« Des femmes enceintes éventrées en face de leurs enfants, des vieillards torturés et humiliés et des villages entiers incinérés avec leurs greniers ». Ce sont entre autres les révélations faites sur l’épuration ethnique, les massacres et rapts concomitants contre la Communauté Peulh dans les Régions du Centre par le Président de l’association Tabital Pulaaku, Abdoul Aziz Diallo, dans une vidéo de 13 minutes 26 secondes. Des mots durs qui font froid au dos. Les autorités maliennes sont-elles complices ? Avec les preuves citées ici par le Chef des peulhs, l’hypothèse n’est pas à écarter.
Assis sur un fauteuil, habillé en boubou bleu clair, lunettes aux yeux, le Président de Tabital Pulaaku nous fait revivre les horribles moments récents dont les peulhs ont été victimes dans les Régions du Centre, principalement à Mopti. Une Région qui a été, selon l’ONU, le théâtre de 57% sur les 192 attaques qui ont eu lieu dans le pays pendant le dernier trimestre de 2018. Et le problème, selon Abdoul Aziz Diallo, n’est pas un conflit entre ethnies. Ce sont des milices qui ont été suscitées, créées et entretenues spécialement par l’État, selon ses dires.
Lisez son interview!
Des milices créées et entretenues
Les attaques sont faites par des milices qui ont été créées. Ce sont ces milices qui tuent les peulhs. Et ces milices ont été nommées des chasseurs. Elles portent la tenue de chasseurs traditionnels. Quand le Président de la République a reçu la Corporation des chasseurs et quand il a dit que nous comptons sur vous pour lutter contre le terrorisme, pour les chasseurs c’est clair : «C’est lutter contre les peulhs. Et ils sont dirigés par des anciens militaires. Il y a une corporation de chasseurs qui regroupe tout le monde. Ce sont des milices structurées qui sont armées et qui emploient des mercenaires ivoiriens. Récemment, il y a eu des attaques dans le Centre. On m’a parlé des dozos qui parlaient anglais. Dans les affrontements, quand certains peulhs ont résisté, il y en a qui ont reconnu des gens qui ne parlaient ni peulh ni dogon. Ils ne parlaient que le français avec une grande teinte ivoirienne. Ce sont ces milices qui sèment la terreur. Si vous preniez un exemple du Cercle de Djéné, dans la milice Mamah Dembélé, il y a 400 combattants. Il y a un camp d’entrainement. Il y a la milice de Sidiki. Il y a la milice criminelle Danan Ambassagou qui comprend un Chef d’État-major, un Chef d’État-major adjoint, un poste de Commandant de zone militaire, des services de renseignements qui sont complètement structurés comme une armée. Et il y a des Officiers à la retraite qui ont été poussés par le Gouvernement. Quand on attaque un village peulh avec des lance-roquettes, avec une kalachnikov, ce n’est pas d’outils d’un chasseur. Quand vous êtes en face des personnes armées, décidées, déterminées, vous ne pouvez que garder le profil bas. Même des chefs et des voisins Bambaras qui ont commencé à rallier les peulhs ont fini par abandonner. Ils vous tuent. Et ça fait leur affaire que les peulhs aient abandonné la pleine. Ce sont les peulhs qui étaient dans la pleine. Et ils logeaient dans les falaises. Ils passaient la saison sèche à ramasser la terre pour la faire monter sur les falaises. Ils cultivent sur ça. Maintenant c’est bien pour eux. Des villages peulhs ont été brûlés, vidés. Ils récupèrent les terres. Non seulement les peulhs sont tués, mais de la façon la plus atroce. Nous avons déjà eu des camps où il y a des déplacés ».
