Dans un pays où le chômage est endémique, où la précarité est le lot quotidien de la majeure partie des jeunes et des femmes, il est inimaginable pour un régime qui se dit socialiste de procéder à une telle vaste opération de démolition avec un préavis aussi court de trois jours sans dédommagement. Toutes les communes de Bamako sont concernées. Que deviendront ces milliers de chefs de famille qui semblent avoir perdu tout espoir ? Les autorités ne vont-elles pas exacerber le grand banditisme en jetant dans la rue ces milliers de jeunes ? L’hivernage est-il le bon moment pour engager un tel nettoyage ? Ce énième déguerpissement des occupants illicites de la voie publique sera-t-il le dernier ?
Nul ne conteste la légalité de l’opération de démolition en cours à Bamako. C’est le énième déguerpissement de la voie publique auquel procède l’Etat. Mais à chaque fois ce sont les mêmes qui reviennent de plus belle ou se font remplacer par d’autres plus engagés. Si l’opération est d’utilité publique, il est tout à fait inhumain et incompréhensible de s’attaquer en pleine période hivernale à de pauvres occupants qu’on a laissé souvent s’installer avec l’autorisation des autorités compétentes contre paiement de patentes, sans un préavis suffisant et surtout sans dédommagement approprié. Que les grandes artères au centre-ville de Bamako soient dégagées ou que les alentours des lieux d’hébergement des hôtes du sommet Afrique-France soient sécurisés, mais démolir les hangars des banlieues auxquelles n’accèderont ni hôtes ni invités sans que cela ne relève d’une politique durable d’urbanisation est inadmissible. Les chasser aujourd’hui, ils reviendront demain au galop avec la bénédiction des mêmes autorités. Un préalable pour de telles opérations dans un pays pauvre est la définition d’une bonne politique d’urbanisation et le refus de revenir sur les mêmes gestes sans suite. Les occupations illicites de la voie publique sont le reflet du dynamisme des chômeurs et des laissés pour comptes qui n’ont d’autres choix que de se livrer aux petits commerces pour survivre. Nul ne se serait plaint ou crier au scandale si les autorités avaient créé des milliers d’emplois pour les désœuvrés. Nul ne se serait révolté contre une telle opération si les maigres ressources du pays étaient si bien gérées et équitablement réparties entre toutes les filles et tous les fils du pays. Nul ne se serait dégoûté d’un tel acte, qui du reste participe à l’assainissement et à la sécurisation de la ville, si les gros voleurs de la République qui ont détourné tant de milliards de la caisse du pauvre contribuable malien étaient systématiquement appréhendés, jugés et écroués en prison. Pour rappel, le printemps arabe avait commencé par un fait banal que les grands observateurs de la scène politique tunisienne n’avaient malheureusement pas conjugué à la dimension de la crise sociale généralisée et exacerbée. Au Mali, ces déguerpissements interviennent presque dans un même contexte, celui de la paupérisation généralisée cumulée à la forte tension sociale consécutive à la crise multidimensionnelle que connait en ce moment le Mali. Si ces déguerpissements continuaient de plus belle sans des mesures d’accompagnement appropriées, la goutte d’eau pourrait faire déborder le vase.
En définitive, le Sommet Afrique- France est perçu par le citoyen lambda comme un concert de Chefs d’Etats pour magnifier la grande France sans aucune incidence positive sur le quotidien des Peuples qui abritent cette institutionnelle rencontre des grands. Le Président de la République IBK qui apparait comme le plus grand francophile de l’Histoire du Mali, taxé à tort ou à raison de ne privilégier que les intérêts de la métropole au détriment de ceux de son peuple, est désormais sur la sellette.
Youssouf Sissoko