Dans un premier temps, le Ministère de la Sécurité, à travers son Directeur financier et du matériel, par courrier n°0629-MSPC-DFM du 5 mai 2016, a sollicité l’accord de la DGMP-DSP pour la passation par entente directe du marché relatif à la fabrication et la fourniture de la carte d’identité sécurisée avec la société Cissé Technologie, aux motifs que celle-ci dispose, d’une part, d’un accord d’exclusivité au Mali pour la fourniture de titres d’identité, de la société imprimerie nationale de France, et, de l’autre, d’un accord d’exclusivité de la société CEGEDIM. Montages grotesques !
Malgré ces montages de toutes pièces, l’entente n’a pas été acceptée par la DGMP (Direction Générale des Marchés publics). Celle-ci, dès le 16 mai 2016, a répondu par courrier n°140/MEF-DGMP-DSP en invitant le Ministère de la Sécurité à organiser un appel d’offres ouvert. C’est sur la base des points précédents et par courrier n°263/MSPC-DFM du 14 juin 2016 que la Direction des Finances et du Matériel du Ministère de la Sécurité a transmis le projet d’appel d’offres à la DGMP pour avis juridique. Et cette dernière a donné son avis (Lettre n°2009/MEF-DGMP-DSP du 14 juin 2016).
Ce dossier d’appels d’offres concernait 1.000.000 de cartes. La séance d’ouverture des plis a eu lieu le 21 juillet 2016. Quatre dossiers ont été vendus et 3 sociétés ont déposé des plis : -Pli N°1 : de la société M2M, pour un montant de 2269 francs CFA comme prix unitaire de la carte ;
-Pli N°2 : Graphique Industrie pour un montant de 9438 francs CFA (TTC) comme prix unitaire de la carte ;
-Pli N°3: Cissé Technologie pour un montant de 13.000 francs CFA comme prix unitaire de la carte.
À l’issue de l’analyse des dossiers, la DFM du Ministère de la Sécurité a proposé Cissé Technologie comme attributaire provisoire du marché. Le Rapport de dépouillement et de jugement a été transmis à la DGMP suivant BE n°323 /MSPC-DFM du 28 juillet 2016, accompagné des originaux des offres pour avis juridique. Suite à l’analyse, la DGMP-DSP a émis des réserves sur le dossier tout en demandant de rendre l’appel d’offres infructueux et de procéder à un nouvel appel d’offres international qui permettrait aux fabricants des cartes d’identité nationale biométriques de soumissionner directement sans intermédiaire. Puisque, pour ce cas précis, Cissé Technologie apparaît juste comme un intermédiaire.
Cette position était motivée par les raisons suivantes : les insuffisances dans les dossiers d’appel d’offres (les spécifications techniques ciblées sur Cissé Technologie, le prix unitaire de la carte proposé par Cissé Technologie très élevé/ 13000 FCFA TTC, le contrôle d’appui-conseil de la DGPM et les enjeux liés à la carte biométrique). C’est pour cela qu’il y a eu un recours.
En effet, face à cette position de la DGMP, la Direction des Finances et du Matériel du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile a introduit un recours au niveau du Comité de règlement des différends auprès de l’autorité de régulation des marchés publics afin de continuer la procédure d’attribution du marché.
Pour établir la vérité dans cette histoire, par décision n°16-043/ARMDS-CRD du 23 août 2016, l’Autorité de régulation a ordonné la poursuite de la procédure tout en déclarant mal fondée la décision d’anfractuosité de la DGMP-DSP. Alors, par requête en date du 25 août 2016, la DGMP-DSP a sollicité la section administrative de la Cour Suprême aux fins d’annulation de la décision 16-043/ARMD-CRD du 23 août 2016 pour excès de pouvoir.
Face à un tel développement, le Premier Ministre d’alors, Modibo Kéïta, par la Lettre confidentielle n°737/PM-CAB du 18 octobre 2016, a invité le Ministre de l’Economie et des Finances à se mettre en relation avec son homologue de la Sécurité et de la Protection civile afin de trouver une solution convenable, qui tient compte des intérêts de l’État. D’où la mise en place des séances de négociations en application des instructions du Premier Ministre.
