samedi 23 novembre 2024
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13 JUILLET 1929 – 4 SEPTEMBRE 2016 : Le testament politique d’Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni

Le 4 septembre 2016 disparaissait un des derniers géants parmi les acteurs de l’histoire contemporaine du Mali. Ses nombreuses publications, surtout celles des dernières années sur l’histoire de l’USRDA et sur l’expérience de la gestion du pouvoir de la première république ont fourni des repères importants à la jeunesse malienne. Il a laissé une immense documentation variée et riche d’enseignements. Il est important de réfléchir de façon urgente à la sauvegarde de l’héritage documentaire qu’il a laissé.
Je me rappelle encore de ses larmes, lors de la déroute de l’armée malienne face à l’offensive rebelle dans le nord du pays. Des années durant, il avait vu venir l’effondrement du Mali depuis l’avènement de la ‘démocratie’. Il s’est battu et a tenté en vain de redresser la barre en s’investissant dans la renaissance du parti USRDA avant de désenchanter face à la trahison des idéaux de Modibo Keita, devenu au fil du temps, un ‘faux drapeau’ pour des opportunistes dont la pratique jurait avec son idéal. Il décida alors de jeter sa dernière énergie dans la publication de textes clés susceptibles de faire comprendre aux jeunes générations, les idées et le combat du père de l’indépendance du Mali.
Ses derniers moments furent consacrés essentiellement à l’émergence d’une conscience politique au sein de la jeunesse malienne. Il aimait leur compagnie. Il dénichait toujours un document pieusement conservé pour étancher leur soif de savoir. De nouvelles interrogations naissaient dans leur tête. Tel un laboureur infatigable, il ensemençait leur esprit avec méthode et patience.
Au-delà, il leur apprenait aussi les règles et méthodes d’une bonne et saine organisation lors de causeries empreintes d’un fort esprit de camaraderie, malgré la différence d’âge. Il était un expert en la matière.
Amadou Seydou Traoré attirait l’attention des jeunes sur les questions de comportement par rapport aux activités. De ses nombreuses causeries, ressortaient des axes précis :
De l’esprit de tolérance
« La première, c’est l’esprit de tolérance. Vous venez d’horizons différents, vous avez évolué dans des milieux différents, vous avez un niveau de culture différent, vous avez des expériences sociales différentes. Donc pour avoir une idée commune, une démarche commune mentalement, il faut beaucoup de tolérance de la part des uns vis-à-vis des autres. Il faut accepter que les autres soient différents, qu’ils pensent différemment, qu’ils se comportent différemment, et que par le débat amical, fraternel, par les échanges entre camarades, on puisse se mettre d’accord sur la meilleure façon de faire, la meilleure façon de dire, la meilleure façon de se comporter. Mais il faut être tolérant au départ. Il faut se battre contre l’intolérance parce que ça vous empêche de vous rapprocher, de vous unir, et de réaliser une symbiose entre vous. »

De la capacité d’écoute
« Le deuxième point c’est la capacité d’écoute. Il faut écouter les uns et les autres. Il faut accepter que les gens parlent et qu’ils ne disent pas ce que vous, vous voulez dire à leur place. Il ne faut pas interrompre quelqu’un qui intervient, lui donner le sentiment que ce qu’il dit ne vaut rien. Il faut avoir une grande capacité d’écoute; c’est très important. Il faut qu’on s’écoute entre nous ici, qu’on écoute aussi les gens qui nous parlent ou qui parlent de nous. C’est la capacité d’écoute qui permet de s’enrichir. En même temps, en écoutant les gens, il faut savoir qu’en politique, derrière toutes les paroles et quelles que soient les paroles, il y a un intérêt qui se cache. Quand vous écoutez quelqu’un, il faut savoir que derrière sa parole il y a un intérêt qui se cache. Il faut découvrir cet intérêt sinon vous serez la dupe de la situation ou la personne sera dupée parce qu’elle aura le sentiment de n’avoir pas été comprise. Donc derrière chaque parole, derrière chaque attitude, derrière chaque position en politique il y a un intérêt qui se cache. Il faut le découvrir tout en écoutant attentivement. C’est ce qui permet de lire, de décrypter les messages et de les utiliser à bon escient. »

