Modibo Coulibaly, un grand connaisseur des lieux aujourd’hui, reconnus comme des zones de conflit, nous expose avec des trames narratives une réalité du Mali. Dans son récit ressortent des périodes et ses coulisses de la compréhension du passé qui doit intéresser tout Malien surtout en ces moments de crises sécuritaires que nous vivons.
Quand les jours passent et se ressemblent
Un mois seulement s’était écoulé depuis le départ du fils Hama. Adou allait de campement en campement et souvent dans quelques villages peuls pour épier les causeries qui étaient, en cette période, axées sur les attaques récurrentes des groupes armés et les contre-offensives musclées des forces armées. C’est finalement à Boni, où il se rend souvent pour la prière de vendredi ; qu’il apprit qu’à l’issue de l’attaque d’un poste militaire situé dans l’Arrondissement de Mondoro, que de jeunes éleveurs de Serma avaient été tués ou capturés par l’armée. Les avis étaient partagés sur le sort de Hama, son fils. D’aucuns juraient l’avoir vu parmi les capturés au niveau du poste de gendarmerie de Boni, point de transit obligé des convois militaires. D’autres, moins convaincants tentaient plutôt de le consoler en lui faisant croire que son fils pouvait être parmi ceux qui ont pu s’en tirer.
Revenu au village, le père Adou était si abattu qu’on ne manqua pas de lui demander s’il ne souffrait de maladie. Il admit qu’il était épuisé par la chaleur du moment. Il ne fit pas remarquer que l’angoisse qui l’avait tourmenté à Boni lui a fait oublier de ramener le sac de mil qu’il a payé. Il hésitait à faire part des nouvelles qu’il avait recueillies au cours du voyage, mais il ne pouvait indéfiniment se taire sur des informations qui peuvent s’ébruiter si facilement en milieu pastoral.
Il décida de se confier à son épouse quand il aura recouvré toutes ses forces après un sommeil réparateur.
La nuit fut longue et son sommeil profond. Aux premiers chants du coq, il se tira de son lit, fit ses ablutions et commença ses prières. Les prières furent difficiles, il peinait à se concentrer, traversé par des idées diffuses. Celles d’avouer à son épouse, le cas non suffisamment élucidé de leur enfant cité parmi les assaillants d’un poste militaire, étaient les plus amères.
Il sortit de sa case, parcourut d’un long regard ce qui restait du campement qui se vidait de sa substance, son bétail et sa jeunesse. Une jeunesse qui ne semble plus réceptive aux injonctions des parents, une jeunesse révoltée contre la famine endémique et les frustrations, l’exclusion et l’analphabétisme.
Korka Ousmana n’était pas que son épouse seulement, elle fut sa cousine paternelle, celle qui l’avait souvent suivi, toute petite, quand il amenait boire les chèvres. Il n’avait jamais imaginé qu’ensemble ils allaient fonder un foyer comme l’avaient souhaité leurs parents. Telle était la coutume. Il avait le droit de la réprimander comme épouse et le devoir de la consoler comme sœur.
Il se dirigea vers la case de son épouse, salua et après les bénédictions d’usage l’invita à le rejoindre. Il se dirigea vers un tronc de bois posé au flanc de sa case et qui servait de chaise, l’épouse le suivit et s’assied en face de lui à même le sable.
A peine balbutia-t-il quelques mots inaudibles que l’épouse l’interrompit en ces termes : « je sais déjà et il me manquait la force de te le dire. Il m’a réveillée dans son sommeil pour me faire part de sa décision. Il va pour le Burkina, m’a-t-il dit, où il prétend trouver un emploi bien rémunéré. Il pense y gagner suffisamment d’argent pour obtenir la libération de son frère Hama dont il dit qu’il a été arrêté par l’armée et conduit à Mopti. Il me demanda de lui faire des bénédictions et avant de partir, déposa cet argent sur ma peau de prière. Quelques instants après, j’ai entendu des vrombissements de moteurs à l’orée du village ».
Le père Adou sentit ses forces l’abandonner. Il se laissa tomber son corps sur ses genoux tremblants, lança le cri de désespoir qui prend le Tout Puissant témoin du malheur indescriptible qui assaille sa famille. Comment Saïdou, le seul espoir qui le maintenait encore en vie pouvait-il le quitter de façon si impromptue ? Comme si un malheur ne vient jamais seul, c’est lui plutôt qui se trouvait assommé pendant qu’il s’apprêtait à annoncer à son épouse une tout autre triste nouvelle.
Sa femme resta sans l’observer dans un calme surprenant.
Beaucoup de ses sœurs proches avaient été déjà frappées par les mêmes drames. Les mères ont fini par s’en habituer et même s’en accommoder si ce n’était pas un ressenti de satisfaction. En effet, de jeunes gens, étrangers à la communauté, passaient dans les familles endeuillées avec des messages d’exaltation qui finissaient par attendrir le cœur de toute maman pieuse.
