Le teint ébène est-il en voie de disparition ? Ce serait trop dire. Mais il est très menacé vu le complexe d’infériorité croissant que la peau noire suscite chez les Africaines. La dépigmentation artificielle de la peau continue d’être ce véritable fléau dans nos sociétés avec ses conséquences désastreuses.
Les mandingues disent que dire la vérité à son ami n’est pas une raison objective de rupture ! Je vais donc me départir aujourd’hui de ma «Robe» «d’avocat défenseur des femmes» (un titre attribué à mes débuts au Les Echos) pour vous dire ce que je pense de certains complexes qui sont entrain de déshumaniser nos femmes, nos sœurs… en faisant juste d’elles une masse de consommation. Mesdames, je voudrais qu’on parle un peu de la dépigmentation maintenant que les célébrations du 8 mars (Journée internationale de la Femme) sont derrière nous.
«La vraie sorcellerie en Afrique est que les filles naissent de teint noir et sont de teint clair ou deviennent des Blanches quand elles grandissent» ! C’est le constat ironique d’un ami sur les réseaux sociaux. Un constat qui cache une triste réalité aux conséquences sanitaires, culturelles et socioéconomiques dramatiques : la dépigmentation !
Quand je vois toutes ces braves dames, souvent débout avec le premier appel du muezzin, qui triment pour nettoyer des bureaux ou qui passent des journées entières devant les fourneaux… et ce qu’elles font d’une partie non négligeable des revenus tirés de cet enfer, c’est révoltant.
C’est le cas de «Asso» (Associée). Elle était une très belle femme avec un étincelant teint d’ébène qui aurait pu rendre jalouse de nombreuses femmes au teint clair. C’est ainsi que je l’ai connue en tout cas pendant nos années d’études avant de la perdre de vue suite à mon départ à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar (UCAD), au Sénégal. Il y a quelques semaines, nous nous sommes croisées au hasard dans une cérémonie sociale. Et j’ai eu du mal à reconnaître cette belle jeune fille. Si physiquement elle est toujours dans une forme éblouissante, son teint actuel atténue cette beauté qui aurait pu affoler le cœur d’un Ayatollah.
-Quel malheur s’est abattu sur notre charmante Asso ?, ai-je demandé à notre hôte du jour.
-Elle a cédé à la mode des complexées, à la dépigmentation.
Et il me raconta une histoire qui m’a perturbé. Asso n’a pas su se choisir un époux quand elle avait le vent en poupe. Elle se disait qu’elle avait tout le temps de se caser en oubliant que sa beauté est comme une rose qui se fane un moment de la journée. Et quand, elle revint sur terre, presque toutes ses amies s’étaient mariées. Visiblement, elle a pensé que son teint qui était son principal atout, en plus de sa forme et de sa beauté naturelle, était devenu son handicap. Et c’est pour se redonner une seconde jeunesse qu’elle a sans doute sombré dans la dépigmentation.
Ni Noire ni Blanche
Aujourd’hui, on ne sait plus si elle est Noire ou Blanche ! Le hic, c’est qu’elle est sur le point de perdre la vue ! Ce qui est le comble du malheur pour une jeune dame qui gagne l’essentiel de ses revenus dans la couture. Ayant préféré une école de couture à de longues études après le DEF (Diplôme d’études fondamentales), elle était devenu une talentueuse styliste. Sa vue s’est progressivement détériorée par les effets des produits utilisés pour s’éclaircir la peau.
Certes elle semble avoir pris conscience du danger, mais est-ce qu’il n’est pas trop tard ? En tout cas elle semble être la perdante sur toute la ligne. Non seulement elle est toujours célibataire, mais elle risque aussi de perdre la vue, donc de renoncer à la couture. Au mieux, elle sera obligée de recruter des tailleurs compétents pour faire marcher son atelier.
Cette histoire, émouvante, est loin d’être un cas isolé. Malheureusement ! Le «tcha» ? C’est une mode à laquelle les Maliennes succombent facilement sans distinction de classe sociale, de niveau d’instruction… Des Premières Dames aux vendeuses de galettes du quartier ou du village… Elles s’y investissent toutes. Nos artistes et cantatrices ? N’en parlons pas. Même les aide-ménagères n’y résistent pas !
