vendredi 22 novembre 2024
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Orpaillage traditionnel à Diabarou : Ces filles chercheuses d’or

Au Mali, la Région de Kayes, connue pour ses richesses aurifères, voit ses salles de classes se vider au profit des sites d’orpaillage traditionnel. Dans le cercle de Kéniéba, on le dit sous cape: «L’or vaut mieux que le Diplôme». C’est pourquoi ce pénible travail ne se fait pas sans l’aide des enfants et surtout des jeunes filles. Reportage sur le site de Diabarou, à 23 km de Kéniéba ville.

 

Niché au milieu des chaines de montagnes du Tambaoura, le village de Diabarou, situé dans la Commune rurale de Dabia, Cercle de Kéniéba, Région de Kayes, est un haut lieu d’orpaillage traditionnel. Depuis 1979, de nombreuses générations se sont relayées sur ses différents sites à la recherche du métal jaune, l’or, dont le Mali regorge. «Les recettes minières en 2016 ont rapporté 280 milliards au Budget d’Etat, soit 68% des recettes d’exploration, 22% des recettes fiscales, 6% du PIB et créé 12.000 emplois », selon Tiémoko Sangaré, Ministre des Mines de l’époque.

À côté des grandes mines, l’orpaillage traditionnel aussi, bien  qu’informel et officiellement interdit par  les autorités à cette période de l’année fait du chiffre.  Le Mali se classe aujourd’hui troisième pays sur le continent après l’Afrique du Sud et le Ghana dans la production aurifère.

Le  forçat des filles 

Sur ce site de Diabarou, les petites mains de Sira Coulibaly sont mises à contribution pour extraire l’or au lieu d’écrire dans un cahier. Sira, ignore son âge. À vu d’œil, elle ne doit pas dépasser 15 ans. Le corps en sueur, la calebasse en mains, elle pratique ce qu’on appelle ici le «lavage» des pierres concassées pour retrouver le fameux métal jaune. «J’ai été à l’école jusqu’en classe de 5e année fondamentale. C’est ma mère qui m’a retiré de l’école pour l’aider dans ses tâches ménagères et aussi sur le site d’orpaillage», dit-elle.

Installée depuis une dizaine d’années à Diabarou avec ses parents venus de la Guinée-Conakry, Sadio Kanté, tout comme Sira Coulibaly, a été contrainte de quitter les bancs de l’école pour venir chercher l’or.  À son jeune âge, elle abat un travail difficile du lever du soleil à son coucher pour un salaire journalier ne dépassant pas 5000 francs CFA.  Cette activité n’est pas sans peine pour les jeunes filles. «Il y a des jours où je ne me rends pas sur le site d’orpaillage ; car, je suis épuisée et malade », dit Sira Coulibaly. L’une et l’autre rêvent d’un retour à l’école, mais les mentalités semblent constituer des obstacles à la réalisation de ces rêves.

Daouda Kanté, forgeron à Diabarou, fabrique les outils nécessaires aux orpailleurs pour creuser le sol. À côté de son métier, il est aussi propriétaire de site d’orpaillage « Daman ». En ce dimanche matin, il a quitté son  atelier pour venir inspecter ses Hommes au travail. Autour de lui, des enfants mettent la main à la pâte pour aider les adultes. Il n’y voit aucun inconvénient. «Chez nous ici, les métiers ne sont pas développés. Et puis nous sommes dans une zone minière. C’est notre activité principale. Les enfants à un certain âge aiment suivre leurs parents sur leurs lieux de travail. Quand ils viennent, nous leur montrons notre savoir faire pour qu’ils puissent eux aussi bien exercer le travail à l’avenir », affirme Daouda Kanté. Quand on lui demande s’il sait que la place des enfants c’est plutôt en classe et non sur les sites d’orpaillage où ils sont exposés, il est évasif. Mamady Kéïta, venu lui aussi de la Guinée-Conakry, lui affirme que sur les tracteurs, ces grosses et bruyantes machines qui concassent les pierres sorties des trous, les enfants ne sont pas admis. «À notre niveau, les enfants font juste les petites commissions. Ils vont acheter le thé, la cigarette etc.», dit-il. Ils sont nombreux, les adultes sur le site de Diabarou à cautionner le travail des enfants et à accepter qu’ils quittent l’école pour qu’ils viennent chercher l’or. Ici, on le dit sous cape: «L’Or vaut mieux que les Diplômes».

