Ils s’appellent Marie M., Jean-Noël R., Lise F. ou encore Florent T. Ils sont nés au Mali il y a une trentaine d’années. Tous sont ensuite devenus français, adoptés par l’entremise de l’association Le Rayon de soleil de l’enfant étranger, basée à Paris. Mais dans quelles conditions ? Trente ans après leur adoption, ce lundi 8 juin, ils sont neuf à déposer une plainte au tribunal de grande instance de Paris contre l’organisme français et leur ancienne correspondante au Mali, Danielle Boudault, pour « escroquerie, recel d’escroquerie et abus de confiance ».
« Cette affaire est dramatique. Il y a quand même des personnes qui ont vu leur identité volée, des enfants à qui on a menti toute leur vie et des personnes qui sont tranquilles aujourd’hui. L’objet de cette plainte, c’est de mettre les uns et les autres faces à leurs responsabilités. L’Etat aussi, parce qu’il y a eu des agissements à tous les niveaux », souligne Noémie Saidi-Cottier, l’un des deux avocats des plaignants. « Ce n’est pas un cas isolé, ajoute Joseph Breham, le second avocat. Là, il s’agit du Mali, mais d’autres pays sont probablement concernés. Là, il s’agit de cette association, mais il y en a probablement d’autres. On n’est pas sur un épiphénomène, mais sur quelque chose qui touche un certain nombre de Français et de Françaises. »
Dans cette plainte de 38 pages, contenant plus de 100 pièces, les deux avocats français, membres de l’Alliance des avocats pour les droits de l’homme (AADH), détaillent le mode opératoire principal du Rayon de soleil et les « stratagèmes » mis en œuvre pour permettre « le contournement de la loi » dans le but de faire adopter en France des enfants maliens qui, au regard du droit local, n’auraient pas dû l’être.
Tout aurait commencé en 1989, à Bamako. Le Rayon de soleil, par le biais d’une coopérante française nommée Danielle Boudault, commence à recueillir des enfants maliens avant de les envoyer en France pour adoption. Pour convaincre les parents biologiques de laisser leurs enfants partir en France, Mme Boudault « insistait sur le caractère temporaire de l’adoption proposée et assurait que l’enfant reviendrait vivre au Mali une fois atteint ses 18 ans ». Trente ans plus tard, les enfants ont grandi et aucun n’est retourné vivre au pays. Car à ces adoptés comme à leurs parents français, l’association aurait toujours tenu un discours bien différent : celui d’un abandon définitif de la part des parents biologiques.
Des agissements « tolérés voire facilités »
Une fois devenus adultes, certains ont vu leur recherche des origines virer au cauchemar, constatant de flagrantes contradictions dans leur dossier, comme deux noms différents pour leur mère biologique ou de faux actes de naissance. D’autres ont appris que leur fratrie avait été éclatée par Le Rayon de soleil, séparée dans des familles adoptives différentes. Dans un dossier, le consentement à l’adoption des parents biologiques est absent. Dans un autre, on suppose que l’enfant a été rajeuni par l’organisme français pour favoriser son adoption.
Les accusations sont graves. Aujourd’hui, neuf des 324 enfants adoptés par l’entremise du Rayon de soleil au Mali entre 1989 et 2001 réclament au procureur de la République l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des faits commis entre 1989 et 1996. Le Monde avait rencontré Mme Boudault en janvier. Face aux accusations lancées contre elle par certains des plaignants, elle avait répondu : « Vous écoutez ce que vous voulez, moi je vous dis que je n’ai jamais fait de trafic. » Quant à Sylvie Cyprien, l’actuelle présidente de l’association, qui avait également reçu Le Monde en janvier, elle avait soutenu : « Je pense qu’une mise en cause éventuelle ne s’impose pas du tout. Je ne pense pas qu’il y ait eu de faute. » D’après elle, les familles maliennes avaient bel et bien été informées par l’association qu’en envoyant leurs enfants en France, les liens avec eux seraient définitivement rompus.
A travers leur action en justice, les neuf plaignants d’origine malienne cherchent aussi à dénoncer les « insuffisances » de la Mission de l’adoption internationale (MAI), l’organe du ministère français des affaires étrangères chargé de contrôler les organismes d’adoption internationaux. Ainsi lit-on dans la plainte que « concernant les plaignants, il paraît acquis que la MAI n’a pas rempli sa mission à leur endroit. […] Elle a laissé prospérer, des années durant, des adoptions tout à fait interdites juridiquement. […] En définitive, si des agissements fautifs ont été commis par les mis en cause, ils ont été tolérés voire facilités par la MAI ».
Dans les années 2000, les agissements supposés frauduleux du Rayon de soleil avaient déjà été dénoncés par voie de presse en Centrafrique et au Pérou. Mais l’association n’aurait jamais été inquiétée par la justice française et, aujourd’hui encore, elle bénéficie de l’agrément du Quai d’Orsay pour procéder à des adoptions dans six pays (Bulgarie, Chili, Chine, Corée du Sud, Inde et Haïti).
Les prénoms ont été modifiés.
De Paris à Bamako en passant par le Luxembourg, Ségou et la Bretagne : pendant un an, Le Monde, en partenariat avec TV5 Monde, a enquêté sur les pratiques d’adoption abusives perpétrées au Mali par Le Rayon de soleil de l’enfant étranger. Absence de contrôle de la part des autorités, manquements de la justice française, carences de l’administration malienne… Des témoignages exclusifs à retrouver au sein de deux enquêtes au long cours publiées dans Le Monde du mardi 9 et du mercredi 10 juin (datés 10 et 11 juin), et à retrouver en direct dans le journal Afrique de TV5 Monde les 8 et 9 juin, à 20 h 30 GMT, ainsi qu’en replay sur le site de TV5 Monde.
Par Morgane Le Cam et Kaourou Magassa