samedi 23 novembre 2024
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Grand reportage : Gao : au-delà des clichés

La Région de Gao se tient debout comme elle l’a été au plus fort de son occupation  par le MUJAO et le MNLA. Si l’occupation de la ville a laissé des traces, elles ne sont visibles que sur certains bâtiments,  mais non sur les visages et dans le comportement des Habitants de la ville. 

En atterrissant  à l’Aéroport de Gao, celui qui y vient, pour la première fois, est tout de suite saisi par  l’état de délabrement d’un imposant bâtiment devant lequel un agent de l’aéroport s’affaire à enregistrer des arrivées et certains départs. Les impacts de balles sur le bâtiment en disent long sur la violence des combats qui ont été livrés dans cet espace. En ce 13 novembre, un beau petit monde squatte l’Aéroport. Les uns débarquent, les autres s’apprêtent pour embarquer.  Majoritairement, des agents des ONG internationales et quelques militaires. Ce scénario est quotidien depuis le retour des autorités et de l’armée à Gao. Les gros engins qui soulèvent de suffocantes poussières laissent deviner les intentions des autorités de redonner vie à cet endroit. De l’Aéroport  en passant par le camp du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), la place de l’Indépendance pour atterrir devant le Gouvernorat, il n’y a de bitume que de nom.  Cet état délabré de la route  est aujourd’hui l’une des rares séquelles témoignant du douloureux passé récent de la ville. Au-delà, comment faire pour repérer les cicatrices de l’occupation ? Mission quasi impossible. La joie de vivre et les sourires sur les visages dissipent les appréhensions de celui qui, avant d’y mettre les pieds, croyait se rendre dans le «far West».  «Ici, ce n’est pas la jungle», a lancé un jeune boutiquier las de répondre aux questions sur  tout ce qui se racontait de négative sur  Gao en dehors.  Si la vie suit son cours normal à Gao, il faut, cependant, noter que des secteurs paient encore le prix fort de la crise.

L’artisanat à terre

L’un de ces secteurs est celui de l’artisanat.  Ville de tourisme par excellence, avec la fameuse Mosquée-Tombeau de Askia Mohamed qui date de 521 ans et 10 mois, la dune rose ; etc., la ville de Gao, à l’instar de toutes celles du septentrion et du centre du pays, a vu les touristes fuir du fait de la crise. Ainsi, à la maison des artisans, seuls quelques uns exercent encore. Avec des peaux de varan, de crocodiles et de moutons sont confectionnés des ceintures, des chaussures et porte-monnaie personnalisés, des sacs avec art et savoir-faire. Ces produits qui se vendaient au prix fort avant la crise peinent aujourd’hui à être écoulés.

Installé à la maison des artisans depuis dix ans, Aliou Amadou Touré déplore l’absence des touristes qui a entrainé une chute vertigineuse de ses chiffres d’affaires. «Avant la crise, on avait des visites des touristes. Auparavant, il y avait même le rallye Paris-Dakar qui faisait un tour par là et on faisait des affaires. Malheureusement, avec l’insécurité régnante, les touristes ont pris peur, ils sont partis. On essaie quand même tant bien que mal. On est obligé de venir, c’est notre métier et avec les quelques curieux qui osent rentrer on tente de faire des affaires avec eux ». La foi en bandoulière, Aliou Amadou Touré espère des lendemains meilleurs. «Sans espoir, il n’y a pas de vie. Si nous tenons aujourd’hui et que nous venons chaque matin, c’est avec espoir. Le même espoir qui amène le cultivateur à aller au champ semer ce qu’il a sous la main et attendre que demain ça puisse fleurir et donner quelque chose, c’est ce même espoir qui nous anime», nous a confié notre interlocuteur. Malgré le manque de clients, Aliou et ses collègues disent pouvoir tenir pour toujours ; car, pour eux, il s’agit de «sauvegarder une culture» et cela n’a pas de prix.

