Le problème est que dans la CEDEAO, il n’y a pas que le Covid-19 qui impacte l’agriculture, les pays font face à une bombe à retardement. L’arrivée du Covid-19 a provoqué d’une part- le confinement partiel ou intégral des populations, une limite de la mobilité, la fermeture des frontières et des marchés. Ces mesures, utiles au ralentissement de la propagation du virus, ont causé des hausses de prix des denrées de premières nécessité et un faible accès aux vivres pour les personnes vulnérables. D’autre part, les producteurs agricoles subissent une chute importante de la commercialisation des produits maraichers ainsi que des fruits périssables, des transports plus coûteux, une raréfaction des semences et des engrais et une main d’œuvre beaucoup plus chère. Une situation critique à laquelle il faut ajouter les ravages de la chenille légionnaire et l’invasion prochaine des criquets pèlerins. En conséquence, plus de 15 millions de personnes sont touchés chaque année par une situation alimentaire difficile, ce chiffre pourrait au mieux atteindre les 50 millions de personnes entre les mois de juin et août prochain.
C’est pour traiter de l’ensemble de ces questions que dès le 31 mars, les ministres de l’Agriculture, de l’Elevage et des Pêches de la CEDEAO se sont entretenus par vidéo conférence.
L’occasion pour chaque Etat de dresser son analyse de la situation. En résumé, les pays souhaitent préserver, sécuriser les capacités de production et assurer l’approvisionnement des marchés, ainsi que d’assurer l’alimentation à un prix abordable et en particulier pour les plus vulnérables.
Concernant les recommandations, elles concernent la préservation des moyens d’existence des capacités de production ainsi que l’approvisionnement des marchés. Elles réclament l’accès à tous -et aux populations vulnérables notamment- à une alimentation abordable, et la poursuite des investissements dans le secteur agro-sylvo-pastoral.
Plus précisément, il est demandé de préparer le campagne agricole 2020/2021 en approvisionnant tous les producteurs en kits d’intrants agricoles, en développant les capacités de stockage et de conservation de produits frais, ainsi que les capacités de transformation (lait, fruits et produits maraichers). Il est demandé de préserver la libre circulation des camions transportant des produits agricoles tout en renforçant la surveillance épidémiologique des maladies transfrontalières animales. Et la poursuite des projets de fourniture d’eau aux populations vulnérables et déplacées.
Quelques précisions sur certains Etats
Au Bénin, le ministre décrit que les marchés ne sont plus fréquentés dans les zones de confinements, les vivres se font rares et des comportements spéculatifs s’observent. La fermeture des frontières étant une des causes du des difficultés d’approvisionnement des marchés. Cependant, la production affiche des taux excédentaires capables d’alimenter des stocks de sécurités alimentaires (maïs, manioc, igname).
Au Burkina Faso, les aléas climatiques et l’insécurité civile ont provoqué le déplacement de 779 741 personnes à l’intérieur du pays. Actuellement, 1,5 million de personnes sont en situation de vulnérabilité alimentaire et ce chiffre pourrait atteindre 2 038 000 personnes avec l’arrivée de la période de soudure. En outre, la fermeture des frontières provoque un déficit d’approvisionnement de 702 337 tonnes de riz et de blé, ainsi que 1,5 million de tonnes de céréales. Ainsi, une assistance alimentaire est programmée et la création de 150 points de vente à prix subventionné pour la délivrance de 25 000 tonnes de céréales ainsi que la vente à prix social de 4 796 tonnes de céréales.
Au Cap Vert, le ministre rappelle que le pays entame sa 3e année de sécheresse qui conduit le pays à entreprendre des mesures de désalinisation de l’eau potable et de l’eau agricole. Une production affectée par la chenille légionnaire et les criquets pèlerins portant ainsi la contribution de l’agriculture de 8 à 3 % du PIB du pays. Le Covid-19 impacte l’économie du pays -via le tourisme- qui contribue à 22 % du PIB national. Depuis les premiers cas recensés et le premier décès, le pays se trouve en Etat d’urgence, les transports entre les îles sont arrêtés. Les marchés sont également affectés, puisque le pays importe 80 % de ses aliments de base et l’inquiétude demeure au fur et à mesure que les prix augmentent.
En Côte d’Ivoire, le Covid-19 va considérablement impacter par l’arrêt des aménagements hydroagricoles et l’arrêt des projets de développement agricole. Ces perturbations provoqueront une baisse de la production agricole de 15 à 20 %. Parallèlement, la fermeture des frontières pèse sur la sécurité alimentaire du pays et de ses pays voisins. Le ministère de l’Agriculture et des ressources animales lance en urgence un processus d’acquisition et la distribution de kits d’intrants agricoles, la fourniture d’appui techniques aux producteurs, l’encadrement de la récolte des produits agricoles, et l’approvisionnement d’Abidjan et éviter une famine (lire notre article.
En Gambie, le pays fait face à la sécheresse et au Covid-19 qui plonge 82 000 personnes en crise alimentaire et ce nombre pourraient atteindre 137 000 personnes si aucune action n’est entreprise. Le ministre précise que ce combat ne peut être mené que grâce à la livraison d’intrants et l’accès à des dispositifs d’assistance et de vulgarisation.
Au Sénégal, le ministre rappelle que le confinement est indispensable mais que les conséquences sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations les plus vulnérables sont majeures. L’inquiétude est d’autant plus vive que les risques d’invasion de chenilles légionnaire et de criquets son bien réels. Le ministre souhaite revoir la politique alimentaire des Etats en facilitant l’accès aux intrants, en développement les cultures vivrières et céréalières (mil, maïs, riz, niébé) et en réduisant toute dépendance à l’égard des importations. Le pays souhaite porter la production alimentaire à 4 millions de tonnes dès le prochain hivernage. Le coût de la stratégie de sécurité alimentaire et d’invasion acridienne est estimé à FCFA 127,4 milliards.
Au Sierra Leone, le déficit de la campagne agricole est de 500 000 tonnes de riz. Un bien mauvais nouvelle à laquelle il faut ajouter une augmentation sensible des prix des denrées alimentaires. Le pays enregistre ses premiers cas de Covid-19 et 4,6 % de la population se trouve en insécurité alimentaire.
Mahamadou YATTARA