Le pouvoir malien a ouvertement lié la libération de 46 soldats ivoiriens, détenus depuis deux mois à Bamako, à l’extradition de personnalités maliennes vivant en Côte d’Ivoire. Un jeu d’échange complexe entre deux pays aux relations de plus en plus tendues.
L’on avait eu la faiblesse de croire que la libération des soldates ivoiriennes détenues au Mali, grâce à la médiation togolaise, ouvrirait la voie à la libération de leurs frères d’armes encore embastillés à Bamako, en particulier et au dégel des relations entre les deux pays en général. Que nenni ! En effet, la libération des 46 soldats encore détenus au Mali, à laquelle certains observateurs, logiquement, s’attendaient, risque d’être renvoyée aux calendes maliennes. En cause. L’exigence faite par Bamako à la Côte d’Ivoire, d’extrader les personnalités politiques maliennes qui ont trouvé refuge à Abidjan. Cette condition doit être remplie par la Côte d’Ivoire, pour la libération des 46 soldats aujourd’hui en détention au Mali. Cette contrepartie a été clairement formulée dans un communiqué de la présidence malienne, datant du vendredi dernier. Selon une source, le lien opéré par Bamako entre les deux dossiers est purement et simplement « un règlement de comptes ». La même source considère cette contrepartie comme « une prise en otage et un moyen de chantage ».
Jusque-là, les autorités maliennes insistaient publiquement sur un traitement « judiciaire » du dossier des soldats ivoiriens retenus au Mali. Mais le président de la transition, le colonel Assimi Goïta, évoque désormais une nécessaire « contrepartie », confirmant des informations selon lesquelles l’extradition de personnalités maliennes faisait partie de la discussion sur le sort des soldats ivoiriens.
Au « moment où la Côte d’Ivoire demande la libération de ses soldats, elle continue de servir d’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice », a dit le colonel Goïta lors d’une rencontre avec le ministre nigérian des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, le vendredi dernier. « Ces mêmes personnalités bénéficient de la protection de la Côte d’Ivoire pour déstabiliser le Mali. D’où la nécessité d’une solution durable à l’opposé d’une solution à sens unique qui consisterait à accéder à la demande ivoirienne sans contrepartie pour le Mali », a-t-il dit.
Parmi les personnalités visés par le pouvoir malien, on compte notamment Karim Keïta, le fils de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta renversé par les colonels en 2020, Boubou Cissé, Premier Ministre et Tiéman Hubert Coulibaly, ministre de la Défense et des Affaires étrangères sous M. Keïta
On peut voir derrière ce raidissement de Bamako, une tentative du pouvoir de ne pas s’aliéner une partie de son opinion
Face à cette exigence, l’on peut légitimement se poser la question de savoir ce que va faire Alassane Ouattara, concrètement. Autrement dit, va-t-il céder à la requête de Bamako ? Ou va-t-il lui opposer une fin de non recevoir ? Sans être dans le secret des dieux, l’on peut se risquer à dire que le palais de Cocody optera pour la deuxième hypothèse. Et ce qui peut justifier cette position est le suivant. D’abord et sans prendre parti pour la Côte d’Ivoire, l’on peut voir derrière ce raidissement de Bamako, une tentative de la junte, de ne pas s’aliéner une partie de son opinion, remontée aujourd’hui contre la France, et par effet induit, contre son ” valet “, Ouattara. Le président ivoirien ne peut pas se permettre d’accéder à la requête, au risque de faire l’affaire de cette opinion, pour laquelle tous les malheurs qui s’abattent sur le Mali aujourd’hui, portent la signature de deux personnes, c’est-à-dire Macron et Ouattara.
L’autre raison pour laquelle la Côte d’Ivoire pourrait refuser le deal de Bamako, est lié à ceci : la Côte d’Ivoire, depuis Houphouët Boigny, a toujours ouvert ses portes aux opposants africains. Ce fut les cas de l’opposant biafrais, le colonel Ojukwcu, de l’empereur Bokassa de Centrafrique et de biens d’autres. Ce n’est donc pas le Houphouëtiste pur teint qu’est Ouattara, qui va s’offrir le luxe de torpiller cette tradition héritée du père de la Nation. Une dernière raison pour laquelle Alassane Ouattara pourrait ne pas donner une suite favorable à la requête malienne, est qu’en Eburnie, l’opposition et la majorité semblent d’avis pour que la Côte d’Ivoire ne plie pas l’échine devant la junte malienne dans cette affaire. Alassane Ouattara en est conscient, si fait qu’il ne peut pas s’aventurer à se mettre à dos son opinion en se pliant aux conditions maliennes.
Ce nouvel épisode de la crise entre Abidjan et Bamako, n’est pas pour faciliter la diplomatie togolaise
À cela, il faut ajouter que le Président Alassane Ouattara pourrait avoir un cas de conscience, en livrant au pouvoir malien, les personnalités refugiées chez lui, étant donné que ces derniers risquent de ne pas bénéficier d’un procès équitable, en l’état actuel des choses au Mali. Cela dit, l’on peut aussi concéder aux autorités actuelles du Mali, le droit de poursuivre leurs compatriotes qui sont en rupture avec la loi où qu’ils soient, et celui de mettre la barre très haut dans les négociations qui sont en train de se dérouler sous l’égide de la diplomatie togolaise. À ce propos, l’on peut se poser la question de savoir quelle sera l’attitude du médiateur togolais face à la contrepartie proposée par Bamako pour la libération des 46 soldats ivoiriens encore détenus au Mali.
En tout cas, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce nouvel épisode de la crise entre Abidjan et Bamako, n’est pas pour faciliter la diplomatie togolaise dans ses efforts de dissiper les gros nuages qui obstruent aujourd’hui le ciel des relations entre les deux pays. En tout état de cause, tout doit être fait, de part et d’autre, pour éviter l’escalade. Car, personne ne gagne à ce que la tournure des choses aboutisse à un affrontement entre les deux pays, sauf, bien sûr, les terroristes et autres extrémistes des deux camps. C’est dans ce contexte de tensions entre la Côte d’Ivoire et le Mali, que le Premier ministre par intérim du Mali, le colonel Abdoulaye Maïga, a accordé un entretien à la presse locale. Cette personnalité, adepte de la diplomatie va-t-en-guerre, quand il était ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, a affiché un nouveau visage lors de l’entretien : celui de la pondération. Il reste à souhaiter que cette nouvelle posture, si c’en était une, ne soit pas un feu de paille, de sorte à aider le Mali à se réconcilier avec lui même et avec tous les pays avec lesquels il a maille à partir aujourd’hui.
Jean Pierre James LE NOUVEAU REVEIL