Dans la communauté Soninké de la Commune rurale de Dioumara, le cheval est au centre de tout. Utilisé dans la vie quotidienne, il est valorisé lors des courses organisées après les travaux champêtres. À Sobougou, un village situé à 400 Km de la capitale, Bamako, nous avons assisté à la dernière course des chevaux. Reportage !
À Sobougou, traduisez, le hameau des chevaux, c’est à chaque famille son cheval. Si l’animal est d’abord utilisé pour tirer les charrettes, il est mis aussi en valeur lors des courses. À cet après-midi de vendredi, c’est la fête au village. Au rythme des tam-tams, les pas de danse saccadés et endiablés s’enchaînent. Une cantatrice à la voix aiguë s’époumone pour porter loin sa voix de stentor en l’absence de tout amplificateur. Le Grand Public, réceptif, savoure ces chants du terroir qui, à l’expression de leurs visages, semblent véhiculer des messages profonds.
Non loin d’eux, les jeunes cavaliers, avec une moyenne d’âge de 15 ans, par petits trots, réchauffent les chevaux, qui vont dans quelques minutes s’aligner dans les starting-blocks. Un arbuste fait office de starting-blocks à partir duquel les chevaux s’élancent à la conquête de la gloire. Mini, demi-cracks et cracks, trois catégories prennent le départ. «La course des minis qui doit ouvrir le bal des courses, c’est un tour de piste, les demi-cracks font deux tours et les cracks, font deux tours et demi », nous explique un spectateur.
Hommes et femmes, jeunes et vieux de toutes les communautés sont présents pour encourager les cavaliers venus de différents villages. Des courses qui tiennent toutes les promesses. Si celui des minis est passé à la vitesse de jeunes chevaux sans grands intérêts, la tension a commencé à monter à l’étape des demi-cracks. « Plus on monte, plus la concurrence est rude. Les chevaux victorieux des demi-cracks et cracks sont plus reconnus», dit Wandé, un propriétaire de cheval.
Aly ne cesse de trépigner à l’approche du coup d’envoi des demi-cracks. Son cheval est en compétition. Il se rapproche de son cavalier pour les dernières consignes. Lui même, ancien cavalier et champion, il connaît des trucs et astuces qu’il veut bien filer à son jeune cavalier pour la victoire finale. Attentif, son cavalier, acquiesce de la tête les instructions d’Aly. Juché sur un cheval blanc appelé dans le jargon du terroir «Daffédjè», à la queue teintée de henné, le jeune Waly enfile le dossard numéro 06. Il va affronter les six autres meilleurs chevaux de la catégorie de toute la commune de Dioumara-Koussata.
Au coup d’envoi, le jeune Waly, lâche les brides de son cheval blanc. Le message est passé. Le cheval se lâche de tout son long. Au bout de trois minutes, il file seul en tête. De sa place, Aly, mimant les mouvements de son cheval, est à fond. Personne ne doute de la victoire. L’on commence à spéculer sur celui qui viendra en deuxième position. Coup de théâtre. À 200 mètres de l’arrivée, Waly se fait rattraper par un autre jeune cavalier. Ils sont au coude à coude. Dans les derniers 50 mètres, son rival du soir lui ravit la vedette. Waly et son Chef Aly n’en reviennent pas. Mais assez lucide pour analyser la défaite « c’est une erreur de jeunesse. Il n’a pas pu faire ce qu’on appelle la gestion de la course. Il a tout donné et très vite. Le cheval a été endurant sinon il ne serait même pas dans le trio de tête. Mais c’est bien, on apprend de ses erreurs et je sais qu’à la prochaine fois il ne commettra pas la même erreur », explique Aly.
De son côté, Waly cherche toujours les explications. « Je ne sais pas ce qui n’a pas marché. J’étais bien parti. J’avais toutes les chances de gagner. Je me suis fait battre sur la dernière ligne droite. Ça fait très mal de perdre après la course que j’ai réalisée». Il comprendra certainement plus tard avec les explications de son coach.
De l’autre côté, le vainqueur, Mamadou, est porté en triomphe par la foule. Le bras levé au ciel par ses supporters, les griottes chantent ses louanges. Si jeune, il en est ému aux larmes. «C’est à cause de ses émotions que nous faisons les courses et voulons les gagner», laisse entendre le coach du nouveau vainqueur.
Passé le moment des émotions, Mamadou revient sur son exploit du soir. «Quand j’ai vu Waly filer seul en tête, j’ai eu un peu peur. Mais j’avais un plan de course que j’ai respecté jusqu’à la fin. Les brides de mon cheval je les ai lâchés à mon moment bien précis et je pense que cela a été déterminant et surtout que mon cheval a bien répondu».
Course légendaire
Dans cette partie du pays qui fait frontière avec la Mauritanie, le cheval est un animal adoré, voire «vénéré» pour reprendre les termes d’un villageois. «Chez nous, le cheval est au centre de tout. Au début et à la fin de tout». Les courses de chevaux mettent en compétition et, ce, depuis très longtemps, les cavaliers des 23 villages de la Commune rurale de Dioumara-Koussata. Cette compétition qui vise à reconnaître les meilleurs chevaux de course de la Région, alimente une saine émulation au sein des communautés qui mettent un point d’honneur à avoir le cheval le plus rapide. Dans cette optique, elles ne lésinent pas sur les moyens pour mettre l’animal dans toutes les conditions. «Mon cheval de course, il travaille peu, s’entraine beaucoup et a une nourriture de qualité», confirme un propriétaire de cheval. «Le seul fait de voir le nom de son village cité parmi ceux qui fournissent les meilleurs chevaux de courses est un bonheur immense».
Pour mieux profiter des courses, un calendrier est établi. Ainsi, toutes les deux semaines, dans la période entre deux hivernages, les courses sont organisées dans les villages à tour de rôle. Le drapeau mis en jeu dans cette course qui a eu lieu à Sobougou a été remporté par un étalon du village de Siranguédou, situé à 20 Kilomètres de Sobougou. «Les courses chez nous sont très anciennes. Depuis toujours le cheval et aux avant-postes et non derrière. Il était utilisé dans les guerres et pour introniser les chefs. Nous savons l’importance du cheval», explique le vieux Samoura, premier Président des organisateurs de courses. Il a aujourd’hui passé le flambeau, mais ne manque aucune course qui a lieu dans son village. «L’amour du cheval, c’est un virus qui ne vous quitte plus jamais», dit-il avec un large sourire et s’éloigne à l’aide de sa canne.
La renommée des courses de la contrée a dépassé ses frontières. Il n’est pas rare de voir dans l’assistance des courses, des «chasseurs» de chevaux venus de Bamako pour s’offrir la perle rare. «En plus de la fierté que nous procurent nos chevaux, ils nous procurent aussi de l’argent. Récemment, un ami a vendu un cheval à un million de FCFA». Mais ils ne sont pas tous pour la vente des chevaux. «Pour moi, un bon cheval ne mérite pas d’être vendu. J’ai eu par le passé des offres pour un de mes chevaux qui était imbattable. Je ne l’ai jamais vendu. Je l’ai gardé jusqu’à sa mort» dit tout fier cet Habitant d’un village voisin. Avec le temps, il va avoir le regret son acte.
Ainsi, selon Aly, de nombreux chevaux qui remportent les prix au champ hippique de Bamako viendraient de sa commune.
Mohamed Sangoulé DAGNOKO, Envoyé Spécial à Dioumara (Sobougou, Région de Kayes) : LE COMBAT