L’affiche sera sans doute inédite. Un duel à mort mettant aux prises le président de la République en personne et le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux, il y a de quoi retenir l’attention des masses. Pourvu qu’à la fin soit proprement nettoyée l’écurie la plus immonde, nauséabonde et hautement dommageable à la santé et au bien-être du Mali et des Maliens.
Dans le calme plat des lambris dorés du palais de Koulouba, même avec la grande fraîcheur généreusement distribuée par de puissants climatiseurs, IBK ne tient pourtant pas bien dans sa peau. Certes, avec les bonnes conditions de céans, on ne verra pas qu’il transpire, mais on sent quand même que son coeur bouillonne de colère. Les palpitations seraient même audibles à un mètre près, distance recommandée comme geste-barrière face à la pandémie du Coronavirus. Ibrahim Boubacar Keïta est hors de lui-même, dans tous ses états. Au fond de lui-même, il n’a pas accepté l’arrestation de son collaborateur Mahamadou Camara, il ne l’acceptera jamais et il ne veut surtout pas le laisser pourrir dans la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako. Toutes les solutions pour l’en sortir sont en conséquence envisagées par lui. Et s’il constituait une armée d’avocats internationaux pour trouver les failles dans la procédure engagée par le Pôle Économique et Financier ? Là, IBK sait que les magistrats maliens ne sont pas nés de la dernière pluie et qu’ils comptent de surcroît parmi les meilleurs du monde. Alors, si l’on cassait tout simplement l’actuel Parquet, avec tous les services spécialisés qui y sont rattachés, et en constituer d’autres au plus vite, où quelques magistrats falots choisis pour les besoins de la cause viendraient siéger afin de classer à nouveau incognito le dossier de l’avion présidentiel et des équipements militaires ? Cette hypothèse, semble-t-il, aurait pu servir, selon des experts consultés, si IBK n’avait pas maladroitement trop vite montré sa colère au point d’amener les deux centrales syndicales de la Magistrature à resserrer les rangs autour du Pôle Économique et Financier. Il ne reste qu’une solution, celle de la dictature. Mais passera-t-elle au Mali dans les circonstances trop heurtées de la vie politique nationale ? Il s’agit que IBK prenne lui-même tranquillement sa voiture pour aller libérer Mahamadou Camara de sa prison de Bamako, comme l’avait fait le général Lansana Konté en Guinée en allant, à bord de sa voiture personnelle extraire son indélicat protégé homme d’affaires, un certain Sylla, de son cachot de Conakry. Scénario peu probable, mais que les magistrats appréhendent fort et pour laquelle ils auront la riposte appropriée qui sera contée dans les manuels d’histoire. Il reste à pouvoir faire évader le prisonnier Camara. Mais comment ? Encore sur cette éventualité, les magistrats disent avoir la monnaie de change. Ibrahim Boubacar Keïta, dans son inextinguible colère, est particulièrement furieux contre Malick Coulibaly, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux. Ce dernier refuse catégoriquement de jouer son jeu, car il a une réputation et une dignité à défendre, et qu’il ne veut brader aucunement pour une saison ministérielle. Malick Coulibaly, dans l’affaire, observe avec amusement les agitations au sommet de l’État, un branle-bas de combat qui ne dit pas son nom, mais il dit et maintient qu’il n’est pas homme à se laisser retourner les gants. À ceux qui l’ont approché, malicieusement ou ouvertement, il aurait craché à la figure que le vin est tiré et qu’il faut le boire; qu’il serait indécent de se ranger du côté des fossoyeurs de la nation déjà trop étranglée par la corruption et les détournements de deniers publics blottis sous les ailes du pouvoir ! Il ne veut pas être une sangsue pour le peuple malien, qu’on se le tienne pour dit. Vrai ou faux? C’est en tout cas Malick Coulibaly qui a, sur recommandations écrites au Parquet, ordonné la réouverture du dossier préalablement classé sans suite du dossier de l’avion présidentiel et des équipements militaires. C’est également lui qui aurait monté le dossier de l’arrestation de Mahamadou Camara avec le magistrat Amadou Ousmane Touré, actuel directeur de cabinet du Premier ministre et non moins ancien Vérificateur général de la république. On comprend pourquoi le président de la République est fâché outre mesure. En effet, Malick Coulibaly et Amadou Ousmane Touré sont deux gros calibres de la magistrature malienne. Le dernier a été de surcroît Vérificateur général, qui a eu à connaître de fond en comble toutes les techniques par lesquelles les délinquants à col blanc nichés haut sur l’arbre Mali ont tant fait saigner la patrie. On se souvient que lors d’une cérémonie de remise de rapport de vérifications au seul destinataire légal, le président de la République en l’occurrence, Amadou Ousmane Touré avait publiquement demandé à IBK une faveur, une seule : celle de lire lui-même en intégralité le rapport fort documenté qui venait de lui être remis. Pour ceux qui auront compris cette demande de faveur intrigante, l’injonction d’IBK faite au Premier ministre Boubou Cissé de se séparer de Amadou Ousmane Touré ne surprend pas.
Ahmad Ould Bilé