L’événement s’est produit la semaine dernière, à Gao : Ousmane Issoufi Maïga, ancien Premier ministre de la République, portait sur les fonts baptismaux un mouvement, Ir Ganda. La dénomination, traduite, en français, donne « Notre Terre ». Un mouvement de plus, ont pu trouver certains. Ils ont raison. Mais, nous ajouterons : un mouvement pas comme les autres. Examinons cela de près.
C’est dans le courant de la décennie des années 1950 que les mouvements ont commencé à voir le jour dans le Nord-Mali. A l’annonce de l’émancipation de la tutelle française, les communautés négro-africaines et arabo-berbères ont éprouvé, chacune en ce qui la concerne, la nécessité de s’organiser pour orienter le cours de l’histoire.
Les Négro-Africains et certains Arabo-Berbères ont choisi de s’organiser pour faire évoluer le Soudan Français vers l’émancipation, en maintenant l’unité de la Patrie. Ils se sont retrouvés, dans leur grande majorité, militant au sein de l’Union Soudanaise, inspirés par des responsables d’envergure : Aoua Keïta, Mahamane Alassane Haïdara, Yacouba Maïga, Attaher Maïga, Alhousseïni Touré…
Des Arabo-Berbères, les plus nombreux et les plus influents, choisirent une voie opposée. Animés d’un sentiment de supériorité, à la limite, raciste, ils choisirent de s’organiser soit pour se détacher du Soudan Français, quitte à s’assembler avec un autre Etat (Maroc ou Mauritanie), soit pour rester Français. Dès ces années 1950, la graine du séparatisme était semée par des hommes comme l’aménokal des Kel Antassar, Mohammed Aly Ag Attaher Al-Insari ou « le cadi de Tombouctou », Mohammed Makhmoud Ould Cheikh.
Plus subtils furent ces Arabo-Berbères qui, se fondant sur les dispositions de textes législatifs ou réglementaires, ont choisi de créer des mouvements ou des partis : l’Association Arabo-Berbère de Mohamed Wafy ou la Nahda al Wattanya de Bouyagui Ould Abidin.
Les dirigeants soudanais avaient une haute idée de ce qu’est un Etat. Promptement, ils réagirent et aucune velléité sécessionniste ne put se concrétiser. La réaction fut ferme. Ag Attaher et Ould Cheikh séjourneront, Waly choisira l’exil au Niger, Ould Abidin sera contraint de mettre fin à ses activités. Pour mieux asseoir l’unité nationale, le gouvernement soudanais n’hésite pas à recourir à des textes coercitifs comme l’Ordonnance n° 32 du 26 mars 1959 qui dispose, article 1er : «Conformément à la constitution de la République soudanaise, tout acte de discrimination raciale ou ethnique, de même que toute propagande régionaliste, toute manifestation contraire à la liberté de conscience et à la liberté de culte susceptible de dresser les une contre les autres les citoyens, sera puni de 1 à 5 ans de prison et de 5 à 10 ans d’interdiction de séjour. »
Excessif, pourrait-on dire. Modibo Keïta, président du Conseil de gouvernement justifie : « Le Soudan est un Etat jeune ; le pays est divisé en quatre grandes régions, avec des populations et des mentalités différentes. L’idée de l’Etat n’est pas encore formée. Des flambées de régionalisme se produisent. Nous ne pouvons couper court à ce danger que par des mesures énergiques, par des mesures exceptionnelles, comme la France en a pris en certaines périodes. » (Réponse à une question lors d’un débat organisé au Soudan Club, le 21 juin 1959).
DE 1959 à 2017, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La démocratie « made in La Baule » est passée par là. La République du Mali lui a payé un lourd tribut. Le patriotisme est devenu un vain mot. Ces vertus que sont l’honneur, la dignité, l’intégrité, le sérieux, l’abnégation et le dévouement ont cessé d’être cultivées. L’Etat s’est effondré, a pratiquement cessé d’exister si l’on retient que son existence suppose : un territoire, un peuple et l’exercice de la souveraineté du peuple sur le territoire. En lieu et place des « mesures énergiques », des « mesures exceptionnelles », l’Etat, ou, plutôt, ce qu’il en reste, face à des groupuscules ne disposant d’aucune légitimité, se déculotte, supplie et, de concessions en concessions, ne cesse de se décrédibiliser. Il en est arrivé à ne plus pouvoir assurer la sécurité des personnes et de leurs biens à l’intérieur de frontières sécurisées. C’est dans cette déliquescence suprême de nos institutions qu’il faut chercher la raison pour laquelle les « communautés de culture songhoï » ont choisi de se retrouver pour créer Ir Ganda. Nous reviendrons là-dessus la semaine prochaine.
LA REDACTION LA SIRENE
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