vendredi 22 novembre 2024
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Mahamat Saleh Annadif au «Centre d’actualités de l’ONU» : «Le Mali traverse une situation qui n’est ni la guerre, ni la paix»

Lors d’un récent passage au siège des Nations-Unies, à New York, durant lequel il s’est entretenu avec les 15 membres du Conseil de sécurité sur l’évolution du processus de paix dans notre pays, le patron de la MINUSMA, le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, a consacré un entretien au Centre d’actualités de l’ONU.A cette occasion, il est revenu sur les origines de l’instabilité actuelle au Mali et les difficultés rencontrées par les parties prenantes de la crise dans la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2015. Nous vous proposons ici une compilation de cet entretien.

 

Centre d’actualités de l’ONU: Pouvez-vous nous donner un aperçu du conflit au Mali et notamment des forces en présence ?

Mahamat Saleh Annadif : On ne peut pas véritablement parler de conflit. Le Mali traverse une situation qui n’est ni la guerre, ni la paix. Pourquoi ? Parce qu’en 2012, à la suite de ce qui s’est produit en Libye, beaucoup de Maliens qui vivaient en Libye ont traversé la frontière pour venir dans le Nord du Mali avec armes et bagages. La majorité d’entre eux faisaient partie des éléments de protection de Kadhafi [Mouammar Kadhafi, l’ancien chef de la Libye, assassiné en octobre 2011 suite au renversement de son régime] et disposaient d’énormément d’armes. Ils sont entrés dans le Nord du Mali parce que la majorité d’entre eux sont des ressortissants de cette zone.

Leur arrivée a coïncidé avec un affaiblissement du pouvoir central malien. Pire encore, elle a coïncidé avec un coup d’Etat qui a été perpétré au Mali en mars 2012 [le 22 mars, le Président malien Amadou Toumani Touré a été renversé par un putsch. Après une transition, Ibrahim Boubacar Keïta a été élu Président en novembre 2013, à l’issue d’une élection.

Cet affaiblissement de l’Etat malien a fait que ceux qui étaient arrivés avec armes et bagages au Nord du Mali, et qui étaient par ailleurs en majorité d’anciens membres de précédentes rébellions Touaregs dans la région, ont sans doute estimé qu’il s’agissait d’une occasion de gagner la guerre. Ils ont peut-être pensé : « Jusqu’ici on a fait des rébellions pour faire des revendications ; pourquoi ne pas conquérir le Mali ? ». Et ils ont commencé. [Les Touaregs sont des habitants du Sahara central répartis à travers l’Algérie, la Libye, le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Initialement nomades, leur sédentarisation s’est accélérée depuis la seconde moitié du 20e siècle.

Malheureusement, dans cette aventure, beaucoup d’extrémistes, de djihadistes et de terroristes se sont mêlés à l’opération. Cela a fait qu’en l’espace de quatre à cinq mois, ils ont pu conquérir pratiquement les principales régions du Nord du Mali, à savoir Kidal, Tombouctou et Gao. Parmi les combattants on trouvait donc un mélange de djihadistes, de terroristes et puis de Maliens qui revendiquaient un droit de regard en tant que population du Nord, en tant que Maliens.

Quand ils ont tenté de menacer le pouvoir central, il y a eu l’opération Serval de la France au Mali en janvier 2013 [une opération militaire lancée par l’armée française pour aider les troupes maliennes à repousser l’offensive venue du nord en direction de

la capitale, Bamako]. Cette intervention a été appuyée par les Tchadiens et d’autres troupes africaines et l’insurrection a été repoussée vers le Nord. [L’opération Serval, qui a pris fin en juillet 2014, s’inscrivait dans le cadre de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), une force multinationale sous conduite africaine autorisée par la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 20 décembre 2012.] En les repoussant, on s’est trouvé face à deux forces : l’une, qui reconnait l’intégrité, la laïcité et l’unité du Mali, mais d’un Mali dans lequel elle revendique un certains nombres de droits ; et l’autre, composée des différents terroristes, aventuriers et narcotrafiquants qui s’étaient mêlés à l’insurrection et qui sont rentrés dans les montagnes d’Ifoghas [l’un des principaux massif montagneux du Sahara, situé dans le Nord-est du Mali et le Sud de l’Algérie]. On s’est donc retrouvé avec deux forces, l’une avec des revendications nationales et l’autre avec des revendications extrémistes.

