Malgré le bilan calamiteux du régime congolais, un des pus riches du continent africain en pétrole, le président Sassou est extrêmement courtisé par la classe politique française. Une enquête d’Eric Laffite
Depuis 40 ans Denis Sassou N’Guesso préside d’une main de fer aux destinées de la petite République du Congo (4 millions d’habitants). A 72 ans, « le tyran d’Oyo », du nom de sa ville natale, s’apprête à rempiler et à briguer en 2021, un énième mandat présidentiel. Une consultation électorale tronquée comme à l’habitude. Lors de la dernière présidentielle, en 2016, deux de ses rivaux, Okombi Salissa et Jean Michel Mokoko ont écopé chacun de 20 ans de réclusion criminelle pour avoir remis en cause le résultat… Voilà pour de climat de la dictature tropicale.
Pour son malheur, le Congo-Brazza est riche, très riche en pétrole, (300 000 barils/jours). Cette manne ne profite pourtant qu’à la nomenklatura au pouvoir, soit Sassou et son clan, et alimente des comptes secrets en Chine ou dans les paradis fiscaux Après un demi-siècle de pourvoir, Sassou N’Guesso affiche un bilan économique et humain désastreux. Malgré l’or noir, le pays reste l’un des plus pauvres d’Afrique centrale et figure dans les classements internationaux comme l’un des plus corrompus de la planète.
Sur le plan politique ce n’est pas plus brillant : le dernier rapport de l’Observatoire congolais des Droits de l’Homme (OCDH) donne un éclairage saisissant des libertés dont jouissent les congolais au quotidien.
Autant dire qu’avec de tels états de sévices, le président congolais n’est guère jugé fréquentable. Emmanuel Macron, pour l’heure lui bat froid et ne l’a toujours pas reçu publiquement. Voila pour l’affichage. Il reste que son ministre des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian, qui fut à la tète du ministère de la Défense sous Hollande, possède son rond de serviette chez Sassou.
Souvenons nous que quelques semaines après avoir été licencié de son poste de chargé de mission à l’Elysée, en octobre 2019, Alexandre Benalla atterrissait en jet privé. Muni de son passeport diplomatique qu’on avait oublié de lui retirer, de son téléphone cryptée, Benalla est donc reçu, -privilège rare- à dîner par Sassou !
Plus ou moins discrets, les messagers entre Paris et Brazzaville sont nombreux et influents.
Sassou, on l’aime !
Le président Sassou est en réalité en coulisses l’un des hommes les plus courtisés du continent par la classe politique et l’establishment français. Gauche, droite, centre, on se bouscule pour être reçu à Mpila, le palais présidentiel.
La plus assidue est sans contestation possible Yamina Benguigui, ministre de la Francophonie de François Hollande: « Une vraie fan de Sassou »assure un opposant : « elle va jouer en 2015 un rôle important dans la promotion du referendum sur la Constitution. Yamina assure en outre le lien entre Paris Alger et Brazzaville. Aujourd’hui encore, elle est constamment fourrée à Oyo où elle s’occupe désormais de la communication écologique de Sassou, du « Fonds bleu pour le bassin du Congo» précise notre interlocuteur. .
Seuls les plus méritants sont en effet conviés à Oyo, fief du clan Mbochi qui truste tous les leviers du pouvoir (armée, finances) et surtout la manne pétrolière pompée par des majors étrangères Total, ENI etc.
Oyo, c’est donc le Graal. C’est là, bien plus que dans la capitale que se traitent les affaires sérieuses. Ne vient pas qui veut dans cette grosse bourgade sur les bords de l’Alima, (un affluent du Congo), où, les jours de marché l’on peut acheter des crocodiles vivants entre deux séminaires sur la préservation de la forêt du bassin du Congo.
Ici c’est le domaine exclusif du Président congolais et nulle autre autorité que celle de Sassou ne s’y exerce.
