Le communiqué du Procureur Général près la Cour d’Appel, annonçant les assises du 30 novembre contient beaucoup de zones d’ombre. Les causes de nullité sont autant nombreuses que le verdict semble connu d’avance. D’une affaire de crimes militaires nous nous acheminons vers un procès pour élargir des inculpés.
L’évocation en procédure civile est « un pouvoir reconnu à la Cour d’Appel d’attraire à elle le fond du litige, c’est-à-dire de trancher les points non jugés en première instance, lorsqu’elle se trouve saisie d’un jugement ayant ordonné une mesure d’instruction, d’un jugement ayant mis fin à l’instance sur exception de procédure, d’un contredit de compétence. En toutes circonstances, la Cour doit estimer de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive ». Cela conformément aux articles 89 et 568 du Code de Procédure Civile.
Dans le cas précis, il ne s’agit aucunement d’une procédure civile, mais criminelle. A cet effet, la cour d’assises de Sikasso en sa séance du 30 novembre, si elle se veut ‘’spéciale’’ sera une cour d’assises sans jury, composée de sept magistrats professionnels en première instance et de neuf magistrats en appel ; cela, conformément au Code de procédure pénale qui lui attribue compétence en matière de crimes de droit commun commis par des militaires lorsqu’il existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale (art. 698-7). Or, dans le communiqué du Procureur Général près la Cour d’Appel, il n’est aucunement fait mention de cour d’assises spéciale. Dans l’annonce diffusée par voie de presse il est écrit : « Le Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako informe l’opinion de l’ouverture, le 30 novembre 2016, d’une session d’assises au cours de laquelle sera évoquée (sic) l’affaire Amadou Haya Sanogo et plusieurs autres, accusés d’enlèvement de personnes, assassinat et complicité» Toute évidence qui pourra donner l’occasion aux avocats de la défense d’évoquer une cause de nullité de cette Cour de Sikasso. Cela au regard que c’est bien un tribunal militaire qui doit connaître de tels dossiers.
Quand les poursuivis sont en plein vent
Arrêté le 27 novembre 2013, cela fait bientôt trois ans, jour pour jour, le chef de l’ex junte de Kati, Amadou Aya Sanogo et certains de ses anciens compagnons s’impatientent d’être fixés sur leur sort par la justice malienne. Une situation qui a fini par faire dire à certains que ce procès n’aura jamais lieu, au regard du fait que leur mandat de dépôt a été renouvelé à trois reprises, qu’en matière de procédure pénale, le délai de détention provisoire ne devrait excéder plus de trois ans. Ceux-ci se basaient sur l’article 135 du code de procédure pénale qui dispose qu’ « en matière criminelle, la durée du mandat de dépôt ne peut excéder un an ; toutefois si le maintien en détention provisoire parait nécessaire, le juge d’instruction doit renouveler cette détention par ordonnance spécialement motivée dans les huit jours ouvrables précédant l’expiration du délai ci-dessus spécifié. La prolongation de la détention provisoire peut intervenir chaque année. Cependant, en aucun cas, la détention provisoire de l’inculpé en matière criminelle ne peut excéder 3 ans ». Cet argumentaire fut battu en brèche par les autorités judiciaires actuelles, lesquelles ce sont fondées sur les dispositions de l’article 137. Selon cet article, en cas d’ordonnance de transmission des pièces au Procureur général, les dispositions de l’article 132 sont applicables en ce qui concerne le maintien en détention. Ils stipulent : « L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel met fin à la détention provisoire; toutefois, le prévenu peut être maintenu ou exceptionnellement mis en état de détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal par une ordonnance distincte spécialement motivée prise le même jour que l’ordonnance de renvoi et justifiée par des mesures de sûreté ».
Fort de cette arme juridique, le parquet général a donc coupé court aux supputations selon lesquelles, Amadou Aya Sanogo serait en liberté provisoire, cela à travers un communiqué de presse, annonçant les Assises du 30 novembre prochain.
