La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), créée sous l’égide de l’Union Africaine (UA), est la principale instance judiciaire en matière de Droits humains sur le continent. Elle a été établie par le Protocole relatif à la Charte africaine des Droits de l’Homme, adopté à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 9 juin 1998, et entré en vigueur le 25 janvier 2004. C’est sur la table de cette juridiction panafricaine qu’une plainte vient d’être déposée contre l’Etat malien. A la baguette de cette initiative, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH). Ces deux structures entendent ainsi défendre la cause des anciens travailleurs du Laboratoire ALS contaminés au plomb.
Les anciens travailleurs du laboratoire ALS sont un groupe de 135 personnes ayant été contaminées au plomb dans le cadre de leur travail entre 2000 et 2013 pour la société Australian Laboratory Services (ALS) dans notre pays, un laboratoire chargé du traitement des minerais. Mais les faits objets de leur plainte remontent en 2009 lorsque ces travailleurs du Laboratoire ALS ont exprimé des revendications concrètes auprès de leur Direction Générale afin de voir leurs conditions de travail améliorées ; dans le cadre, notamment, de la prise en charge des maladies développées du fait de leur exposition prolongée aux produits chimiques utilisés. Ces revendications ont eu pour conséquence plusieurs vagues de licenciements abusifs entre 2010 et 2012 dont les Représentants syndicaux des travailleurs. Aussi, il n’y a eu aucune amélioration des conditions de travail des employés.
En novembre 2013, une mission d’enquête demandée par le Ministère malien de la Santé a, par ailleurs, permis de constater qu’effectivement il y a eu de graves cas de manquements aux règles d’hygiène et de sûreté en la matière. Ces conclusions sont d’autant plus accablantes que la Direction du laboratoire ALS était non seulement informée du taux excessif de plombémie présent dans le sang de certains employés dès 2008, mais a volontairement dissimulé ces informations médicales.
A ce jour, l’ALS a licencié tous ses employés et a mis fin à ses activités au Mali à l’exception d’un seul laboratoire à Bamako. Aucune des sollicitations ou plaintes déposées par le Collectif des anciens travailleurs du laboratoire ALS concernant les intoxications au plomb n’a été suivie d’effets, ni par les autorités judiciaires nationales, ni par les autorités exécutives ou encore l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS), organisme de protection sociale auquel les travailleurs étaient affiliés.
C’est dans ce contexte d’immobilisme généralisé des institutions publiques de notre pays que la FIDH et l’AMDH ont décidé d’accompagner et de représenter le Collectif de Travailleurs du laboratoire ALS dans ses démarches auprès des juridictions internationales spécialisées. Ce, à travers une plainte déposée devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Dans cette plainte, le Collectif invoque les violations par l’État malien des articles 16 et 24 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pour avoir failli à son obligation de protéger les droits de ces travailleurs à jouir du meilleur état de santé possible.
Par ailleurs, le Collectif invoque les violations par l’État malien des articles 7.1. et 26 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que les articles 2.3 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour avoir manqué à son obligation d’enquêter sur les allégations en cause et, le cas échéant, de poursuivre et condamner les Responsables, plus de 5 ans après le dépôt d’une plainte du Collectif devant les autorités judiciaires nationales (violation du droit des victimes à voir leur cause jugée par un tribunal).
Signalons que la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a pour mandat de veiller au respect, par ses États parties, de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et de tout autre instrument relatif à la protection des Droits de l’Homme ratifié par ces États. Elle agit en complémentarité avec la CADHP (Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples).
La Cour Africaine peut être saisie par cette seconde CADHP, par un État partie ou par une organisation intergouvernementale africaine. L’article 34 (6) du Protocole prévoit aussi la possibilité pour les États de déposer une déclaration permettant également aux individus et aux ONG ayant le statut d’observateur devant la CADHP de porter plainte directement devant la Cour, après épuisement des voies de recours internes. Les décisions de la Cour sont définitives et contraignantes ; en d’autres termes, elles ne sont susceptibles d’aucun recours et elles s’imposent aux États parties au Protocole.
Katito WADADA : LE COMBAT