Le boulet de la dette.
L’actualité congolaise de ces derniers mois a été dominée par la dette du pays. Une question de vie ou de mort pour le régime. Une nouvelle fois le pays est en effet en ruine.
L’opacité des comptes publics congolais est telle qu’il a fallu des mois pour simplement évaluer la dette réelle du pays alors que Brazzaville renégociait celle-ci avec le FMI. 77% ? du PIB ? 80% ? 120% ? Nul ne le sait en vérité.
C’est l’une des raisons pour laquelle il a fallu pas moins de deux ans pour qu’un accord intervienne ces toutes dernières semaines entre le Congo-Brazza et le FMI.
L’autre difficulté de taille consistait à trouver un accord avec la Chine pour restructurer une dette évaluée à 9 milliards de S et dont Pékin détient plus de 30 %
Un exploit qui doit principalement aux efforts de Dominique Strauss Kahn, ex patron du Fonds monétaire international et dont on sait comment il est brutalement passé du statut de favori – socialiste à la présidentielle en 2012, et de son siège de patron du FMI à pensionnaire d’un sombre cachot de la prison cellule de Rikers Island.
En mars dernier DSK, pour fruit de ses efforts, était donc récompensé par une invitation à Oyo. On a pu le voir ainsi déambuler au bras de sa compagne Myriam L’Aouffir, ceci pour –officiellement assister à l’inauguration d’une nouvelle basilique, Notre-Dame de l’Assomption, « offerte » par DSN à l’église catholique.
Sassou vaut bien une messe !
DSK n’est pas venu seul. A ses cotés un fringant quinquagénaire, archétype de la gauche néo socialiste branchée Mattieu Pigasse. Ex conseiller de Dominique Strauss-Kahn à Bercy et de Laurent Fabius, Matthieu Pigasse est sans conteste un homme de « gauche » et un acteur majeur de la presse française. Actionnaire jusqu’à une date récente du quotidien « le Monde », il est aussi le patron du « Huffington Post » et des «Inrockuptibles ».
Mattieu Pigasse est encore le discret neveu de Jean-Paul Pigasse, l’un des hommes les plus influents et les plus puissant de la République du Congo.
« Oncle Pigasse » est notamment le patron des « Dépêches de Brazzaville », unique quotidien du pays et qui à ce titre tient lieu de « Journal Officiel ». La relation entre et le neveu est longtemps restée très discrète.
Mais le véritable cœur de métier de Mattieu Pigasse reste la banque. Patron de Lazard France, et c’est bien là la raison de sa présence à Oyo.
En 2010 déjà, la banque Lazard et DSK s’étaient portés au chevet de la dette congolaise. Avec succès en parvenant à obtenir l’effacement de celle-ci à hauteur 5 milliards de dollars.
Sans l’effacement de ses dettes en 2010, par l’ami Dominique Strauss Kahn, alors tout puissant patron du FMI, jamais le Congo n’aurait accédé aux crédits considérables dont il a bénéficié ensuite auprès de la Chine.
En juillet 2012, lors d’une visite de courtoisie à Brazzaville, Pigasse, es qualité de directeur général de Lazard France, peignait le petit Congo comme un pays riche, au potentiel extraordinaire et dans lequel il était urgent d’investir. L’eldorado !
Cinq ans plus tard le pays était pourtant à nouveau ruiné et en cessation de paiement. Qu’a cela ne tienne, en dépit de cette fâcheuse erreur de pronostic, Lazard obtenait en 2018 un nouveau mandat (sans appel d’offres internationales) pour « assainir » à nouveau une dette record de 9 milliards.
L’une des difficultés principales de ces nouvelles négociations résidaient dans le fait d’amener les chinois principaux créanciers de l’état congolais à la table des négociations.
Et c’est donc la performance à laquelle est parvenu le tandem DSK –Pigasse.
