samedi 23 novembre 2024
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Au Mali, le fils du président « IBK » cristallise le mécontentement des contestataires

Des vidéos privées de Karim Keïta ont suscité le scandale, alors que ce maillon du pouvoir malien est accusé de placer ses proches aux commandes du pays.
Par Matteo Maillard Publié hier à 19h00, mis à jour à 09h08

Karim Keïta, fils du président « IBK », alors qu’il était encore président de la commission défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale. Ici, à Bamako, en juillet 2018. MICHELE CATTANI / AFP
Lorsque la contestation a débordé en émeute à Bamako, vendredi 10 juillet, les manifestants se sont attaqués d’abord à l’Assemblée nationale en brisant ses vitres, puis à l’Office de radiodiffusion et télévision du Mali (ORTM), perçu comme la voix du pouvoir. Un troisième lieu symbolique a aussi fait l’objet de saccages : la permanence politique de Karim Keïta, fils du président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK ») et député de la deuxième commune de la capitale. Bilan : quelques débris, des motos et des sacs de riz volés.
La cible n’est pas anecdotique. Depuis le début du mouvement de protestation engagé par la coalition de partis d’opposition M5, la figure du fils du président cristallise les critiques de népotisme et de clanisme. « De nombreux Maliens perçoivent l’ombre de Karim flotter au-dessus de l’Etat, indique Aly Tounkara, directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel. Ses amis se voient confier des postes à haute responsabilité peu liés à leurs compétences, et les négociations dans l’acquisition de contrats publics passent souvent par lui ou ses proches. Cela donne l’impression que le fils dirige le pays derrière le père. »

Dans ce climat de suspicion, une vidéo postée début juillet sur les réseaux sociaux va susciter le scandale. On y voit Karim Keïta tout sourire sur un yacht, dansant avec des femmes dénudées puis se faisant masser sur une plage d’Espagne. Dans un Mali en crise, ces images choquent. En guise de défense, le fils du président assure n’avoir été chargé « ni du menu ni de la liste des invités » de cette cérémonie privée qui n’a « pas coûté le moindre centime au contribuable ».
« Le virus Karim »
Mais le mal est fait. Son visage souriant est désormais exhibé sur des banderoles de manifestants dans sa commune avec les mentions « honte » et « démission ». La presse malienne dépeint un chef de l’Etat ayant contracté la même maladie que l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Le virus Karim. » Une ambition dynastique qui a contribué à la chute politique d’un père et de son fils – Karim Wade – condamné pour enrichissement illicite et détournements de fonds.
Karim Keïta, la fraîche quarantaine, est un cosmopolite. Né à Paris, il a passé son bac à l’Athénée Royal de Waterloo à Bruxelles, avant d’effectuer des études de commerce à l’Ichec Brussels Management School, puis à HEC Montréal. Il est revenu au pays en 2006. « Karim a toujours voulu le pouvoir. Il a grandi dedans », confie l’un de ses amis d’enfance, aujourd’hui patron d’une entreprise à ACI, le quartier d’affaires de Bamako.

C’est dans ce même quartier que Karim Keïta se lance en 2008. D’abord avec une société de location de voitures puis un cabinet de conseil en entreprises, Konijane Strategic Partners (KSP), qui lui permet d’étendre son réseau.
Les affaires ne suffisent pas à satisfaire son ambition. Elu député de la commune II de Bamako en 2013, peu après l’élection de son père à la présidence, il deviendra rapidement l’un de ses plus fidèles conseillers. « C’est la première fois au Mali qu’un fils de président s’implique autant en politique, poursuit son ami d’enfance, qui s’est depuis rapproché de l’opposition. Les Maliens n’y étaient pas habitués et cela a tout de suite soulevé des suspicions plus ou moins réelles de trafics d’influence. Au gouvernement, tout le monde s’est mis à son service. Quand on voulait s’adresser à son père, il fallait passer par lui. En quelques années, il est devenu comme un vice-président de fait. »
« Il place son clan pour se protéger »
Au Mali, pays en guerre depuis 2012, les affaires militaires sont un sujet clé pour le pouvoir. En 2014, Karim Keïta devient président de la commission défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale. « Cette attribution étonne de nombreux observateurs, avance M. Tounkara. Face à lui, il y avait le député Niamé Keïta, ancien directeur général de la police, dont le CV avait une valeur bien plus grande pour cette fonction. Mais c’est le fils du président qui l’a obtenue. »
Devenu un personnage incontournable du pouvoir malien, il reçoit en 2014 le prix de la figure politique montante décerné par l’African International Business Forum, à la Chambre des Lords du Parlement britannique. Mais il sera mis à mal par des accusations d’influence sur la hiérarchie militaire et sur l’attribution de marchés publics sans jamais être inquiété. « Karim est assez intelligent pour ne signer aucun document qui puisse l’impliquer dans des affaires, confie un proche. Il place son clan pour se protéger. C’est un tacticien. »

La contestation, qui embrase aujourd’hui le Mali, trouve son étincelle dans les résultats des élections législatives d’avril 2020. Réélu, le fils du président est aussitôt accusé de « tirer les ficelles » au sein de l’hémicycle et d’y imposer ses proches, comme le président de l’Assemblée Moussa Timbiné. Contacté par Le Monde Afrique, M. Keïta n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Sous la pression de la rue, après un week-end sanglant où les forces de l’ordre ont tué douze jeunes, Karim Keïta a annoncé lundi 13 juillet sa démission de la présidence de la commission défense, sécurité et protection civile, tout en conservant son mandat de député. Le geste n’apaise pas la contestation. « Certains ont fait de ma modeste personne un fonds de commerce politique, d’autres un déversoir de leurs ambitions inassouvies. Rien ne m’aura été épargné », dénonce-t-il dans un communiqué, incriminant « un délit de patronyme ». Mercredi, le M5 appelait les Maliens à « poursuivre les actions de désobéissance civile » dans tout le pays. Elles ne devront pas s’arrêter « tant que le président et son fils n’auront pas démissionné ».

le monde
Matteo Maillard(Bamako, correspondance)

Djibril Coulibaly

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