Du courage devant la vérité
« La troisième chose, c’est le courage devant la vérité, pas seulement la vérité que nous disons à quelqu’un. Un tel, tu vois je vais te dire la vérité. Non. Il faut avoir le courage devant la vérité qui vous concerne aussi. Quand vient le moment où on vous dit la vérité, il faut l’accepter. C’est très difficile. C’est plus facile de dire la vérité aux autres que d’écouter la vérité qui vous concerne. Il faut avoir le courage devant la vérité. »

De l’honnêteté et de la loyauté
« Quatrièmement, il faut être honnête et loyal. C’est-à-dire de ne jamais poser un acte, ne jamais entreprendre une démarche contre quelqu’un dans cet ensemble. Il ne faut rien faire contre quelqu’un. Il faut la loyauté entière entre vous. Que chacun soit très sincère et très clair avec tous. »

De la modestie
« Cinquièmement, c’est la modestie. Soyons modestes dans nos comportements réciproques. Sachons que chacun peut nous apporter quelque chose. Je suis en train d’apprendre avec vous. Pourtant j’ai quatre-vingt-cinq ans, j’ai plus de cinquante ans de vie politique, mais j’apprends avec vous. Et j’apprendrai encore. Donc c’est sûr que chacun d’entre vous peut apprendre avec les autres et que les autres apprendront avec chacun. Il faut rester modeste. »

Eviter la médisance
« Sixièmement, éviter de parler les uns des autres. Que ce soit en intimité, que ce soit en aparté, que ce soit à votre domicile, il faut éviter de parler des autres. Parler de vos camarades finit très peu souvent avant que ne s’engage la médisance. Et si la personne apprend ce que vous avez dit d’elle en son absence, il se creuse un fossé qui risque de s’agrandir et de s’approfondir entre vous. Donc, refusez de parler les uns des autres. Et si quelqu’un vous parle de l’un d’entre vous, dites-lui : vraiment, si tu as autre chose à me dire, dis- le, mais, lui, ne m’en parle pas parce je travaille avec lui. C’est un bon barrage pour maintenir l’unité. Au Mali, on aime beaucoup parler et surtout parler en dehors des lieux de rencontres et de réunions, en dehors des lieux publics. Je vous demande vraiment de réfléchir à la question. »

Penser ensemble
« Il est habituel de donner à des équipes comme la vôtre, le conseil suivant : il faut vous considérer comme les cinq doigts de la main. D’abord il ne faut jamais penser et conclure tout seul, surtout ne jamais commencer à appliquer ce qu’on a pensé tout seul. Exprimez vos idées en réunion et partagez avec vos camarades les réflexions que vous avez. Ne pensez pas seul parce que lorsqu’on est seul on est en mauvaise compagnie. Donc prenez l’habitude de penser ensemble. »

Décider et agir ensemble
« Décidez ensemble. Une fois que la décision est prise, elle est valable pour tout le monde, même pour ceux qui n’étaient pas d’accord auparavant. Cela est très important. Je discute avec les camarades, je ne suis pas d’accord sur une position. Les camarades en majorité décident que c’est comme ça ; j’accepte la décision et mieux, les camarades peuvent me charger de l’exécuter, et si je suis sincère et sincèrement démocrate, je dois appliquer la décision sur laquelle je suis battu et que la collectivité me demande d’appliquer. Très souvent, c’est arrivé chez nous à l’USRDA. Donc décidez ensemble, exécutez ensemble. Parce qu’au moment de l’exécution, les camarades qui en sont chargés ont besoin de tous les autres. Pendant qu’il est en train de faire le travail, un militant peut vous saisir et vous faire la remarque suivante : qu’est-ce qu’il fait celui-là ? Si vous répondez que c’est comme ça que cela a été décidé, le camarade sera aidé par votre soutien moral. »