Cependant l’autre détail qui pourrait amener la défense à faire prévaloir une cause de nullité serait relatif à la comparution de tous les présumés accusés. Or, ils sont nombreux les poursuivis non détenus dans cette affaire, qui vaquent à leurs affaires, exercent de hautes fonctions, bénéficiant même des promotions au sein de l’armée alors qu’en matière pénale, l’hypothèse dans laquelle l’accusé est laissé en liberté dans l’attente de sa comparution est bien prise en compte. En effet selon l’article 215-1 du code de procédure pénale français : « L’ accusé doit se constituer prisonnier au plus tard la veille de l’audience du tribunal d’assises ; l’ordonnance de prise de corps est exécutée si l’accusé ne se présente pas pour l’interrogatoire préalable ou s’est soustrait aux obligations du contrôle judiciaire ». De même, le code de procédure pénal malien est bien précis lorsqu’il s’agit d’une Cour d’Assises. Car l’article 263 dispose que : « Si un accusé refuse de comparaître, sommation lui est faite au nom de la loi, par un agent d’exécution commis à cet effet par le président, et assisté de la force publique. L’agent d’exécution dresse procès-verbal de la sommation et de la réponse de l’accusé. Si l’accusé n’obtempère pas à la sommation, le président peut ordonner qu’il soit amené par la force devant la Cour ». La Cour d’Appel a-t-elle agit en ce sens ?
Une justice à double vitesse
Faut-il le rappeler, la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Bamako, à l’issue de son audience publique en date du 22 décembre 2015, a formellement établi les préventions des crimes d’enlèvement et d’assassinat contre des hommes de main de l’ex junte de Kati, au nombre desquels : Fousseyni Diarra dit Fouss, Mamadou Koné, Tiémoko Adama Diarra, Lassana Singaré, Cheickna Siby et Issa Tangara. Tandis que les gros bonnets de la junte dont : Amadou Aya SANOGO, Bloncoro Samaké Amassongo Dolo, Simeon Keïta, Oumarou Sanogo dit Kif Kif, Soïba Diarra, Christophe Dembélé, Amadou Konaré, Mohamed Issa Ouédraogo, Ibrahim Boua Koné sont accusés de complicité d’enlèvement et d’assassinat.
Quant aux généraux Yamoussa Camara, ministre de la Défense et des Anciens Combattants au moment des faits en 2012, et son Chef d’Etat major des armées, Ibrahim Dahirou Dembélé, ils sont accusés de complicité d’assassinat. Lesquels faits sont prévus et punis par les articles 24, 25, 199, 200 et 240 du Code pénal malien.
A noter qu’ils étaient 28 personnes poursuivies pour des faits d’enlèvement et d’assassinat. Sur lesquels la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Bamako, dans son délibéré du 22 décembre 2015 a prononcé un non lieu en faveur de 10 parmi eux, dont l’ex directeur de la sécurité d’Etat, Sidy Alassane Touré et Sirman Fané (mort en détention). Une décision de non lieu qui sera plus tard annulée. D’autres acteurs de l’affaire dite des ‘’bérets rouges’’ sont morts en détention, au nombre desquels Amassongo Dolo, décédé récemment dans des conditions suspectes.
Mais là ou le bât blesse est le fait que de nombreux acteurs de l’affaire de bérets rouges, ne sont aucunement inquiétés. C’est pourquoi l’on affirme que cette assise constitue un énième spectacle judiciaire de l’ère démocratique du Mali, après les procès crimes de sang et économique. La satisfaction que le peuple en tirera sera le fait que les membres de la junte ont été jugés, que la justice a été rendue pour les parents des 21 bérets rouges disparus. Sinon, pour tous les observateurs, le verdict de ce procès semble connu d’avance : « le capitaine Amadou Haya Sanogo et certains de ses proches compagnons seront condamnés à mort, une peine qui sera commuée en réclusion criminelle à perpétuité, ensuite d’emprisonnement pour un délai court avant la grâce. ».
Moustapha Diawara LE SURSAUT
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