L’une des priorités des autorités de la transition au Mali doit être d’assainir le secteur de la justice (comprenant tous les organismes et les acteurs, étatiques ou non, impliqués dans la prestation, la gestion et le contrôle du système judiciaire) devenu un terrain fertile de tous les maux qui ont hypothéqué le développement de notre pays et compromis la démocratie en gangrenant nos institutions. Et si l’on se réfère à son premier discours juste après son investiture vendredi dernier (25 septembre 2020), le président Bah N’Daw est déterminé à mener ce combat avec le soutien de tous les Maliens qui espèrent enfin voir le soleil du changement briller sur notre pays.
«La maison commune est ébranlée, affaiblie, humiliée. Elle tremble dans ses fondements depuis au moins une décennie… Il ne faut pas avoir peur des mots : le Mali est ébranlé, piétiné, humilié. Ebranlé, Affaibli, humilié par ses propres enfants, par nous-mêmes, par personne d’autre que nous-mêmes», a martelé le Colonel-major Bah N’Daw, le président de la transition, lors du premier discours lu après son investiture. Et il est clair, a-t-il averti, le navire peut «chavirer et il chavirera si nous continuons à le faire tanguer». Et cette transition nous offre l’opportunité de nous remobiliser pour éviter ce chavirement.
Et l’urgence, c’est non seulement prendre le dessus sur les Groupes armés terroristes (GAT), mais aussi moraliser la gouvernance du pays par non seulement l’utilisation judicieuse des ressources, et aussi la lutte acharnée contre des mauvaises pratiques comme la corruption et la délinquance financière.
«La bonne gestion de nos ressources, de nos maigres ressources est une obligation… Générer des ressources optimales au niveau national n’est pas un luxe. C’est une exigence et celle-ci passe par l’utilisation judicieuse de nos maigres deniers», a assuré Bah N’Daw. Et d’avertir, «je ne peux pas promettre zéro corruption, mais je ferai tout pour que l’impunité zéro soit la norme. L’argent public est sacré et je ferai en sorte qu’il soit dépensé, de manière traçable et raisonnable. Avec tous les sacrifices que cela comporte, en termes de mesures systémiques et de répression des crimes et délits économiques».
Et, a promis le président de la transition sous des ovations nourries, «tous les dossiers d’enquêtes réalisées par nos structures de vérifications seront transférés au juge, au besoin». Il est ainsi clair que la justice aura un rôle primordial à jouer dans la construction du Mali nouveau. Et pourtant, elle se porte aussi mal que la nation entière malgré les moyens mis à la disposition de ses institutions et les avantages accordés aux magistrats.
Aujourd’hui, la réussite de toutes les reformes et de la victoire de tous les maux qui ont gangréné notre gouvernance passe par l’efficacité de la justice. Le rétablissement de l’équilibre de la balance de la justice est un enjeu essentiel de la gouvernance dans un pays comme le nôtre dont les fondements sociaux, économiques et politiques ont été désagrégés par plus d’une décennie de crise militaro-politique. Sans cet équilibre du secteur judiciaire, toute gouvernance est congénitalement vouée à l’échec.
Malheureusement, on n’a pas besoin d’études aujourd’hui pour prouver que la justice malienne est malade autant de sa dépendance structurelle que de la corruption de ses animateurs. Et depuis des décennies, elle se trouve ainsi en marge de la dynamique de bonne gouvernance souhaitée par les Maliens. Ce qui fait de la réorganisation de ce secteur une priorité absolue des autorités de la transition. Il est vrai qu’une transition n’a pas vocation à tout faire. Mais, elle a au moins le pouvoir de baliser le chemin par lequel doivent passer les réformes courageuses à entreprendre en vue de lui permettre d’assurer efficacement son rôle constitutionnel de consolidation de l’Etat de droit, de la démocratie, donc de la bonne gouvernance.
Bannir cette justice à deux vitesses qui a été le terreau fertile de tous ces maux qui ont miné notre pays
Il ne s’agit pas seulement de l’efficacité de la justice dans la lutte contre la corruption et tous les autres fléaux qui plombent la gouvernance de notre pays, mais aussi d’en faire un instrument privilégié de promotion des droits humains. Il s’agit d’établir un égal accès à cet outil pour tous les citoyens, sans distinction aucune (sociale, politique…), donc bannir cette justice à deux vitesses qui a été le terreau fertile de tous ces maux qui ont progressivement miné le pays et l’ont poussé vers le chaos. L’Etat de droit est un fondement important d’une démocratie. Au Mali, assainir la justice ne sera pas une tâche aisée compte tenu des mauvaises pratiques qui y ont hypothéqué la règle de droit.
Toutefois, cette quête ne doit pas être liée à une chasse aux sorcières ou la stigmatisation d’une corporation. Il s’agit avant tout de faire des choix judicieux et de mener la sensibilisation pour faire comprendre aux uns et autres que tout le monde a aujourd’hui intérêt à ce que la justice retrouve ses vraies valeurs au Mali. A commencer par les magistrats eux-mêmes qui seront les premiers bénéficiaires d’un visage reluisant de la justice.
La nécessaire purge salvatrice dans la presse
L’autre cocotier que les autorités de la transition doivent vigoureusement secouer est celui de la presse. Il ne faut pas se voiler la face, dans son état actuel, la presse malienne est assez discréditée pour jouer pleinement son rôle de 4e pouvoir dans une démocratie. Prise en otage par des «mercenaires» de tout acabit, spécialisés dans le chantage et dans la délation, les médias maliens contribuent malheureusement à la mauvaise gouvernance (en se mettant au service des plus offrants), à l’effritement de la cohésion sociale…
La presse malienne a besoin d’une purge salvatrice. D’où notre souhait que les autorités de la transition prennent le taureau par les cornes pour expérimenter une Convention collective dans ce secteur vital pour l’ancrage de la démocratie, la promotion des droits humains, la réconciliation des cœurs et des esprits.
En tout cas, les observateurs reconnaissent dans leur grande majorité que si Bah N’Daw, le président de la transition, parvient à matérialiser son discours d’investiture, ce sera véritablement le début du renouveau pour le Mali. Mais, cette concrétisation ne repose pas sur son seul vouloir, sur sa seule volonté, mais de l’engagement de nous tous à faire de cette transition une belle opportunité de repartir sur des bases plus solides et plus nobles.
Alors que chacun accepte de payer le prix du changement, de consentir le sacrifice personnel et collectif indispensable pour bâtir le Mali nouveau !
Moussa Bolly