Les bouchers de Bamako ont entamé depuis au moins deux semaines une nouvelle grève au début de la semaine dernière pour protester contre le non-respect par le gouvernement du protocole d’accord signé avec leurs syndicats. Pour de nombreux experts, l’Etat doit sortir de ces solutions conjoncturelles des subventions ou des exonérations afin de réellement appuyer les filières de production et relancer l’industrialisation du pays.
La viande bovine est de plus en plus invisible sur les étals de nombreux marchés de la capitale à cause de la grève des bouchers pour le «non-respect» du protocole d’accord signé par leurs syndicats avec le ministère de l’Industrie et du Commerce et qui porte sur les subventions sur le bétail. Selon certains responsables des bouchers, ils attendent que les autorités compétentes tiennent leur promesse.
Mais dans un communiqué publié le 4 août dernier, le ministère de tutelle a déploré la rupture unilatérale par l’un des deux syndicats du protocole d’accord relatif à la commercialisation de la viande bovine à Bamako et Kati en dépit de la poursuite du paiement de la subvention dans le cadre du respect strict de la procédure budgétaire en vigueur dans notre pays.
Une situation qui a contraint le département à suspendre «l’opération spéciale viande bovine 2021» jusqu’à nouvel ordre à compter du mercredi 4 août 2021. Des mesures correctives étaient annoncées à l’issue du Conseil national des prix qui devait se tenir le 10 août 2021 en vue de parvenir à un prix consensuel de la viande bovine. Ce qui est clair aujourd’hui, dénonce une notre consoeur Mariam Koné du Collectif constitué contre la vie chère, «l’huile est introuvable au marché, la viande n’est plus subventionnée… A son retour de Ségou, nous allons une fois montrer nos paniers à Choguel. Même si nous sommes 10 femmes. Car je sais que les maliens ne sortent pas sans l’argent et nous avons décidé d’aller avec notre conviction»
A notre avis, toute cette gymnastique (marche de protestation, exonérations ou subventions…) peut aboutir à une solution consensuelle, mais pas pérenne. Les exonérations et les subventions portent généralement en elles les gènes de leur inefficacité à satisfaire la majorité des couches ciblées. Ce n’est qu’un secret de polichinelle que l’exonération des denrées de première nécessité est une mafia sur le dos de la population.
Elles ne profitent en réalité qu’à quelques fonctionnaires et aux opérateurs économiques bénéficiaires pour avoir le plus souvent créer volontairement une situation de pénurie afin de profiter de la spéculation sur les prix. Tout comme les subventions profitent rarement à nos filières agricoles puisque atterrissant généralement sur des comptes auxquels elles ne sont pas destinées. Et pour dissimuler ces détournements, on cherche des produits moins chers, car de mauvaise qualité, pour approvisionner les infortunés ruraux.
Réfléchir à une efficace politique de substitution des importations par la production locale
Pour faire face aux perturbations et aux pénuries en matière d’importations de biens, il est peut-être temps que nos autorités réfléchissent réellement à élaborer et à mettre en œuvre une politique de substitution des importations par la production locale qui commence à donner des fruits à certains pays qui ont longtemps été confrontés à des situations comme celle que nous connaissons dans notre pays depuis des décennies. En la matière, le Maroc est une belle référence pouvant inspirer notre pays.
Le Royaume chérifien a dû s’organiser en mettant en place une politique de substitution des importations par la production locale. Dans son édition du 29 juillet, «L’Économiste» (un quotidien) a rapporté la création d’une banque de 523 projets d’investissements industriels validés par le ministère de l’Industrie. Et l’idée est de réduire les 183 milliards de dirhams (11 352 344 888 160 F Cfa) d’importations annuelles du Maroc à travers la fabrication dans le pays d’un certain nombre de produits qu’il importe. De quoi permettre de soulager la balance commerciale et de créer de la richesse locale et des emplois.
L’objectif, selon le journal, est que cette banque de projets se décline sur plusieurs secteurs assortissant chaque produit d’une étude de marché, d’une fiche technique et d’indications sur chaque produit. Et cela a déjà favorisé la mise en place de cette banque de projets, plusieurs investissements ont été réalisés, permettant un allégement de 85 milliards de dirhams (5 272 947 079 200 F Cfa) sur la balance commerciale, mieux que l’objectif fixé au départ qui était de 51 milliards de dirhams.
Pour assurer le meilleur accompagnement des porteurs de projets, le journal souligne que le ministère a mis en place une «War room» (Une stratégie à laquelle on a souvent recours dans un contexte de plus en plus complexe et de guerre économique) déclinée en 10 pôles d’accompagnement. Et le gouvernement marocain s’est engagé à orienter la commande nationale vers les entreprises locales.
Des subventions indispensables pour rentabiliser le secteur agricole
Pour certains experts, il faut une politique de subvention rigoureusement maîtrisée afin qu’elle puisse par exemple profiter à l’agriculture ou l’élevage. Pour eux, «l’agro pastorale sans subventions est un travail sans bénéfice. C’est pour cette raison que tous les pays occidentaux subventionnent l’agriculture et l’élevage pour que ces occupations puissent apporter des bénéfices aux éleveurs et aux paysans», nous explique l’un d’eux en réaction à l’une de nos publications sur les réseaux sociaux.
Pour cet expert, «ce que nous faisons en Afrique n’est que de l’effort par passion sans aucune rétribution, sans aucun bénéfice. L’agriculture n’apporte aucun bénéfice à l’agriculteur de même pour l’élevage. Sinon si nous prenons le cas de l’élevage les achats d’aliments pour nourrir les animaux, si vous faites le calcul après la vente, vous n’avez rien gagné. Au contraire, vous aurez beaucoup à perdre. C’est vraiment cela la réalité».
Et de nous rappeler que, pour que les animaux puissent bien se nourrir, l’éleveur dépense énormément (nous savons ce que notre petit élevage à Kadiolo nous coûte annuellement). «L’Africain se bat et se battra, mais cela sera et restera une passion et non vraiment un travail qui lui rapportera des bénéfices», a-t-il déploré. Ce qui le ramène à rappeler que «l’agriculture et l’élevage ont vraiment besoin de subventions pour être mieux rentables, bénéficier à ceux qui pratiquent ces activités et aux consommateurs. Sans subventions, l’agriculture et l’élevage en Afrique subsaharienne ne pourront jamais vraiment se développer».
«Le secteur agricole aide les Etats dans leur développement. C’est pour cette raison que l’Etat leur apporte des aides. En leur tournant le dos, c’est la faim. C’est pour cela que l’Occident voire les pays développés ont toujours aidé les éleveurs et les agriculteurs. C’est dans leurs intérêts», conclut-il.
Le Mali est un pays dont la structure économique est fortement dominée par les secteurs primaire et tertiaire. En 2017, la contribution du secteur primaire représentait 38,34% du PIB avec une large part pour l’agriculture (19 % du PIB). En 2019, elle est estimée à 38,43% du PIB. C’est donc un secteur qui a énormément besoin d’une nouvelle politique d’accompagnement de l’Etat. Cela peut être sous forme de subventions. A condition qu’elles profitent réellement aux acteurs. Ce qui nécessite un changement d’approche, de mécanisme de financement !
Naby LE MATIN