Des autorités militaires complices
«Il y a des gens qui ont été égorgés et leurs maris ont été accrochés à des arbres et dépiécés comme on dépièce un animal. Nous avons des gens auxquels ils ont coupé les pieds. Au niveau du Tabital du Diamdiya maintenant, on a reçu presque 600 personnes. Nous sommes dans les prisons. Le Premier Ministre quand il est arrivé, on a été avec lui. On a fait des messages d’apaisement. Mais il n’y a eu rien. Au contraire, la situation se dégrade. Il y a une vieille qui m’a appelé ce matin. Elle fait partie des gens réfugiés au niveau de Dioïla. Sa famille est dans la Commune de Saye. Elle dit que les milices vous disent ‘‘vous payez tel montant. Si vous ne payez pas tel montant, nous allons vous attaquer’’. Son frère qui est là-bas, les chasseurs sont venus leur dire ‘‘ vous, votre cantonnement peulh, vous devrez payer 1.750.000 FCFA. Ils se sont réunis. Ils ont été voir les chasseurs pour négocier. Et les chasseurs ont dit nous sommes d’accord. Nous allons réduire à 1.500.000 FCFA. Ça c’est le dernier prix et si vous ne le payez pas, on va vous tous tuer’’. Et elle m’a dit que son frère s’est déplacé et a été voir pour informer le Maire et le Chef du village de la situation. Ceux-ci leur ont dit qu’ils n’ont aucun pouvoir et d’aller informer le camp de la Gendarmerie. Ils ont été voir le Commandant de Brigade de la Gendarmerie. Et le Commandant leur a dit de payer. Un Commandant de Gendarmerie chargé de protéger les gens qui vous dit de payer à des malfrats ! Et ce n’est pas le seul cas. Il y a des cas où les peulhs ont été ciblés sur une liste de personnes à assassiner. Quand des gens ont fait la réunion qu’ils vont attaquer la communauté peulh, on m’a téléphoné. J’ai appelé le Premier Ministre. J’ai appelé le Ministre de la Défense, le Ministre de la Sécurité, le Gouverneur de la Région de Mopti, le Commandant des forces de la Région, le service de Renseignements de la Région pour leur dire ceci : ‘‘Attention, ils vont attaquer tel village peulh’’. Seul le Ministre de la Sécurité a répondu ‘‘Merci, Monsieur le Président. Message bien noté. L’information sera transmise’’. Et quand le village a été encerclé, j’ai refait le même tour ‘‘Attention, le village est encerclé’’. Ils sont rentrés dans le village. C’est un gros village de presque 10.000 personnes. Ils ont ciblé les familles peulhs. Ils les ont fait sortir et les ont assassinés tous. J’ai informé les autorités à 8 Heures. L’armée est venue entre 17 H et 18 H alors qu’elle est à 12 kilomètres tout près. Comment pouvez-vous comprendre ça ? Et quand l’armée est arrivée, les chasseurs qui y étaient ont plié bagage. Ils ont dit qu’ils n’ont pas eu l’instruction d’y passer la nuit. J’ai appelé un Haut Responsable peulh qui était à Sévaré et j’ai dit ‘‘Attention, il faut aller voir le Gouverneur. Si les militaires quittent le reste des peulhs, ils vont les tuer’’. Et celui-là ne m’a plus appelé. C’est le matin lorsque je me suis réveillé, j’ai vu des messages. On me dit que huit (8) autres ont été assassinés après le départ de l’armée. C’était la même chose dans les plateaux dogons, dans le secteur du Cercle de Koro. Quand les peulhs sont venus évacuer leurs parents, il y en a qui ont dit: ‘‘Nous, nous sommes des vieillards. On est fatigué. Amenez-nous à la mosquée par ce que les jeunes du village ont constitué des Brigades de défense. Ils ont défendu le village. Et quand ils ont entendu que l’armée est arrivée, ils ont replié. Ils ont ramené une bonne partie du village. À peu près, 6 ou 7 vieillards voulaient rester dans la mosquée’’. Et c’est quand l’armée est arrivée à 17 H qu’à 17 h 30 ces gens ont été brûlés dans la mosquée.
Des villages assiégés par des bandits, la faim s’installe
Aujourd’hui, dans la Région, tout le monde a fui. Ceux qui n’ont pas fui ne peuvent pas accéder aux foires .Dans les campements peuls, nous n’avons pas où acheter les condiments ni les vivres ni le sucre. Vous ne pouvez pas accéder aux soins. Ceux qui habitent Bamako, maintenant les gens se joignent à nous. Les djihadistes ont tué plus de peulhs que dans les autres ethnies. Tous les peulhs qui n’avaient pas fui ont été tués.
Une complicité bien planifiée
Il y a les promesses du Gouvernement. Mais chaque fois que le Gouvernement a passé, les situations se détériorent. Le Gouvernement a donné 100 tonnes de riz et 80 tonnes d’aliments de bétails. Ça n’est jamais arrivé aux peulhs. C’est la faute de qui ? C’est la faute du Gouvernement. Le Gouvernement a les militaires, des cargos pour embarquer ça. Ils nous ont fait faire la réception. Ils nous ont filmés. Mais c’était tout. Maintenant, non seulement, ils (des Hommes armés) tirent sur les Humains ; ils tirent aussi sur les animaux.