D’abord, au Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, qui a donné les résultats suivants : de 13.000 francs CFA (TTC), la société Cissé Technologie et son partenaire ont sollicité du Ministre de l’Economie et des Finances une détaxation de la carte. Ce qui conduit à 9750 francs CFA (HT) ; donc, une réduction de 750 francs CFA fut accordée. Ce montant représente les frais de remise ou de distribution de la carte conformément aux détails des coûts que Cissé Technologie avait fournis à la demande de la DGMP. En contrepartie, les agents de l’État (Police, Préfecture et Gendarmerie) seront mis à contribution.
La dernière négociation en date a eu lieu au Ministère de l’Economie et des Finances et les dernières propositions de Cissé Technologies étaient les suivantes : 800 francs CFA (HT) par carte, pour 10 millions de cartes ; 8400 francs CFA (HT) par carte, pour 8 millions de cartes et 8700 francs CFA (HT) par carte, pour 5 millions de cartes. Ces prix ont été jugés au-dessus des capacités budgétaires de notre pays par le Ministère de l’Economie et des Finances.
Couplage de la carte d’identité avec la carte AMO
Le couplage est consacré par le décret n°2016-0253/P-RM du 29 avril 2016. Mais, malgré ce décret, il est important de souligner que la majorité de la population n’est pas affiliée à l’AMO, et ceux qui le sont, disposent déjà de leur carte AMO par l’intermédiaire de la CANAM. Un nombre important de bénéficiaires des prestations de l’AMO sont des mineurs qui n’ont pas l’âge de posséder la carte d’identité nationale. Avec le couplage, ceux-ci seront des détenteurs automatiquement de la carte d’identité nationale.
Avec le couplage, dans le prix de la carte d’identité d’un paysan, d’un éleveur, d’un pêcheur, il y a la part de l’AMO qui ne les concerne pas, tout comme les pauvres en milieu rural qui subventionneront les populations bénéficiaires. Avec le couplage, il s’agit de mettre en cause l’investissement initial d’environ 10 milliards de et de l’Economie qui a permis de mettre en place le système d’enrôlement de la carte AMO. Ce qui représenterait un gâchis énorme pour les finances publiques.
En résumé, on peut dire qu’il y a des doutes sur l’attribution du marché. Cela, pour les raisons suivantes: Cissé Technologie est plus cher à l’ouverture des plis et c’est à son nom qu’une demande d’entente directe avait été introduite avant la procédure d’appel d’offres. Le DAO initial a été lancé pour un million de carte. Aujourd’hui, il est question de dix millions à fournir, dans le cadre des négociations, ce qui n’est pas normal.
En l’absence de l’avis de non-objection de la DGMP-DSP sur le Rapport de dépouillement et de jugement des offres, en l’état, Cissé Technologie ne peut pas être considérée comme attributaire provisoire du marché. Aussi, un principe élémentaire indique dans la passation des marchés qu’en l’absence des finances disponibles, pas de marché. Alors, compte tenu du montant proposé par Cissé Technologie, la procédure peut être déclarée infructueuse parce que sa proposition financière est au-dessus des capacités financières de l’État malien.
Par ailleurs, dans le DAO initial, il y a la possibilité pour l’autorité contractante, qui est le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, d’annuler ou de suspendre la procédure d’appel d’offres ou d’écarter toutes les offres à tout moment avant l’attribution du marché, sans encourir, de ce fait, une responsabilité quelconque vis-à-vis des candidats.
En outre, le couplage de la carte d’identité nationale à la carte AMO peut bloquer le fonctionnement de la CANAM. Cela, compte tenu de la spécificité des prestations relatives à l’AMO et les procédures d’enrôlement qui y sont liées. La carte NINA est une carte biométrique, un décret lui confère la valeur de carte d’identité nationale. Il vaut mieux alors l’améliorer au lieu de passer un autre marché.
Oumar Diakité : LE COMBAT