Et à partir de cette différence, nous sommes parvenus à négocier avec les groupes qui se réclamaient d’une opposition armée nationale l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, que l’on appelle aussi Accord issu du processus d’Alger. Il a d’abord été signé par deux parties, le 15 mai 2015, avant d’être finalisé avec les trois parties, le 20 juin 2015

Centre d’actualités de l’ONU: Qui sont les signataires et que prévoit cet accord ?

Mahamat Saleh Annadif : Les signataires de cet accord sont un ensemble de mouvements organisés sous formes de deux grands pôles.
Le premier pôle s’appelle la Coordination des mouvements de l’Azawad, la CMA, qui regroupe le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et le Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA). Le second pôle regroupe, sous l’appellation de Plateforme, divers autres mouvements, dont le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), le MAA-Plateforme, etc. Et le troisième partenaire de l’accord, évidemment, c’est le gouvernement malien. Donc ce sont les trois signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali.

Centre d’actualités de l’ONU: Où en est aujourd’hui la mise en œuvre de cet accord et que peut faire l’ONU pour accélérer ce processus?
Mahamat Saleh Annadif: L’accord prévoit des mécanismes de suivi, dont principalement le Comité de suivi de l’accord, le CSA, qui se réunit une fois par mois. Depuis la signature de cet accord, ce Comité a eu à se réunir neuf fois. Quand l’accord a été signé, un certain nombre d’objectifs ont été fixés.

Le premier objectif est le cessez-le-feu. Depuis que l’accord a été signé, le cessez-le-feu entre les mouvements et le gouvernement a été respecté.
Deuxièmement, au moment même où l’accord a été signé, il existait des conflits entre les mouvements de la Plateforme et ceux de la CMA. Depuis lors, il y a eu une série de rencontres assez médiatisées entre la Plateforme et la CMA, appelées pourparlers d’Anéfis [du nom de cette commune malienne de la région de Kidal, où les rencontres ont eu lieu en octobre 2015]. Suite à ces pourparlers, à l’heure actuelle, les mouvements ont mis fin au conflit entre eux.

Mais le constat est que la mise en œuvre de l’accord rencontre beaucoup de difficultés. Je ne veux pas dire des blocages, mais une certaine lenteur. Pourquoi cette lenteur? Parce qu’une fois l’accord signé, le gouvernement s’est précipité pour dire que les éléments qui concernent les patrouilles, les cantonnements, l’intégration et la démobilisation – en somme, tous les éléments liés à ce qui concerne la sécurité et la défense – sont prioritaires. En revanche, les mouvements, eux, disent : «Non, les conflits répétitifs qui ont eu lieu au Mali ont pour base essentielle un conflit politique, donc avançons plutôt sur le plan de la réforme institutionnelle, sur les questions politiques avant d’avancer sur les questions militaires et sécuritaires».

Ces tiraillements font que, même si nous disposons de pratiquement tous les textes législatifs et réglementaires sur lesquels doivent se baser les réformes, en pratique, nous n’avons pas pu mettre en œuvre les réformes institutionnelles prévues dans l’accord et exigées par les mouvements signataires.

La bonne nouvelle c’est que le 14 juin, les signataires se sont retrouvés et sont tombés d’accord sur ce que l’on appelle le protocole d’entente, qui fixe un calendrier pour la mise en place d’autorités intérimaires. Ces dernières auront pour mission principale de gérer pendant une période transitoire de 18 à 24 mois tout ce qui a trait aux provinces ou régions du Nord, à savoir la libre administration. Parce que les populations du Nord disent que ce qui a créé de la frustration et causé des problèmes à l’origine est le fait que les populations ne se gèrent pas elles-mêmes, mais sont gérées par d’autres personnes contre lesquelles elles éprouvent une certaine crainte et ont des récriminations. En attendant d’en arriver à la phase des élections générales dans tout le pays, l’accord a prévu une période transitoire pendant laquelle il y aura une libre administration dans les régions du Nord. On espère que le calendrier qui a été fixé puisse être respecté. Et là, nous verrons réellement un début concret de la mise en œuvre de l’accord.

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COULIBALY

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