L’étude vise à identifier un traitement pour les patients atteints des formes légères et modérées du Covid-19.
Une carte bien faite vaut parfois mieux qu’une longue démonstration. Comme celle qu’affiche le docteur John Amuasi sur son écran d’ordinateur, depuis le centre de recherche où il exerce à Kumasi, la deuxième ville du Ghana. Sur ce planisphère interactif, des bulles vertes signalent en temps réel les essais cliniques conduits à travers le monde pour lutter contre le Covid-19. Elles forment d’étranges constellations, se superposant parfois au point de former de gros paquets au-dessus de régions comme l’Europe, l’Asie ou l’Amérique du Nord. « Mais regardez l’Afrique, soupire le chercheur en pointant de rares confettis luminescents. C’est le seul continent où il ne se passe presque rien. »
Les chiffres ne disent pas autre chose. Mi-septembre, sur les 1 098 études cliniques liées au nouveau coronavirus, seulement 56 étaient menées en Afrique, soit 5 % à peine. Au sein du Centre de recherche collaborative en médecine tropicale de Kumasi (KCCR), le docteur Amuasi et ses équipes vont travailler à corriger ce déficit. Ils ne s’y emploieront pas seuls. Treize pays africains*, dont le Ghana, et un réseau international d’institutions de recherche se sont associés pour lancer un vaste essai sur le traitement des formes légères et modérées de la maladie. L’étude, baptisée Anticov et coordonnée par l’ONG de recherche médicale DNDI, s’est fixé un objectif : identifier un remède qui évite aux patients de voir leur état dégénérer et ainsi prévenir des pics d’hospitalisation en Afrique, où les systèmes de santé sont fragiles et les infrastructures de soins intensifs, limitées.
« Cette étude sera menée par et pour les Africains, c’est important pour l’acceptation des populations, résume le docteur John Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies (Africa CDC). L’Afrique ne doit pas rester les bras croisés pendant que la lutte se prépare ailleurs. Il y a des capacités intellectuelles à mobiliser sur le continent. »
Quête d’expertise
Le KCCR est justement l’un de ces hauts lieux de la recherche biomédicale africaine. Nichée au cœur du campus verdoyant de l’université de Kumasi, cette co-entreprise entre le ministère de la santé ghanéen et l’Institut Bernhard Notch de médecine tropicale de Hambourg (Allemagne) s’est mobilisé dès les prémices de l’épidémie : études, enquêtes, cours en ligne sur le virus à destination du personnel soignant… A l’apparition des premiers cas, en mars, il était aussi l’un des deux seuls laboratoires du Ghana compétents pour analyser les tests du Covid-19, l’autre se trouvant à Accra, la capitale. « Pour répondre aux besoins, le centre tournait vingt-quatre sur vingt-quatre et sept jours sur sept », décrit John Amuasi, devenu dans son pays l’un des visages les plus connus de la bataille contre le Covid-19.
Comme pour les autres membres africains du consortium, l’essai Anticov constitue une nouvelle étape dans cette quête d’expertise. Il a déjà démarré en République démocratique du Congo (RDC) et au Kenya. Pour le Ghana, des patients devraient commencer à être recrutés d’ici janvier 2021, en collaboration avec l’hôpital Komfo Anokye de Kumasi. A l’échelle continentale, la cohorte devrait compter 2 000 à 3 000 patients non hospitalisés, dont quelque 250 au Ghana.
Dans un premier temps, deux traitements doivent être testés : les antirétroviraux lopinavir/ritonavir (LPV/r), d’ordinaire utilisés contre le VIH, et l’antipaludique hydroxychloroquine. L’efficacité de ce médicament, source d’innombrables controverses, n’a pas été prouvée contre les formes graves de la maladie. Mais il demeure prescrit contre le Covid dans de nombreux pays africains comme le Ghana. Et son impact sur les patients présentant des symptômes modérés reste à explorer. Pour autant, ces options thérapeutiques ne sont pas définitives, car l’étude fonctionne comme une « plateforme adaptative ». Autrement dit, de nouveaux traitements pourront être introduits en cours de route et certains produits abandonnés faute de résultats.
Mais le continent africain a-t-il vraiment besoin d’une telle initiative, lui qui semble échapper en partie à la crise sanitaire ? Depuis l’apparition officielle du nouveau coronavirus en Egypte, il y a près de dix mois, le nombre de contaminations (2,32 millions) et de morts dues au Covid (55 265) paraît largement contenu. Au Ghana, « seulement » 326 personnes sont décédées des suites de la maladie. Il semble déjà loin ce temps où l’hôpital de Kumasi craignait de se retrouver débordé. C’était en juillet, les 32 lits de l’unité Covid étaient alors tous occupés. « On a été capables de faire face au pic et depuis, ça a beaucoup réduit. Les patients qui viennent se faire dépister sont bien moins nombreux », décrit le docteur Joseph Bonney, médecin d’urgence à l’hôpital et chercheur pour l’essai Anticov.
Partition singulière
Il n’empêche. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’Africa CDC ne cessent de mettre en garde contre le risque d’une deuxième vague alors que certains pays connaissent une résurgence des contaminations. « Et ce n’est pas qu’une question de mortalité, insiste John Amuasi. L’effet socio-économique du Covid est disproportionné. Si un pays ne fait pas d’effort pour trouver des solutions et s’adapter, il aura à assumer un coût encore plus lourd. »
La partition singulière que joue le coronavirus sur le continent nécessite un surcroît de recherche. « On a besoin de comprendre mieux pourquoi l’épidémiologie en Afrique se déroule un peu différemment. C’est essentiel pour identifier des traitements et des vaccins adaptés à la diversité génétique de notre continent », explique la docteure Oumou Maïga Ascofare, qui représente l’institut de Hambourg, sponsor du KCCR. A en croire cette scientifique malienne, en développant de nouvelles compétences, l’étude Anticov profitera à la recherche sur d’autres maladies autrement plus meurtrières en Afrique, comme le paludisme dont elle est une spécialiste.
Pour les principaux acteurs sanitaires du continent, la question d’un surinvestissement autour du Covid n’a pas lieu d’être. « Nous vivons avec le VIH depuis quarante ans et nous continuons à l’étudier, rappelle John Nkengasong. Ce virus-là est apparu il y a quelques mois seulement et nous ne savons pas comment il va évoluer. Il reste beaucoup à découvrir. »