« Pigasse et DSK viennent de créer un modèle de restructuration de la dette chinoise sur le continent Un modèle, un savoir faire, qui va se revendre dans de nombreux pays africains et cela, ca vaut de l’or » commente un observateur de la partie qui vient de se jouer.
Ceci a t-il a voir cela ? Dans la foulée immédiate de ce succès, Matthieu Pigasse obtenait une fulgurante promotion en prenant la co-direction « mondiale » de Lazard.
Les ex -Strauss Kahnien en pincent décidément pour Sassou. Ainsi rappelle Marc Endeweld qui vient de publier « Le Grand Manipulateur : les réseaux secrets de Macron » c’est Stéphane Fouks, de chez Havas (et Bolloré) qui pilote la communication du dictateur congolais.
Citons également le cas de Michèle Sabban. Ex- vice présidente de la région île de France, inconditionnelle de DSK, Mme Sabban est désormais une croisée de l’écologie via l’ONG « R20 » fondée par Arnold Schwarzenegger. Elle préside aussi un « Fonds vert pour les femmes ». Une belle opportunité pour « greenwasher » le défenseur de la planète Sassou comme en témoigne sa présence lors d’un fastueux dîner au Crillon en décembre 2017.
Un petit film tourné à cette occasion, montre certaines des plus éminentes figures des droits de l’homme, à l’abri des portes solidement capitonnées du Palace parisien, se prosterner devant un Sassou hilare et pas dupe pour ….un sou. .
Toutefois en ce mois de mars 2019, DSK et Pigasse ne sont les seuls fidèles français à se recueillir pieusement dans la nouvelle basilique.
Citons la présence de Michel Roussin, l’infatigable missi dominici de Vincent Bolloré, dont le groupe contrôle le port de Pointe Noire, porte d’entrée stratégique sur le golfe de Guinée vers le cœur de l’Afrique.
Jean Yves Ollivier : « Ni vu ni connu »
Moins connu mais incontournable, Jean Yves Ollivier, est l’un des maillons les plus puissants du lobby Sassou. Officiellement modeste « consul honoraire du Mozambique au Congo », Ollivier – 74 ans- vit dans le sillage de Sassou depuis plus de 34 ans. : Sassou c’est « mon frère » mon « jumeau », aime a psalmodier ce professionnel de la diplomatie parallèle, auteur en 2014 d’une autobiographie intitulée « Ni vu ni connu : Ma vie de négociant en politique de Chirac et Foccart à Mandela ». (Fayard)
Ollivier fait ses classes dans les années 70 dans le sillage du « milliardaire rouge », Jean Baptiste Doumeng. Magnat de l’agro-alimentaire, Doumeng, en pleine guerre froide, et alors que l’Urss est soumise à divers embargo, commerce abondamment avec le paradis des travailleurs et devient ainsi un spécialiste du contournement des embargos. Un savoir faire que Jean Yves Ollivier exportera en Afrique où il jouera un rôle non négligeable en soutenant et commerçant et – pas seulement du blé – avec de nombreux mouvements de libération nationale, Renamo, MPLA ANC : « En faisant aussi des affaires avec les adversaires de ces derniers » soutiennent quelques mauvaises langues, en pointant les bonne relations qu’aurait entretenu Ollivier avec « l’affreux » mercenaire français Bob Denard mais aussi avec l’OAS pendant la guerre d’Algérie.
Aujourd’hui Jean –Yves Ollivier préside la « Fondation Brazzaville », une ONG -à but non lucratif – dédiée « à la paix et à la préservation de l’environnement » et encore à la lutte contre les « faux médicaments ».
Comme le signale à nouveau Marc Endeweld dans son ouvrage sur la Macronie, figure au sein du conseil consultatif de cette Fondation très charpentée , l’ un des tous premiers compagnons d’Emmanuel Macron, l’ex-ministre chiraquien Jean-Paul Delevoye, homme d’influence et de réseaux s’il en est.
