L’Afrique a des idées (1). A Bamako, un fab-lab développe des projets connectés pour lutter contre la pandémie et veut partager gratuitement ses innovations.
S’il existe un lieu commun à la genèse de nombreux inventeurs, c’est le garage aménagé en laboratoire. Dans celui que Youssouf Sall partage avec ses trois jeunes camarades Foussine, Mohamed et Alpha, en banlieue de Bamako, les câbles électriques s’entremêlent et sillonnent entre tournevis, tasses à café, ordinateurs poussiéreux, perceuse et ampèremètre. Un enchevêtrement de matériels qui trahit un fourmillement d’idées. Depuis que le nouveau coronavirus est entré au Mali, le 25 mars, elles abondent dans les cerveaux des quatre compères. En moins d’un mois, ils ont développé cinq projets connectés pour lutter contre la pandémie : un robot pulvérisateur qui nettoie les hôpitaux, un portique désinfectant qui asperge les passants, une station de lavage des mains automatisée, un chatbot et un prototype de respirateur artificiel.
« Nous avons tous été pris de court par ce virus, raconte Youssouf, 30 ans. Mais très rapidement on s’est demandé comment nous, jeunes entrepreneurs, programmeur, électronicien et ingénieur, on pouvait mettre à contribution nos compétences pour sauver des vies. » Pensif, il tourne entre ses doigts une Arduino, cette carte électronique révolutionnaire dotée d’un microcontrôleur qui sert de « cerveau » à de nombreuses applications de domotique et de robotique.
Questions des internautes
Tout remonte à elle. Lorsqu’il apprend à s’en servir via des cours en ligne recommandés par son mentor, Tidiane Ball, un touche-à-tout, médecin, entrepreneur, Youssouf découvre soudain l’étendue des possibilités que permet cet univers des objets intelligents et connectés. En 2016, il claque la porte de l’université et lance sa société de vente de matériel électronique. Le docteur Ball, déjà fondateur de Malisanté.org, premier site d’information médicale du Mali, et de Doctix.net, une plateforme de prise de rendez-vous médicaux, lui propose alors d’installer dans son garage un fab-lab. Un laboratoire de fabrication qui s’appuie sur la charte édictée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), prestigieuse université américaine. Ils le nomment DoniFab. Doni signifiant « savoir » en bambara, principale langue nationale du Mali.
Les crises servent souvent de déclencheur aux innovations. Alors que la pandémie gagne le continent, la petite équipe lance ses deux premiers projets le 23 mars, deux jours avant l’apparition du virus au Mali. Une application mobile nommée Zimblin fournit des messages vocaux de sensibilisation en bambara, rappelle les gestes barrières et communique les dernières statistiques de l’évolution du virus en se basant sur les données de l’université Johns-Hopkins. Et un programme conversationnel, ou chatbot, répond aux questions des internautes via la messagerie WhatsApp. « On peut lui demander quelle est la différence entre le Covid-19 et les coronavirus, quelles sont les voies de transmission, les symptômes, les consignes à respecter, etc. », précise Youssouf. En un mois d’utilisation, le chatbot a répondu à 37 000 messages.
Bien en jambes, les quatre jeunes s’attellent dans la foulée à une série d’autres projets : un dispositif de lavage des mains pour les espaces publics qui, muni d’une cellule photoélectrique, active sans contact robinet et savon ; un portique déclenchant une aspersion pour décontaminer les vêtements ; un robot pulvérisateur télécommandé qui permet d’arroser des chambres de solution désinfectante. Mais petite équipe oblige, les deux derniers projets sont mis de côté. « Nous préférons concentrer nos forces sur le chatbot, le kit de lavage des mains et, surtout, le respirateur, notre projet le plus prometteur », avance Youssouf.
Le premier prototype déploie un mécanisme qui appuie sur un insufflateur manuel. « Cela permet de remplacer la main de l’infirmier ou de l’ambulancier, mais ce n’est pas encore un respirateur à proprement parler, explique Youssouf. Il peut aider un patient qui a besoin d’un supplément d’oxygène pour se stabiliser mais n’est pas suffisant s’il est dans un état critique. » Grâce aux relations du docteur Tidiane Ball, la petite équipe a présenté sa machine aux médecins de l’hôpital public Point G, le plus grand du Mali. « Les médecins nous ont permis de cerner les défis à surmonter pour transformer notre insufflateur en véritable respirateur, raconte Youssouf. Notre machine devra respecter plusieurs paramètres, de la fréquence respiratoire au temps plateau, à la pression et à la quantité d’air envoyée. Un respirateur doit être précis. Il faut respecter des cycles. La vie d’une personne en dépend. Certains patients ont besoin de plus de pression ou de moins de vitesse que d’autres, par exemple. »
« Pour le bien de tous »
Le premier modèle muni d’un électrocardiogramme est prévu pour la mi-mai. Il passera ensuite de nouveaux tests au Point G. Les jeunes ingénieurs pourront alors lancer une collecte de fonds afin de financer vingt appareils dans un premier temps. Le coût d’une unité est estimé à 250 000 francs CFA (381 euros). « On veut que notre machine fonctionne même pour les cas d’intubation où elle devra complètement remplacer l’appareil respiratoire. Si on veut faire quelque chose de solide, il faut qu’on ait l’appui des médecins », soutient encore Youssouf.
Dans ce pays de 19 millions d’habitants, l’un des plus pauvres du monde, seul 56 respirateurs sont disponibles. Soixante autres ont été commandés à la Chine, mais ils ne seront pas disponibles avant des semaines. Mardi 19 mai, le pays comptait 874 cas positifs et 52 décès. Les difficultés de prise en charge et le faible nombre de tests réalisés rendent le décompte exact des personnes atteintes par la maladie difficile. « Une fois notre prototype de respirateur validé, on prévoit d’en diffuser gratuitement les plans sur la plateforme de développeurs GitHub, en open source. C’est ça l’idée du fab-lab, affirme Youssouf. On n’est pas dans une logique de brevet, mais du partage libre de la connaissance acquise, pour le bien de tous. »
Une volonté qu’il étend jusqu’à une redistribution des connaissances. « L’Afrique ne fait que consommer du savoir, martèle-t-il. Si on a les moyens de contribuer, laissez-nous contribuer. L’Afrique peut apporter de la compétence, de l’intelligence et de l’innovation. Le seul problème est qu’il n’y a pas d’environnement qui permet à cette créativité de se développer. » Raison pour laquelle il veut créer une start-up d’équipements médicaux une fois la crise passée. « Tant de choses manquent, du matériel de stérilisation, aux réfrigérateurs, aux sondes médicales, poursuit-il. Ces équipements, le DoniFab pourrait les développer ». Aucun doute chez Youssouf, la crise sanitaire est aussi une opportunité.
Source : Le monde