« La mort en martyr est le meilleur don que l’on puisse faire à son Créateur et le seul chemin par la grâce duquel le musulman a directement accès au Paradis. »
La mère Korka avait enduré plus que toute autre femme du village. Elle avait fait deux filles à son mari. La première avait été mariée dans le Simby et la seconde accordée à un de ses cousins, établi aux environs de Douentza. Aux dernières nouvelles, cette dernière se serait réfugiée auprès de sa sœur ainée dans le Simby, après que son mari eut abandonné le village sans donner de nouvelle durant un an.
Sa foi s’en trouvait ébranlée devant un tel déchainement de malheurs. Dieu dans son infime bonté l’avait choyée en lui accordant des filles et garçons, qui lui ont procurée amour et bonheur. À présent, c’était des hommes qui les lui prenaient. Non, Le Tout Miséricordieux ne pouvait lui infliger un tel supplice.
Elle allait ainsi de case en case pour crier sa peine et s’en prendre à certains de ses voisins qu’elle soupçonne de comploter contre ses enfants. Finalement, elle abandonna le village, allant de campement en campement pour prendre nouvelles de ses enfants. Tantôt, exige qu’on lui montre la tombe de son premier garçon ou dans un autre campement sommant les résidents d’organiser une battue pour le retrouver. La mère Korka avait cessé de « vivre parmi les hommes ». Tout le monde avait fini par la traiter comme telle et les philtres proposés par les marabouts n’avaient été d’aucune utilité sur son état.
Saïdou Adou, le « Bi Senoo » était déjà pensionnaire d’un petit camp de fortune dans les environs de Fêto Goli en territoire burkinabé. Il s’était vite habitué au maniement des armes et faisait preuve d’une adresse et d’une discipline hors du commun. Il bénéficiait d’une attention particulière de ses chefs qui lui collèrent vite ce surnom.
Parmi ses chefs, il en avait reconnu un. Comment pouvait-il oublier cet homme qui était passé plusieurs fois pendant la « grande rébellion » ramasser bœufs et chèvres dans un vacarme de bruit de moteurs et d’armes à feu ? Le sort l’avait jeté sur le même chemin de ce bandit.
Les semaines et les mois passèrent sans qu’il sache ce qu’on pourrait bien lui confier comme mission.
Par une nuit ténébreuse, il fut réveillé par un des chefs. Il apprit qu’il devait se rendre en territoire malien, précisément dans sa zone d’appartenance pour y séjourner comme guide éclaireur. Le départ fut mis à l’aube.
Une aubaine pour Saïdou qui avait trouvé ainsi l’opportunité de revoir, ne serait-ce quelques heures ses parents et même de leur remettre quelques sommes, les salaires perçus au camp.
Cette mission l’a conduit dans un premier temps dans un campement de Mondoro, puis cap fut mis sur Isseye, un village dont la foire attire les agents de l’État et des commerçants « qui n’observent pas la charia ».
Ce samedi, jour de foire de Isseye, fut des plus fréquentés. Les commerçants de bétail s’étaient annoncés et les affaires promettaient pour les courtiers venus de toutes les contrées voisines.
La mission, composée de huit personnes sur huit motos avaient été réparties entre plusieurs familles hôtes pour éviter d’éveiller des soupçons.
Saïdou Hama, par bonheur s’était retrouvé dans une famille peule de la même zone que lui. Feignant de venir de très loin, il apprit suffisamment de nouvelles de son village et même de sa famille. Ses hôtes causaient de l’amertume des mères et des pères de famille traumatisés par les pertes permanentes et régulières de leurs progénitures. Les familles perdaient patience. Les batailles s’éternisaient et les objections semblaient s’éloigner tous les jours.
Il apprit l’état désespérant de sa maman qui errait dans le pays pour retrouver ses enfants.
Saïdou n’en pouvait plus. Il s’éloigna des causeurs et s’étira sur sa natte, prenant soin de garder son arme bien couverte sous sa couverture lui servant d’oreiller. Il n’avait reçu aucune munition et savait pourquoi. Cependant, il en avait toujours par-devers lui et il savait pourquoi.
Le samedi, aux premières lueurs du jour, Saïdou fit son apparition dans son village. Il avait fui Isseye, ses compagnons et la mission à laquelle il commençait à douter de la nécessité.
Il aura la chance inespérée de retrouver sa maman sur place, revenue par miracle de son errance la veille. Il fit comprendre à ses parents qu’il avait fui ses camarades de lutte qui ne tarderaient pas à se présenter et qu’il partait de ce pas retrouver son frère Hama même à Bamako.
À suivre.