Moi, j’ai dit à l’Ambassadeur de la France. On a tué tous ces gens ; on n’a pas entendu un seul petit mot. Personne n’a positionné même un petit mot pour condamner. Ils ne font rien du tout. Moi j’ai reçu le Commandant de la force BARKHANE ici. Et je l’ai dit pourquoi vous n’intervenez pas au Centre pour nous sécuriser. Il m’a dit non, le Président a dit de ne pas intervenir là-bas. Nous, nous sommes des militaires, on interviendra au Centre. Voyez avec votre Président et avec Macron. Il m’a dit ça clairement. La MINUSMA est enfermée. C’est comme si tu amènes quelqu’un, tu le mets dans un magasin, tu le fermes. La MINUSMA ne fait absolument rien. Aujourd’hui, pour être le Président du Tabital Pulaaku, il faut avoir la tête sur les épaules. Chaque matin, on te réveille, on te dit: ‘‘On a égorgé une vielle. On a éventré une femme. On a brûlé telle maison’’. Comment peut-on être en face d’une femme et son bébé puis l’assassiner ? Quand tu vois ces femmes enceintes incinérées qui sont devenues des morceaux de charbon. Quand vous pouvez faire quelque chose ou vous devez faire quelque chose, mais vous ne le faites pas. Qui est responsable ? Le Gouvernement doit nous protéger tous. Le Gouvernement peut nous protéger tous. J’ai dit au Président de la République quand il y a eu l’attaque au Nord, Amadou Toumani Touré était à Djema. Il a dit : ‘‘Attention, pas d’amalgame. Tous les Touarègues ne sont pas des rebelles’’. J’ai dit au Président : ‘‘dites simplement que tous les peulhs ne sont pas des djihadistes. Dites clairement pour que les gens comprennent que vous ne traitez pas notre sécurité avec des dozos‘‘. Il n’a pas dit. Il est allé se promener à Koulogon. Il est revenu. Il n’a pas condamné. Nous on n’a pas entendu des condamnations. Il aurait pu mentir comme les autres en disant que les coupables seront arrêtés et emprisonnés.
La paix toujours aspirée, le désarmement des milices indispensable
Les peulhs, nous aimons notre pays. Nous voulons la paix. Ils disent DDR. Ils parlent de 300, 600 personnes ; ils n’ont qu’à désarmer les milices c’est tout. Dès qu’on désarme les milices, c’est fini ; la guerre est terminée. Quand les gens ont été brûlés à Ké-Macina, ils sont allés se réfugier dans la zone de Niono. J’ai appelé d’abord la MINUSMA. J’ai dit ‘‘Attention, les gens sont allés dans les zones où il n’y a pas d’eau. C’est l’eau des rivières. Aidez-nous à faire un forage’’. Ils ne l’ont pas fait. Le Gouvernement a envoyé six (6) tonnes de mil. J’ai appelé les gens de Tabital Pulaaku, j’ai dit si on n’aide pas nos parents ils vont mourir. Moi, j’ai donné 10.000.000 de francs FCFA. Quelqu’un d’autre a déposé 10.000.000 FCFA. On a eu en tout 27.000.000 FCFA. On a acheté du riz, du sel, des médicaments. On les a ramenés. Quand on s’est préparé à distribuer, il y a eu une horde de motos dozos qui venait. J’ai appelé le Chef d’État-major, j’ai dit attention des dozos veulent nous attaquer. Ils étaient soixante ou soixante-dix à motos. Il m’a dit ‘‘de toutes les façons, nous on ne peut rien faire’’. J’ai dit en tant que Chef d’État-major Général des Armées vous ne pouvez pas désarmer 60 motos. Et il m’a dit : ‘‘ Je ne peux pas. Et puis d’ailleurs vous ne m’impressionnez pas avec vos vidéos…’’. Je l’ai dit moi je suis un Peulh, toi un Bobo. Nous sommes des cousins, nous demandons à Dieu de t’enlever et de mettre quelqu’un d’autre à ta place.
Tous les Peulhs nous aident, nous soutiennent. Les Peulhs sont sensibles à ce que nous faisions. Maintenant, il y a eu une prise de conscience globale. Si les pays africains de la Sous-région (Mauritanie, Sénégal, Gambie …) pensent que c’est un problème malien, ils se trompent. L’impérialisme international, les multinationales se fichent qu’ils soient Peulhs, Wolofs ou Arabes. Ce n’est pas leur affaire. Leur affaire c’est l’uranium qui va du Sénégal au Tchad. Leur affaire c’est le pétrole. Leur affaire c’est l’or. Leur affaire ce sont les ressources, la position géostratégique. Le terrorisme international, la base c’est eux. Ben Laden a été fabriqué où ? Chez eux. Si ces terroristes étaient en Afrique, ils seraient terminés il y a longtemps. Par ce qu’en Afrique nous avons des mécanismes socioculturels qui anéantissent tous ces gens-là. Dans nos pays, où est-ce qu’on fabrique des armes ? »
Recueillis et transcrits par Seydou Konaté : LE COMBAT