C’est un secret de polichinelle. L’incapacité de IBK est patente. Elle est tout d’abord la conséquence d’un échec moral et ensuite d’une politique marquée par une obsolescence de l’État et d’un modèle corrompu de gouvernance qui freine tout développement social et économique. Certes, le Mali a connu des crises – souvent violentes et meurtrières. Mais, le clivage, anti / pro IBK au sein de la population, la fragmentation du pays, et le naufrage de l’État semblent inédits.
Il l’a prédit. Et nous sommes aujourd’hui pleins dedans. Pour rappel, un titre « Mali-Élections -résidentielles 2018-Soumaila Cissé : Moi ou le chaos » de l’hebdomadaire Jeune Afrique a créé la polémique à l’époque. C’était lors des présidentielles. Une vague de critiques s’est abattue sur le candidat Soumaïla Cissé à la présidentielle du 29 juillet 2018. En réponse à ce titre, les réactions ont fusé sur les réseaux sociaux comme : « Nous lui répondons que nous allons prendre grand soin de nos vies, ce n’est pas à cause de son intérêt personnel que nous allons voir le Mali brûler, les élections se feront tranquillement et le président IBK sera réélu sans bruit. Nous ne permettrons à personne de troubler le Mali, et qu’il sache que la vérité finie toujours par rattraper le mensonge quel que soit sa rapidité », ou encore « on a plus besoin d’un déstabilisateur pour diriger ce pays ensemble. Indexons le président IBK qui est prêt à se sacrifier pour la cause de la patrie au lieu de voter pour Soumaila Cissé qui veut mettre le Mali au chaos ».
Pourtant en tant que visionnaire, il voyait venir la chose. Ce désastre était prévisible avec IBK pour tout observateur avisé. Aujourd’hui, Soumaïla est loin de nous, mais le chaos est proche. Et qui se maintient au pouvoir avec le sang des Maliens ?
En réalité, dans son interview, le chef de file de l’opposition s’est plutôt exprimé ainsi «…Sûr de sa force et de la soif de changement de ses compatriotes, lui (Soumaïla Cissé) espérait incarner l’alternance pour éviter au Mali de sombrer dans le chaos ». Il n’a pas été compris ou des personnes mal intentionnées ont simplement saisi l’occasion pour l’enflammer avec des expressions haineuses. Finalement, son parti, l’Union pour la République et la Démocratie (URD), a fait face à ce tollé par un communiqué pour annoncer que les propos de leur président sont sortis de son contexte, donc, mal rapportés ou altérés. Qu’à cela ne tienne! Aujourd’hui, le temps a donné raison à Soumaila Cissé.
En effet, le président Ibrahim Boucar Keita a été contesté depuis sa réélection en 2018. D’ailleurs, il a été confronté à la colère de l’opposition et plusieurs marches ont été organisées à cet effet. Néanmoins, les esprits se sont calmés plus tard et plusieurs personnes se sont préparées à prendre leur revanche aux élections législatives. Avec le relooking de l’Assemblée nationale, les nouveaux députés pourront bien légiférer sans contrainte, diront certains. Les jeunes commencent à comprendre qu’ils ne doivent pas voter pour l’agent, mais plutôt pour un idéal, une conviction, un projet. L’espoir renait et pour toute arme, ils n’étaient qu’en possession de leurs cartes de votes. Aussi, ils s’organisent et s’impliquent davantage dans les préparatifs des élections législatives.
Se déroulent alors le 29 mars et 19 avril 2020, ces fameuses élections législatives qui malgré la pandémie du coronavirus et les conflits, IBK et son Premier ministre annoncèrent leur maintien et en dépit de l’enlèvement de Soumaïla Cissé survenu le 25 mars, quelques jours avant le premier tour. Mais une fois de plus, c’est la déception. Après la publication des résultats par la Cour constitutionnelle, des candidats spoliés ont vivement contesté le verdict qu’ils qualifient de « hold-up électoral ». Cette fois, c’en est de trop. Cette proclamation de la présidente de la Cour constitutionnelle a exacerbé bon nombre de personnes qui accusent le régime et son clan d’avoir trafiqué par la bénédiction de Manassa Dagnogo les élections au profit des candidats du pouvoir. C’est le déclenchement des hostilités dans une atmosphère déjà lourde. Le mouvement du 5 juin apparait. Mais loin avant, pour tout observateur avisé, on décelait déjà des signes avant-coureur.
