samedi 23 novembre 2024
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DE LA MENDICITE TRADITIONNELLE A LA TRAITE: Un juteux business qui se nourrit de la frilosité du politique face au religieux

Si mendier était une forme de solidarité, socle de la société malienne de jadis, elle a aujourd’hui tourné à l’oisiveté, à l’exploitation et à la traite dont les enfants (faux et vrais jumeaux, talibés…) sont les victimes. Des abus et crimes répréhensibles selon la législation malienne. Mais dans un pays où les leaders religieux sont plus craints que Dieu, ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre peuvent longtemps compter sur la frilosité du pouvoir politique.

Ouassa et Fousseyni, ne sont devenus jumeaux qu’à cause de la cupidité d’une jeune dame qui a choisi la facilité pour vivre. Saran était une jeune rurale qui a atterri à Bamako comme beaucoup de ses camarades d’âge afin de pouvoir réunir de quoi se payer un trousseau de mariage. Et cela en travaillant comme une aide-ménagère.

Belle et charmante, elle n’a pas non plus résisté à la tentation de vendre son charme. Ce qui  fait qu’au bout de quelques mois, elle s’est retrouvée enceinte. Une grossesse d’auteur inconnu puisqu’elle n’avait pas un seul amant. Ses tentatives d’avortement ayant échoué, elle accoucha d’un garçon qu’elle tenta un moment d’abandonner parce qu’elle ne pouvait plus retourner au village avec un enfant adultérin sans humilier ses parents. Et cela d’autant plus que ceux-ci avaient accordé sa main  à une famille alliée du village.

Ne sachant plus que faire, puisque aucune femme ne voulait d’une jeune mère comme aide-ménagère, elle rejoignit d’autres camarades d’infortune dans la banlieue de la capitale où elles squattaient des maisons inachevées. Elle revenait en ville souvent en quête de linge à laver pour pouvoir se nourrir. C’est ainsi qu’elle apprit que tous ces nombreux jumeaux aux carrefours de Bamako n’étaient en réalité que des enfants venant de différentes familles.

Attirée par le gain facile, elle se renseigna et comprit le stratagème. Il lui suffisait d’avoir un deal avec une famille qui pouvait lui «prêter» un enfant du même âge que son fils Niamankolo. Ça tombait à pic car elle vivait avec une autre jeune mère qui avait accouché près de 10 jours après elle et qui avait baptisé son bébé (une fille) Kartio. Le terrain d’entente est vite trouvé : tous les jours, Saran devait verser 2000 F CFA à la mère de l’enfant. C’est ainsi que Niamankolo est devenu Fousseyni et Kartio est appelée Ouassa.

Une enfance sacrifiée

Exploités, ces deux enfants n’ont presque joui d’aucun droit de l’Enfant, l’éducation notamment. Ils étaient souvent trimballés d’un carrefour à un autre se faufilant souvent entre les véhicules pour mendier, même sous un soleil de plomb ou sous la pluie battante.

Ils vécurent ainsi pendant des années avant que leur chemin ne se sépare avec le déménagement des propriétaires de la maison que leurs mamans squattaient. A 15 ans, Fousseyni a bénéficié de la sympathie d’un menuisier qui le prit comme apprenti et l’inscrit aux cours du soir car il le jugeait très intelligent.

Aux dernières nouvelles, il serait au Maroc (via la Mauritanie) pour tenter de rejoindre l’Eldorado européen. Quant à Ouassa, ou du moins Kartio, on a plus de ses nouvelles après une grossesse précoce qui a failli lui coûter la vie. Elle se serait réfugiée dans l’un des nombreux sites d’orpaillages de la région de Kayes.

Malheureusement, Fousseyni et Ouassa sont loin d’être des cas isolés. Ils sont aujourd’hui des centaines de jumeaux (faux et vrais) à être sacrifiés car privés de tous leurs droits et exploités par des femmes pour mendier aux carrefours de la capitale et de certains centres urbains. Sans compter les talibés victimes de tous les abus au nom de l’apprentissage du Saint Coran et des valeurs islamiques.

Des enfants que des maîtres coraniques vont chercher jusque dans les pays voisins comme le Burkina. L’apprentissage n’est qu’un prétexte pour leur exploitation. En effet, après les «cours» de la matinée, ils sont envoyés en ville pour non seulement trouver à manger, mais surtout ramener tous les jours une somme fixée par le maître coranique par élève. Une somme qui, selon nos investigations, varie de 500 à 1 000 F CFA.