Contrôler ensemble
« Ensuite, il faut contrôler ensemble. Le contrôle des tâches doit être fait ensemble. On a décidé de telles tâches, comment cela a été fait, est-ce que cela a été fait à temps ; après le constat ensemble, s’il y a des fautes, des erreurs ou des insuffisances, on corrige ensemble. C’est cela les cinq doigts de la main : penser ensemble, décider ensemble, exécuter ensemble, contrôler ensemble, corriger ensemble. Ainsi vous vous tiendrez comme les cinq doigts de la main ; cela tient fort et vous naviguerez correctement. »

La politique est une science
« D’autre part, il est important que ceux qui le savent s’en convainquent et que ceux qui ne le savent pas, réalisent que la politique est une science, et une science qui évolue très vite. Ce n’est pas de l’artisanat. Donc chacun d’entre vous a le devoir non seulement d’apprendre cette science mais d’en suivre l’évolution pour ne pas être en retard sur les événements. Dans votre groupe, il va falloir accepter d’organiser des réunions pour débattre des sujets, des dossiers, des analyses et d’autres documents concernant la science politique. Il ne s’agit pas d’aller à l’université, de suivre des cours magistraux, il s’agit d’une formation réciproque qui puise sa force dans l’échange. La formation s’acquiert par la discussion des problèmes, dans l’analyse des situations et des dossiers, dans l’approfondissement des questions. Vous vous rendrez compte que cela est bénéfique pour tout le monde. »

En politique, pas de brouillon
« Le dernier point sur lequel j’attire votre attention, c’est qu’en politique il n’y a pas de brouillon. Tout se fait au propre. Tu ne peux pas dire, hier j’ai prononcé telle phrase, oubliez-la, je ne l’ai pas dite. On te répondra : tu l’as dit, bien dit et dans cinquante ans on te le répétera. Il reste entendu qu’en politique, on peut commettre des erreurs. Mais quand cela arrive, il faut les reconnaître honnêtement et corriger rapidement. Sans quoi, si l’on s’entête, plus le temps passe, plus le taux d’escompte de la sanction augmente. Et on paie les fautes, plus cher encore. La matière politique se travaille comme le béton. Il faut du sable, du ciment, de l’eau pour faire le béton. S’il n’y a pas de sable, le ciment et l’eau ne font pas le béton ; s’il n’y a pas de ciment, le sable et l’eau ne font pas le béton ; et s’il n’y a pas d’eau, le sable et le ciment ne font pas le béton. Les trois éléments du béton politique sont : la formation et l’organisation, la mobilisation et la communication, les moyens financiers, matériels et les ressources humaines.
Il faut que ces trois éléments fonctionnent ensemble pour que le béton politique prenne bien. Donc en faisant votre programmation, il faut agencer de façon harmonieuse ces trois éléments dans le temps imparti. »

Derniers conseils
« C’étaient donc les quelques conseils que j’ai voulu vous donner, en vous renouvelant mes vœux de santé et de succès parce que de votre succès peut sortir une grande chose qui va sauver notre pays. Et si le Mali est sauvé, soyez sûrs que l’Afrique sera sauvée.
L’histoire vous donne la chance de jouer un rôle essentiel dans ce pays. Il faut que dans l’amitié, dans l’entente, dans le dévouement sincère à la cause qui vous réunit, vous enregistriez les plus grands succès. Je suis entièrement disponible, mais j’ai un devoir de réserve par rapport à votre équipe pour la laisser faire preuve de la solidité de ses muscles et de la richesse de son imagination.
C’est sur cette note que je termine en souhaitant à tous, le meilleur possible. »
Tel est le testament politique du grand patriote que fut Amadou Seydou Traoré.
Pr Issa N’Diaye.

Djibril Coulibaly

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