Ca tombe bien, Jean-Yves Ollivier, est réputé avoir été conseillé de l’ombre de Jacques Chirac, pour les affaires africaines, lorsqu’il était maire de Paris.
Le siège de la Fondation est à Londres. Et c’est l’une des raisons sans doute pour laquelle une ONG Britannique « Finance Uncovered » vient ( mai 2019) de lui consacrer une copieuse enquête intitulée : « À la rencontre de la Fondation Brazzaville: une organisation caritative britannique, soutenue par la Couronne , accusée de «blanchir» la réputation d’un autocrate africain riche en pétrole » .
L’ONG s’émeut en particulier des relations nouées par la Fondation Brazzaville avec le prince Michael de Kent, un cousin « controversé » de sa Majesté la Reine.
Officiellement figurant comme « mécène », le Prince peinerait à expliquer le pourquoi et le comment de cet engagement. Elle relève toutefois que le prince n’a pas hésité en 2017 à « faire le difficile voyage d’Oyo ». Interrogé par l’ONG sur le motif de ce déplacement, ses modalités financières, d’éventuelles relations commerciales, l’altesse s’est contenté d’un royal « no comment ».
Il apparaît que ce voyage épousait le lancement du « Fonds bleu du bassin du Congo », une initiative de collecte de fonds en faveur de l’environnement qui vise à attirer des investissements massifs dans le bassin du Congo. Un projet alors explicitement qualifié de « partenariat » avec Sassou N’Guesso.
Clairement, l’ONG soupçonne la « Fondation Brazzaville » comme le « Fonds bleu » sous couvert d’actions caritatives ou écologique, d’être des entreprises de « blanchiment d’image » avec pour objectif réel de maintenir le régime de Sassou Nguesso. Elle relève encore que pour le lancement de sa fondation Ollivier s’est attaché les services d’un spécialiste de la communication, Bell Pottinger. « Spin doctor » favori de Margareth Thatcher, Pottinger est l’homme des combats difficiles. Parmi les cas auxquels il s’est attaqué, la fondation Pinochet, l’épouse de Bachar El Assad, le gouvernement Egyptien…
En retour à ce vilain soupçon, la Fondation Brazzaville rétorque que « ni Sassou N’ Guesso, ni son gouvernement ni aucun citoyen congolais ne sont impliqués dans le fonctionnement de la Fondation » et qu’ils « n’ont jamais donné d’argent à la Fondation ».
L’ONG relève toutefois que le lancement de la Fondation, en 2014, dont Jean Yves Ollivier est initialement le principal donateur, épouse de pas si loin, (2011) une juteuse transaction pétrolière ayant permis à Ollivier d’encaisser 60 millions de $ pour avoir aidé son vieil ami Sassou à négocier la vente d’un bloc pétrolier du Congo appelé Marine XII.
L ’ONG précise toutefois, que dans ce cadre, « rien n’indique que Ollivier ou Sassou-N’Guesso aient commis des actes répréhensibles ». Si des amis de trente ans n’ont plus le droit de faire du business ensemble, où va-t-on ?
La Fondation Brazzaville, par la voie de son avocat, avait fait savoir de son côté, qu’elle ne toléra pas les manifestations d’un « journalisme irresponsable ». A l’exemple, peut-être, de cette enquête publiée par l’Obs, en 2016 et relative à « l’Alma Chamber Orchestra », orchestre dirigé artistiquement par Anne Gravoin alors épouse du Premier ministre et financé, entre autres, par Jean Yves Ollivier et sa Fondation Brazzaville. Dans le sillage de cette diplomatie musicale, notre faiseur de paix avait été élevé Chevalier de la Légion d’honneur par Manuel Valls en juin 2015.
La cérémonie s’était tenue en présence de Jean Dominique Okemba, alias « JDO », neveu de Sassou et tout puissant patron des services secrets congolais.
Il faut bien lui reconnaître ce courage !