissariat ou négocier avec un policier », nous répond-elle lorsque nous lui avons reproché d’être sortie dans la fraicheur matinale avec un bébé malade.
Ce système, nous l’avions nous-même expérimenté il y a quelques années. Ainsi, dès 4 h du matin, au 5e arrondissement en Commune IV, il fut un moment où les demandeurs étaient cantonnés de l’autre côté de l’avenue Cheikh Zayed, vers la Cité Goudiaby. « Pour des raisons de sécurité », avions-nous appris.
Et malgré ces heures de sommeil sacrifiées, ce n’était pas sûr d’avoir la CI parce que le quota du jour dépendait des policiers du jour et surtout de leurs intérêts du réseau parallèle qui existe dans plusieurs commissariats. A ce niveau, il faut débourser au moins 5000 F CFA pour avoir sa carte d’identité le même jour et sans faire le rang.
C’est le même système pour avoir n’importe quel document aujourd’hui à Bamako. La preuve est cette marée humaine qu’on voit depuis des semaines devant la mairie du district pour obtenir « une maudite vignette » pour des engins à deux roues. Comme le déplore un confrère « aigri » : « C’est fait sciemment afin de profiter au maximum de la fraude ».
La situation est pire à Korofina pour obtenir un Numéro d’identification nationale (Nina). Certains y passent des nuits pendant une semaine sans être servis. Et pourtant, en une matinée, d’autres ont gain de cause par le canal du circuit parallèle. C’est aussi le même calvaire pour avoir un permis, un passeport…
A EDM, Sotelma/Malitel, Orange-Mali… le Malien n’est pas traité non plus avec plus d’égard ou de considération que l’on doit à un client. Pour avoir un compteur EDM ou une installation de la Somagep, il faut vraiment être patient si on a la vertu de ne pas passer par « les chemins les plus courts ». Il y a plus d’un an, pour installer à la maison une connexion wifi indispensable à notre travail, il nous a fallu au moins deux mois avec des rendez-vous jamais respectés.
Comme si la souffrance et la galère dans laquelle nous vivons ne suffisaient, il faut souffrir le martyre pour exister et s’affirmer comme Malien. Que dalle ! Ceux qui ont une portion de pouvoir s’enfichent. Cela ne les émeut pas. Au contraire, ils semblent y tirer une satisfaction machiavélique. Sans compter que ce trafic est aussi leur vache laitière.
Ces dernières années, le Mali a entrepris des réformes nombreuses sous la pression de ses PTF afin d’améliorer son soi-disant climat des affaires et ainsi améliorer son classement au Doing Busines. Mais, comment un pays peut-il aspirer à l’émergence alors que le pouvoir est incapable d’installer dans chaque commune de la capitale un centre de délivrance des pièces d’identité crédibles et efficaces ?
Comment un régime peut-il prétendre œuvrer contre la pauvreté alors que les citoyens sont contraints de sacrifier des journées de travail pour avoir une simple vignette ou des documents d’identification ou de travail ?
C’est cruellement révoltant que, après 57 ans d’indépendance, nos dirigeants soient encore dans la théorie de l’utopie comme stratégie de développement de nos Etats.
Comme le dit notre amie activiste/bloggeuse Tétou KKK, « la souffrance est vécue de la même manière ». Cette situation doit avant tout être une « une honte, et d’abord » pour nos dirigeants, même s’ils ne semblent plus avoir de conscience pour s’émouvoir des difficultés du Malien lambda.
Mais, nous y avons aussi notre part de responsabilité, car, comme le rappelle la très engagée Tétou, « tout peuple qui se complaît dans l’auto-flagellation, l’inertie, défend des hommes crapuleux au lieu de causes nobles, est condamné à souffrir, car c’est contraire au bon sens, à la foi » !
Il est temps de mettre fin à ce silence coupable, à cette indifférence complice. Arrêtons de subir ! Il faut se révolter pour se faire respecter et être traité en citoyen, en humain…
Hamady Tamba LE REFLET