Hier, 27 septembre, était célébré dans le monde entier, la journée internationale du tourisme. Destination prisée par les touristes, le Mali qui depuis l’éclatement de la crise en 2012 est considéré comme « zone rouge ». Donc, interdit aux touristes par leurs chancelleries. Plusieurs secteurs en ont fait les frais. Parmi eux, celui de l’Artisanat.
Comment nos Artisans vivent cette situation quasiment depuis 2011 ?
Suivez-nous dans la cour de la Maison de l’Artisanat de Bamako pour écouter les acteurs se prononcer.
En cette journée internationale du tourisme qui, en principe, doit être jour de fête chez les acteurs, le constat est sombre. A la maison des Artisans de Bamako, tout est calme. Des petits groupes de quatre à cinq personnes sont formés un peu partout dans la cour. Ça taille bavette autour du thé fumant. Les sujets vont de la politique aux pronostics sur le score du match de league des champions qui devrait opposer dans la soirée le Réal de Madrid et le Borussia Dortmund. Un peu à l’écart des débatteurs, Fodié Sylla entretient ses masques et autres objets d’art, comme s’il s’apprêtait à accueillir des clients. Mais, ce matin, comme cela est presque devenu habitude depuis l’éclatement de la crise en 2012, Fodié n’a pas grand espoir concernant la vente de ces œuvres. «Nous, nos principaux clients sont des touristes européens. Ce sont eux qui venaient acheter nos œuvres. Mais, avec la crise, ils ne viennent plus. Nous pouvons faire des jours sans vendre un seul article. Et, pourtant, nous devons payer l’électricité, les box en plus des charges familiales, etc. C’est vraiment compliqué pour nous».
La crise n’a pas affecté que le seul secteur de l’Artisanat. Ça, Fodié le sait. «C’est vrai, nous ne sommes pas les seuls à faire les frais de la crise. Les hôteliers sont aussi concernés. Mais, à la différence de nombreux autres secteurs, pour nous les artisans des œuvres d’art c’est plus compliqué. Le rapport du Malien à l’Art n’est pas aussi développé. On continue à considérer nos œuvres comme des fétiches et dans un pays où il y a quelque 90% de musulmans, comprenez que nous souffrons», dit-il tout en assenant quelques coups de serviettes au masque qu’il tenait, histoire de le dépoussiérer. Toujours occupé à entretenir ses œuvres dans l’attente secrète d’un hypothétique client, nous nous éloignons de Fodié Sylla. Des bruits mélodieux de Tam-tam attirent notre attention. Contrairement à la morosité qui règne devant le box de Fodié, nous espérons trouver un peu de gaité et de joie de vivre de là où provient ces sons. Guidés par les sonorités qui montaient crescendo, nous nous retrouvons finalement devant un gaillard aux muscles saillants, le visage embué de grosses gouttes de sueur. Les yeux fermés, la tête légèrement penchée vers l’arrière et inclinée vers l’épaule droite, il alterne sans arrêt les belles mélodies. Certainement perturbé par notre présence et le regard admiratif que nous lui lancions, il s’arrête net. Un large sourire laisse apparaitre une dentition mal ajustée. «Chef, ça va ? Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? », nous a-t-il questionné. À peine avions-nous abordé la question de l’absence des touristes depuis le début de la crise, que Sylvain Kéïta, c’est son nom, nous coupe la parole pour, ensuite, comme dans un monologue égrenant un chapelet, nous parler les difficultés auxquelles il est confronté depuis mars 2012. «Depuis le début de la crise, nous ne voyons presque plus de touriste venir par ici. Alors que chaque jour, avant la crise, ici c’était le lieu de rencontre par excellence des touristes pour faire des achats et contempler notre savoir-faire. Si on comptait une centaine de touristes par jour, ils ne sont plus que trois à quatre aujourd’hui. Et, ce sont, pour la plupart, les éléments de la MINUSMA», nous a-t-il confié. Lui qui avait un chiffre d’affaire de 150.000 à 200.000 francs CFA par jour avant la crise, peine, aujourd’hui, à avoir 20.000 francs. Même si chez eux aussi, ça tourne au ralenti, les bijoutiers, peuvent compter sur une clientèle locale pour joindre les deux bouts. «Nous, on s’en sort mieux par rapport aux sculpteurs et vendeurs d’autres œuvres d’art. Nous proposons de l’Or et de l’argent, ce sont des métaux qui sont prisés par les femmes ; surtout lors des cérémonies de mariage. Heureusement que la crise n’a pas affecté le rythme des mariages », dit ce bijoutier en discutant avec un client qui venait pour se procurer de l’Or.
Si Fodié Sylla dénonce l’indifférence du Gouvernement à leurs problèmes, le Président de la Maison de l’Artisanat de Bamako, Aboubacar Mohamed Samaké, soutient le contraire. Selon lui, le Gouvernement, en partenariat avec la Maison des Artisans, est en train de mettre en valeur d’autres sites touristiques dans d’autres localités du pays pour faire revenir les touristes. Ce travail qui a débuté depuis un moment va, selon lui, bientôt porter ses fruits au grand bonheur des Artisans. La tête voilée d’un épais turban, il garde espoir et prodigue des sages conseils à son entourage en rassurant les uns et les autres que la reprise des activités et la relance totale de leur secteur c’est pour très bientôt. Il en veut pour preuve l’organisation par le Gouvernement, du 18 au 28 novembre, le Salon International de l’Artisanat Malien (SIAMA).
En quittant les lieux, une image saisissante attire notre attention. Un pied tendu, l’autre relié, le buste courbé, les yeux derrière des lunettes en loupes, une main experte de plus de 70 ans, sculptait. Sur le bois gravé se dessine le visage rayonnant et souriant d’une belle femme. Un signe ? Qu’il advienne, donc.
Mohamed Dagnoko