Prêts à commettre le crime pour éviter le courroux et la malédiction du maître coranique

«Tous les jours, chacun de nous doit rentrer avec 1000 F CFA pour le maître. Et comme il est de plus en difficile de réunir cette somme, nous sommes nombreux a errer dans la ville la nuit dans l’espoir de réunir cette somme et éviter la punition (châtiment corporel)», confesse Boukary. Il dit être originaire du Burkina et aujourd’hui ses parents ne savent pas certainement où il se retrouve. Il a été confié à un marabout dans son village et il s’est retrouvé un moment dans la zone Office du Niger de Niono où le maître les envoyait travailler dans des rizières pour encaisser l’argent.

«Un moment, un groupe de talibés venaient fréquemment à la maison. Et mes enfants m’ont dit qu’ils déversaient dans la poubelle certains repas que nous leur donnions. Je n’ai pas cru et un jour je les ai suivis. Et effectivement, je les ai vus vider leur sébile dans la poubelle», rapporte une mère de famille.

«Le lendemain, quand ils sont venus, je n’ai pas pu retenir de leur remonter les bretelles… Et finalement, le plus grand a eu le courage de me dire qu’ils n’ont pas souvent faim, mais qu’ils ont besoin surtout d’argent parce que chacun devait rentrer avec 1000 francs en fin de journée sous peine d’être chicoté. J’avoue que des larmes m’ont échappé à mon insu», poursuit-elle.

«Les jours suivants, j’ai tout fait pour qu’ils puissent m’indiquer là où se trouvait leur maître parce que je comptais porter plainte. Mais, ils n’ont jamais voulu le faire parce que cela les exposait à sa malédiction pour le reste de leur vie. A force d’insister, ils ont finalement cessé de venir à la maison», conclut-elle.

Et pour réunir la somme, certains sont prêts à tout afin d’éviter les douloureux châtiments et la «malédiction» du Karamoko (maître coranique). Comme le cas de cet adolescent de 14 ans qui a défrayé la chronique, il y a quelques années. Il avait comparu devant un tribunal pour avoir assommé une commerçante afin de lui voler son argent.

Un juteux business couvert par l’omerta

La mendicité est donc devenue un business très juteux qui se développe sous couvert de l’islam. Une religion qui condamne pourtant la pratique sous cette dramatique forme que nous lui connaissons aujourd’hui. «L’islam condamne la mendicité telle qu’elle est actuellement pratiquée dans notre pays», a confié à des confrères Mohamed Abdallah Haïdara, professeur de sociologie à la Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines (FLASH). En 2010, plus de 12 300 talibés mendiants ont été dénombrés au Mali par la Direction Nationale du Développement Social (DNDS). Et, en 2012, une étude avait permis de recenser 17 000 enfants mendiants à Bamako. Un chiffre qui a sans doute doublé voir triplé de nos jours.

Ces formes commerciales de la mendicité nuisent à celles, préoccupantes, de personnes se trouvant dans de réelles et graves situations de précarité. Ces cas de «mendicités imposées» se retrouvent généralement parmi les orphelins et les personnes frappées de maladies handicapantes, inaptes au travail, sans aucune assistance sociale, devenant par là même occasion, indigents. La DNDS les estimait à 56 269 en 2010. Sans compter les 51 685 enfants en situation précaire et eux aussi exposés à la mendicité.

Un rapport récemment publié par la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) avait sonné l’alerte sur le développement du phénomène dans le pays. «La situation des enfants est très préoccupante car ils vivent dans l’insécurité et tombent souvent dans le banditisme», avait assuré le rapport.

«Ces enfants n’auraient-ils pas droit à la même protection que les nôtres ? En dépit de la ratification d’énormes conventions protégeant la personne humaine, rien n’est entrepris par l’Etat malien pour éradiquer le fléau. Les programmes d’assistance solidaire semblent ignorer l’ampleur et la gravité du phénomène», a déploré un confrère qui avait consacré un article au fléau en août 2011.

Malheureusement, la situation est pire aujourd’hui que durant les années 2010 ! Cette forme de traite des enfants est couverte par l’omerta parce personne ne veut avoir sur le dos les maîtres coraniques dans une République des… Marabouts !

Moussa Bolly

Djibril Coulibaly

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