Vol de véhicules 

Le prix, justement.  S’il y a une chose qui puisse coûter moins cher à Gao c’est bien les véhicules. Dans la ville de Gao, les 4×4  et les pick-up sont les plus prisés.  Ils ont très souvent la cible des bandits qui rôdent dans la ville. Les véhicules du Procureur de la ville et celui de l’Agence pour le Développement Régional sont les deux derniers à avoir été enlevés. Ces vols de véhicules sont rendus faciles du fait qu’il n’y a pas d’immatriculation sur de nombreuses voitures. Si ce n’était bien sûr pas le cas pour les deux dernières voitures enlevées, il est difficile de rencontrer dans la ville une voiture avec une immatriculation complète. Les quelques rares plaques sont des véhicules en provenance de Bamako avec la mention (MD). Ici, ce sont les plaques béninoises, togolaises, nigériennes, guinéennes et burkinabés qui dominent quand les voitures ne sont tout simplement pas immatriculées.  Le contrôle policier ne concerne que les permis de conduire, jamais la carte grise.

Gao militarisée

Gao est sans doute l’une des villes du Mali où il y a le plus de militaires. Avec son puissant camp Firhoun, la ville à l’habitude de servir de QG lors des opérations d’envergures de l’armée malienne dans le septentrion. Ce fut le cas  avant le coup d’État du 22 mars 2012 où quelque 1100 soldats y étaient stationnés. Aujourd’hui, plusieurs forces se côtoient dans la ville.  Elles font partie du quotidien des «Gaois». Des colonnes de véhicules de la MINUSMA qui contournent nonchalamment la ville, les pick-up du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) et des forces armées Maliennes (FAMAS) surmontés de 12-7 pour certains qui traversent la ville, au contingent chinois qu’on ne voit pratiquement jamais, Gao est fournie en soldats. La Police et la Gendarmerie ne sont pas en reste. Dans la bourgade de Wabaria, à l’entrée de la ville de Gao, les patrouilles de la force française  Barkhanes sont quotidiennes. Habitant de Wabaria, Abdramane Amadou Touré dit comprendre cette activité de Barkhane ; car, son village est à un point stratégique et mérite, donc, d’être surveillé.

Aujourd’hui, toutes ces forces cohabitent en parfaite harmonie avec les populations. Ce qui n’avait pas toujours été le cas. Le 12 juillet, les populations de Gao sorties en masse se sont dirigées vers les installations de la MINUSMA pour décrier ses agissements et même demander son départ de la ville. Les choses ont mal tourné, la MINUSMA a ouvert le feu sur les populations, il y a eu ce jour là onze (11) morts. Une stèle située entre la place de l’Indépendance, le Tribunal et le Gouvernorat leur est dédiée  sur laquelle on peut lire «Gao shiDirgnawar» qui signifie, «Gao ne vous oublie pas».  «Nous y gagnons tous à vivre ensemble dans la quiétude. Autant les populations ont besoin des forces armées qu’elles soient nationales ou internationales pour assurer leur sécurité, autant les forces armées ont besoin des populations pour  réussir leurs missions à travers une bonne collaboration», dit ce jeune leader qui était l’une des têtes de proue de la marche du 12 juillet contre le camp de la MINUSMA.

