Dans son adresse à la nation le 31 décembre dernier, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé une future loi dite d’entente nationale. Cette loi doit permettre selon lui de faire la différence entre les rebelles qui ont le sang sur la main et ceux qui n’en ont pas, histoire de punir les premiers et laisser libres les seconds. Depuis cette annonce, plusieurs grilles de lectures sont présentées par les observateurs.
Comme il est de coutume, chaque fin d’année, le président de la République, fait un discours pour souhaiter une bonne et heureuse année à ses compatriotes. C’est un moment privilégié pour lui de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur afin de rappeler les acquis, les insuffisances et les défis à relever. À la veille de ce Nouvel An, il n’a pas dérogé à cette tradition. Durant vingt minutes chrono, il a entretenu ses compatriotes sur la crise que traverse le pays, le retour d’ATT et l’annonce d’un projet de loi dit d’entente nationale. Mais comme à son habitude, il n’a pas manqué de décocher quelques flèches à l’endroit de l’opposition et de tous ceux qui critiquent sa gestion de la chose publique. « Gare à l’imposteur qui voudra faire croire qu’il aurait fait mieux s’il avait eu du peuple un mandat qu’il n’a pas. Chacun peut toujours s’inventer des qualités qu’il n’a encore démontrées nulle part tant il est facile lorsque les autres sont encore à suer à la tâche d’apparaître dans une tenue immaculée pour décerner des notes fantaisistes » du pur IBK. Comme chaque année, depuis sa prise de fonction, la crise sécuritaire du pays occupe logiquement la place de choix dans ses différentes adresses à la nation. Après les discours guerriers lors des campagnes et du début du mandat, il a aujourd’hui la lucidité de reconnaître « qu’aucune crise de l’ampleur et de la complexité de celle que nous vivons ne peut se résoudre à travers des solutions purement sécuritaires ». Il propose donc de s’armer d’objectivités pour comprendre comment certains antagonismes ont prospéré jusqu’à mettre en mal les cohabitations multiséculaires. La charité bien ordonnée commençant par soi-même. Il pense « objectivement » que les Maliens doivent avoir la force de puiser la force en eux-mêmes, celle de forger les compromis qui feront taire les discordes. Occasion pour lui de rappeler des dispositions de la charte pour la paix l’unité et la réconciliation nationale qui a sanctionné les travaux de la conférence d’entente nationale tenue en Mars- Avril 2017. S’inscrivant dans la droite ligne de certaines recommandations de cette charte qui proposait des mesures spéciales de cessation de poursuite et d’amnistie en faveur de certains acteurs de la rébellion de 2012, IBK envisage une loi dite d’entente nationale. Cette loi à ses dires va permettre « l’exonération de poursuite à tous ceux, impliqués dans les rebellions armées, mais, qui n’ont pas de sang sur les mains ».
Cette annonce suscite beaucoup d’interrogation au moment où, tous ceux qui étaient dans les geôles à Bamako pour des faits liés à la rébellion de 2012 ont été libérés au grand dam des organisations de défenses des droits de l’homme et des victimes.
Du côté de l’opposition, l’on se veut prudent par rapport à cette loi. « Politiquement, nous pensons que l’intention qui est émise par le président est une bonne chose. Le texte de loi, quand nous prendrons connaissance du contenu je pense que nous serons plus à l’aise pour juger » indique Ibrahima Ndiaye, directeur de cabinet du chef de file de l’opposition politique.
Haya et consorts visés ?
Si cette loi parle de rébellion, qui fait référence aux groupes armés et à leurs combattants, d’aucuns y voient une façon pour le chef de l’État d’adresser un message à la junte militaire qui a perpétré le coup d’État en 2012 et qui, dernièrement se manifeste bruyamment. C’est le cas d’Abdoul Bah, journaliste « Je pense que, le président en annonçant cette nouvelle loi a voulu faire la part des choses contrairement à ce que beaucoup ne comprennent pas. Les gens pensent que cette loi va cibler uniquement les groupes armés, mais en réalité ce n’est pas ça. Plus on fait une lecture de la situation et des manifestations de la fin d’année, on verra que beaucoup de mouvements se sont manifestés pour la libération des soldats qui sont détenus. Et ce sont, Sanogo et consorts qui sont accusés aujourd’hui d’avoir tué des bérets rouges et donc ayant le sang sur les mains. Pour moi, cette loi les concerne, car les éléments des groupes rebelles qui avaient été arrêtés ont été tous libérés et amnistiés ».
Mais contrairement à Abdoul Bah, pour cet autre observateur, cette loi apparaît comme une « garantie » du régime aux groupes armés pour leur dire qu’ils ne seront pas inquiétés même s’il ne venait pas à remporter la présidentielle de 2018.
En tout cas, le bien-fondé de cette loi reste à prouver quand on sait que la charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale à laquelle le président fait référence pour motiver cette future loi n’a pas été acceptée par les groupes armés. En revanche, l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger prévoit une commission indépendante pour enquêter sur les crimes commis au cours de la rébellion et déterminer qui est coupable et qui ne l’est pas. À ce jour, la mise en place de cette commission attend toujours.
Mohamed Sangoulé Dagnoko : LE COMBAT