Les Diplômés orpailleurs

Sur le site d’orpaillage de Diabarou, ils sont plusieurs centaines de personnes à y travailler. Ils viennent de tout le Mali, mais aussi des pays limitrophes comme la Guinée Conakry, le Burkina Faso et le Sénégal. C’est un melting-pot.  Ce site, à l’instar de nombreux autres à travers la zone, n’accueille pas que des illettrés. Ils sont nombreux, les Diplômés sans emploi, à y trouver un « emploi » nous confirme Bréhima Kéïta, fils du Chef de village de Diabarou et aussi propriétaire de site d’orpaillage.  «Le manque d’emploi amène de nombreux élèves, des Diplômés sans emploi et même des Enseignants qui ont abandonné la craie sur ce site pour chercher de l’or. Si après les études celui qui doit prendre la famille en charge se voit contraint au chômage, faute d’emploi, il est obligé de venir ici à défaut d’aller à l’immigration clandestine », soutient Bréhima Kéïta.

Si l’immigration clandestine cause de nombreux décès dans le désert et dans l’océan, les sites d’orpaillage font aussi de nombreuses victimes. Les forages souterrains s’écroulent très souvent sur des orpailleurs pris au piège.  Les trous abandonnés après exploitation ne sont pas en reste. Le site, selon Daouda Kanté, a enregistré une dizaine de morts lors des  cinq dernières années.

En cette période hivernale, de nombreux trous se sont effondrés sur le site de Diabarou. Les abris de fortune renversés dans de grosses  fausses et des arbres déracinés  témoignent des dégâts enregistrés sur le site et qui le rendent encore plus dangereux.  À plus de 10 mètres sous terre, ces jeunes orpailleurs, avec des moyens rudimentaires, creusent, encore et encore. Le danger n’est jamais loin et ils en sont conscients. «Parfois, des acteurs politiques, des agents d’ONG viennent ici pour nous dire que l’orpaillage traditionnel est dangereux et qu’il fait beaucoup de victimes. Nous leur rétorquons que la route fait plus de victimes que nos sites. Il y a des risques partout, dans l’avion, sur la route et aussi sur nos sites »,  dit sans ambages Daouda Kanté.

Retour  des enfants à l’école

Au niveau des autorités locales, on dit mesurer toute la gravité du phénomène sur la scolarisation des enfants en général et des filles en particulier. Ici, sur quatre filles inscrites à l’école, une seule termine son cursus scolaire.

Baghaga Fadimata Camara est la première femme  Présidente du Conseil de Cercle de Kéniéba. Elle occupe ce poste depuis 2009 dans un milieu où les femmes ne sont pas toujours aux premières loges. Enseignante à la retraite, précédemment point focal scolarisation des filles à Kéniéba, mieux que quiconque, elle connaît le sujet et en parle avec beaucoup d’aise. «Je me suis investi en faisant des missions de sensibilisation. Il faudrait sensibiliser pour un changement de comportement dans notre milieu. Le comportement des gens et leurs mentalités sont des entraves dans notre société pour la scolarisation des filles. J’ai fait des actions pour changer ça. Aujourd’hui, le challenge c’est de pouvoir maintenir les filles inscrites pour assurer plus tard une certaine autonomisation des femmes dans la Région», explique-t-elle couramment.

Les enfants journalistes et parlementaires du Mali se sont rendus sur ledit site pour sensibiliser les parents et leurs camarades sur les avantages de la scolarisation. Au terme de cette visite, la Vice- présidente du Parlement des Enfants du Mali, Assan dite Badiallo Sow, s’est dit émue de voir des filles qui ont pratiquement le même âge qu’elle abattre des travaux qui dépassent leurs forces. Elle s’est aussi étonnée du fait que les filles qui y travaillent ne connaissent pas leur âge. Un obstacle devant la loi pour les appeler enfants qu’il faudra, selon elle, corriger avec les autres partenaires afin de doter ces filles des actes de naissance. «C’est à ce moment que nous pourrons réellement mener de vrais plaidoyers pour leur sortir de cette situation». Mais, avant cela, les enfants journalistes et parlementaires comptent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour amener les autorités à faire en sorte de réduire le chiffre de 2 millions d’enfants qui ne vont pas à l’école à travers tout le pays.

C’est le cœur lourd et le pas lent que les enfants parlementaires et journalistes ont laissé derrière eux leurs camarades qui, sous un soleil de plomb, continuent avec la calebasse à la main, dans une eau boueuse, à chercher l’or.

Mohamed Sangoulé DAGNOKO, Envoyé Spécial : LE COMBAT

Rédaction

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