C’est certainement la qualité des produits utilisés pour se blanchir qui fait la différence. Ne vous laissez pas donc facilement séduire par un visage rayonnant avant de voir tout le corps. Dans l’embarras regarder le visage et baisser la tête pour voir les coudes ou/et les pieds. La différence de ton et de teint est saisissante. C’est à peine si certains corps massacrés par les produits dépigmentant ne vous donnent pas la nausée. Cela va du deux tons à la multi-coloration.
Des produits détournés de leur usage médical
De nombreuses personnes ont recours à la dépigmentation volontaire pour éclaircir le teint naturel de leur peau. Cette pratique repose sur l’usage de produits détournés de leur usage médical ou de produits illicites. Les analyses effectuées sur plus de 160 produits ont mis en évidence des proportions élevées de substances non conformes à la réglementation des produits cosmétiques et dangereux pour la santé en raison de la présence de substances interdites : environ 30 % en 2009 et 40 % en 2010.
Ces produits (sous forme de crèmes, gels, laits corporels ou savons) sont utilisés seuls ou en association. Ils sont en général appliqués sur tout le corps (plus rarement sur les parties découvertes seulement), une ou plusieurs fois par jour, le plus souvent durant plusieurs années. Combien de femmes souffrent aujourd’hui du cancer ou d’une autre maladie de la peau ou ont perdu la vie ? En décembre 2020, une jeune femme est décédée à Bamako à cause des produits éclaircissants.
Après avoir subi une césarienne, sa peau n’a pas pu cicatriser correctement et elle a succombé à une infection. D’autres risquent à tout moment la cécité, le cancer de la peau et autres conséquences sur leur santé parce que l’usage de produits éclaircissants abîme la peau de ceux qui en font usage.
A mon avis, la beauté n’est pas d’avoir un beau visage mais une belle mentalité, un beau cœur et surtout une belle âme. Et de loin, nous préférons le sublime teint d’ébène de nos «Fimaninw Kalé kalé» à cette peau qui a presque tout perdu au point qu’on se demande si elle est encore sensible aux caresses et qui est couverte de vergetures à vous donner la nausée pendant plusieurs jours de suite.
Et comme le célèbre Meiway dans la belle chanson «Assétou» (hommage à la Noire séduisante tout en restant naturelle) tout ce qui brille n’est pas or qui scintille jour et nuit. Mon frère si tu t’amouraches d’une tchatcho, tu as intérêt à ne la déshabiller que dans l’obscurité. Sinon…
Mes hommages à mes Nyeleninw qui savent se battre pour se faire une place au soleil sans aucun risque de se brûler la peau. C’est qui déjà le poète qui disait que le Blanc est une couleur circonstancielle et le Noir celle de tous les jours ?
Bolmouss
Quand le manque de confiance en soi conduit à l’irréparable
«La dépigmentation volontaire, telle que pratiquée chez nous en Afrique, n’a pas d’avantage. Les pigments protègent la peau contre les radiations. En les détruisant, on ne fait qu’exposer la peau à la survenue des effets néfastes des radiations», disait récemment un spécialiste.
Cette utilisation abusive des produits généralement détournés de leur usage thérapeutique n’est donc pas sans conséquences souvent dramatiques pour les femmes et les hommes qui y sont abonnés. Et c’est une pratique que les spécialistes ne cessent de déconseiller.
Maladies de peau (complications les plus fréquentes), apparition ou aggravation d’infections de la peau (gale, mycoses, infections bactériennes…) pouvant être très sévères ; apparition ou aggravation d’une acné parfois très sévère ; vergetures larges, très inesthétiques et irréversibles ; amincissement de la peau à l’origine de problèmes de cicatrisation ; troubles de la pigmentation parfois définitifs (apparition de taches claires ou foncées) ; risque accru d’hypertension artérielle, de diabète, de complications rénales et neurologiques ; risques toxiques chez la femme enceinte ou allaitante pour l’enfant…
Voilà autant de conséquences que les praticiens utilisent souvent pour sensibiliser contre cette pratique liée en partie à un complexe socioculturel. Elles sont nombreuses à dépigmenter comme si elles avaient honte d’être noires et sous prétexte que ce sont les femmes blanches ou de teint-clair qui attirent les regards masculins. Il est clair que les risques encourus sont trop grands et ne valent pas le sacrifice. Sans compter que le manque de confiance en soi peut entraîner l’irréparable.
Au finish, le visage de beaucoup d’entre elles fait penser qu’elles ont été victimes de brûlures à l’eau bouillante ou par le feu. Le feu de l’amour ?
Rien n’est moins sûr !
Kader Toé LE MATIN