D’Ansongo à Tessit

Si la situation sécuritaire dans la ville de Gao n’est pas plus rassurante qu’ailleurs au Mali, avec ses attaques à mains armées en plein jour, nous avons voulu savoir ce qu’il en était au-delà de Gao ville.  Cap sur le cercle d’Ansongo. Situé à 90 km de Gao, le Cercle d’Ansongo est un grand carrefour du fait qu’il reçoit les véhicules en provenance du Niger, de la Mauritanie et de l’Algérie. Au plus fort de l’occupation des villes du Nord, cette ville était sous la coupe réglée d’Abou Dardar, un bourreau du MUJAO qui y appliquait la charia. Avec le retour de l’armée malienne, suite à la libération de la ville par les forces nigérienne,  Ansongo vit au rythme des attaques sporadiques à la mine. Il y a moins d’un mois, un véhicule des forains de retours de Tassiga, dans la Commune rurale de Boura, à 35 km d’Ansongo, a sauté sur une mine faisant cinq morts et plusieurs blessés.  La dégradation du goudron que nous avons constaté suite à la déflagration de la mine témoigne de la violence de la charge.  Le dernier acte de banditisme dans le cercle a eu lieu le jeudi dernier. Un citoyen attaqué et dépouillé de ses biens à Tassiga est actuellement admis à l’Hôpital de Gao.  Du fait de son enclavement  et des difficultés d’accès, la Commune rurale de Tessit, à 160 km de Gao, est crainte.  «Une fois , nous avions un dossier au niveau du Tribunal qui concernait un véhicule volé. Le véhicule avait été localisé à Tessit. Nous avions cherché en vain un chauffeur à Gao pour aller récupérer le véhicule. Tous craignaient de se rendre dans la zone», témoigne un Magistrat de Gao. Cette crainte est toujours d’actualité. Avoir un véhicule pour se rendre dans cette commune n’a pas été tâche aisée. Neuf kilomètres après Ansongo, l’on se retrouve devant un bras du fleuve Niger. Ici, la traversée se fait par le bac. La sécurité lors de la traversée est assurée par des groupes armés. Habillé d’un trop grand pull-over, le  pantalon bouffant, la tête enturbannée,  la kalachnikov mal ajustée, les balles débordant d’un sac de fortune, voici celui qui devait assurer notre sécurité lors de la traversée. En moins de 10 minutes, le véhicule était sur l’autre rive. Sur une route sablonneuse, dans un climat sec, des arbres rabougris, les âmes, ici, se font rares. Sur les 61 km à parcourir pour rejoindre la petite ville de Tessit à partir de la rive, les bandits armés peuvent surgir à chaque moment pour vous attaquer et vous dépouiller tout. En tout cas, c’était le récit du chauffeur tout au long du trajet.  Les mésaventures de ses «amis» chauffeurs qui se sont fait attaquer sur cette voie ne manquaient pas.  À l’entrée de la ville, des militaires s’avancent vers nous pour des contrôles. Ils sont deux. Le premier avance prudemment, le second se tenant à quelques mètres derrière lui, à la main sur la gâchette. Ici, le moindre geste mal interprété peut vous coûter la vie.  Tout se fait, donc, correctement. Notre arrivée est signalée à la base installée au centre de la ville.  Il faut s’y présenter obligatoirement. Tout ce qui se passe dans la ville doit être sous contrôle. «Ici, ce n’est pas facile. Nous sommes en alerte permanente. Le moindre relâchement peut vous coûter très cher. Les nerfs sont à vif», nous dit un militaire du commando-para. Tessit avec ses 13.588 Habitants est connu pour avoir été le théâtre d’un violent combat meurtrier entre le MNLA et l’armée malienne, le 25 février 2012. De cette date à ce jour, le village est considéré comme une zone sensible par les autorités ; d’où la présence d’un nombre assez élevé de soldats. Selon Ousmane Ag El Mahmoud, Conseiller d’une des fractions, la Commune rurale de Tessit, qui est à forte dominante Tamasheq, est restée alignée sur les positions du Gouvernement du Mali au moment de la crise. La stabilisation de Tessit aujourd’hui se traduit, selon lui, par la symbiose qui règne entre les communautés Tamasheq, Arabes, Sonrhaï, Peulhs et Bozos qui y vivent.

La sécurité à Tessit est assurée par les FAMA et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), un des principaux groupes signataires de l’Accord de paix d’Alger.

Si les populations de Tessit disent se sentir en sécurité, ils déplorent, cependant, la famine qui guette et les personnes et le cheptel.

En quittant le cercle d’Ansongo pour revenir à Gao, la ville vous réapparait comme un havre de paix tant la psychose et la crainte sont fortes au-delà des frontières de la ville.  Au rythme du fleuve Niger qui coule sous le pont de Wabaria, d’enlèvements de véhicules, de ses nuits mouvementées par les «balani show », de sa rue princesse et de sa célèbre boite de nuit le «Kukia», la ville de Gao vit.

Mohamed Dagnoko, Envoyé Spécial 

Rédaction

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