Les Maliens s’entretuent au Centre du pays faisant des veuves et des orphelins. Plus encore, les djihadistes continuent de piller et de massacrer dans les Zones de non-droit laissant des villages entiers dans un état de ruine qui rappelle fort bien certaines des pires horreurs vécues parmi lesquelles femmes et enfants n’ont été nullement épargnés. Ogossagou I, 154 morts, Ogossagou II, 35 morts, Soban Da, 95 morts. À cela s’ajoute le lot de scandales financiers; équipements militaires, hélicoptères « Puma » cloués au sol, blindés en « carton », la liste est longue…
Et plus au Mali, le commerce au bord de l’asphyxie, le secteur de l’agriculture sur lequel repose l’économie au déclin, le manque d’infrastructures sanitaires et de soins adéquats à déplorer, et l’éducation qui se tend vers une année blanche.
En tenant compte de tous ces signaux, le risque que le Mali sombre dans le chaos est si réel, que des voies de société civile, d’hommes politiques, et de religieux, dont l’influant Iman Dicko à la tête, se sont croisées pour ouvrir ensemble une brèche de contestation le 5 juin afin de réclamer la démission du président IBK qui le contrôle de l’État parait lui échapper définitivement. La jeunesse a pris part dans cette lutte en se fédérant autour des leaders du M5 pour un changement politique.Et le M5-RFP est né.
Après plusieurs concertations, et de vives réactions au sein du M5-RFP entre les plus radicaux et ceux qui veulent donner une porte de sortie au président, la décision est tombée. Pour l’apaisement, une transition politique parait inéluctable à défaut de la démission du président. Le pays sera ainsi mieux aidé par un dialogue politique serein jusqu’en 2013 pour des élections crédibles et transparentes. S’ensuit une stratégie plus convenable par un pacte de gouvernance qui serait négocié entre toutes les élites du pays coordonné par une feuille de route mise en œuvre. Donc, le mémorandum élaboré par le M5-RFP dans ce sens, a été présenté à IBK et malencontreusement, rejeté par sa majorité. Dès lors, IBK est resté dans le fricotage et jusque-là, aucune solution crédible pour sortir le pays de l’impasse actuelle n’a été proposée à ses compatriotes en colère.
Par conséquent, les manifestants ne jurent plus que par la vérité de la rue et le Mali s’enfonce dangereusement dans une crise sociale, politique et économique qui menace d’aggraver davantage la situation déjà dramatique du pays.
C’est ainsi qu’à la date du 10 juillet, le M5-RFP lors d’une énième sortie a
appelé à la révolte citoyenne. « IBK dégage, IBK dégage », chantonnaient les jeunes. Alors, commença la désobéissance civile qui malheureusement s’est soldée entre le 10, 11 et 12 juillet par 23 morts et plus d’une centaine de blessés devant la mosquée et la maison de l’Imam Dicko. Un drame pour lequel les membres du M5-RFP réclament justice en plus de leurs militants jugés et détenus injustement.
Pour toute réponse, un terrifiant orgueil de l’homme dont chacune de ses sorties en public offre une preuve supplémentaire de l’inaptitude de Ibrahim Boubacar Keita à présider. Pis, il a fait appel à la communauté internationale par la voie de la CEDEAO pour soi-disant venir négocier avec son peuple, chose qu’il pouvait régler lui-même.
Depuis, la contestation s’amplifie et le rang du M5-RFP grossit de jour en jour. Leur dernière sortie, mardi 11 aout, a enregistré encore plus de monde, jamais vu à Bamako. D’ailleurs, il planifie à partir d’aujourd’hui le 18 aout une série de manifestations gigantesques non-stop qui sans aucun doute paralysera le pays entier.
Il faut reconnaitre le dynamisme de la diaspora malienne installée aux États-Unis, en France, en Espagne, entre autres qui est très active dans la lutte. Ces Maliens de l’extérieur aident les jeunes de l’intérieur à prendre conscience de leur potentialité à faire du Mali un pays meilleur. Surtout que, l’on sait déjà ceux qu’ils font régulièrement comme aide financière dans le pays. Sans oublier les médias en ligne qui se développent pour relayer le combat du M5.
En tout cas, la tâche s’annonce rude pour IBK et son régime. Quant aux protagonistes, ils semblent naviguer à vue sans connaitre ce qui les attend comme dangers. Et dans tout cela, le nom de Soumaïla Cissé ne sera pas cité dans cette crise puisqu’il est lui-même victime du chaos.
Neimatou Naillé Coulibaly