Suite à l’interpellation de l’animateur Mohamed Issouf Bathily dit Ras Bath, le lundi dernier, des milliers de manifestants sont sortis, le mercredi 18 août, jour de son jugement pour demander, pour exiger sa relaxe pure et simple. Une manifestation de soutien qui a tourné à l’émeute ayant entrainé des morts, des blessés graves et des dégâts matériels énormes. Le tout sur fond de jugement reporté. Retour sur ces 48 Heures qui ont fait perdre pied au régime.
Comme chaque lundi, aux environs de 21 heures, Mohamed Issouf Bathily alias Ras Bath doit animer une émission synchronisée sur les antennes de la radio Maliba et du Renouveau FM. Une émission dénommée «Carte sur table». Au cours de cette émission, dans un monologue de plus de 2 heures d’horloge, l’homme s’attaque ouvertement à tout ce qu’il considère comme injustice sociale et de mauvaise gouvernance. Les personnes, même les plus hautes autorités, ne sont pas épargnées. Pour preuve, ce lundi, jour de son arrestation, il s’apprêtait, selon lui, à faire des «révélations» sur le Gouverneur du District de Bamako, la policière Ami Kane, qui initie, en ce moment de crise socio-économique et sécuritaire qu’endurent les Maliens, un programme de déguerpissement des artères de Bamako et sur le Chef d’Etat major des armées, le Général Didier Dakouo. Il n’aura pas l’occasion de le faire au grand dam de ses milliers d’auditeurs déjà scotchés sur les ondes de cette radio. C’est via son compte facebook qu’il annonce son interpellation par les Gendarmes du Camp I. Une annonce qui se rependra comme une traînée de poudre à travers toute la ville de Bamako. Dans la même nuit, de jeunes gens « fans » du rasta se dirigent vers le Camp I pour savoir ce qu’il en est de leur idole. Sur place, les Gendarmes les attendent de pied ferme, armés jusqu’aux dents. Pas moyens de forcer le passage encore moins d’avoir des nouvelles de Ras Bath. Dans la même nuit du lundi, au-delà de minuit, d’autres jeunes prennent la direction de la résidence présidentielle, sise au quartier de Sébénicoro. Ils cassent tout sur leur passage, tout en réclamant haut et fort: «libérez sans condition Ras Bath» et «merde au régime d’IBK».
Le mardi, la tension ne faiblit pas. La question fait la «Une» des journaux et des causeries dans les grins et salons feutrés de Bamako. Décidément, l’homme, qu’il plaise ou déplaise, fait l’objet d’une attention particulière au point de cristalliser l’attention du tout Bamako. Malgré qu’il soit interpellé et aux mains des gendarmes, son compte facebook, lui, n’était pas muet. Il annonce son jugement pour le mercredi 17 août au Tribunal de la Commune IV. Les motifs de son arrestation, restés jusque là flous, sont révélés par son Avocat, Me Malik Ibrahim. Il évoque comme chef d’accusations, des cas d’ «injures publiques à caractère sexuel». Directement, d’aucuns lient son arrestation à l’altercation verbale et très violente qu’il a eu avec le prêcheur Bandiougou Doumbouya. Mais, selon certains observateurs avertis de la scène politique, sécuritaire et socio-économiques du pays, les vrais sont ailleurs: « C’est pour avoir égratigné le PM Modibo Kéïta suite à une mission à Alger ; le Chef d’Etat major général des Armées et promis de faire des révélations sur la mauvaise gestion de l’Armée et sur l’actuel Gouverneur de Bamako, Mme Amy Kane,… », apprend-on de ces derniers.
Le jour où tout bascula
Via son compte faceebook, Ras Baht avait invité la jeunesse à sortir massivement pour le soutenir devant les tribunaux ce mercredi 17 août. Un appel qui a certainement dépassé ses propres espérances. Car, en plus de la jeunesse, des vieilles personnes (hommes et femmes) se sont massivement mobilisées et même des adolescents étaient au rendez vous ce mercredi. Pour un jugement prévu à 9H30 comme annoncé par lui-même, la foule avait envahi le Tribunal et ses alentours déjà à partir de 7 heures du matin. Plus l’heure du jugement approchait plus la foule augmentait. Contrairement pour faire un soutien pacifique comme aurait souhaité l’interpellé, cette foule de supporteurs, avait par ne plus vouloir entendre parler de jugement, mais qu’il soit libérer purement et simplement. Une posture qui ne tarda pas a envenimé la situation. Les policiers, aux aguets dans les alentours du Tribunal sont vite envahis. Ce qui leur obligera à abandonner armes et bagages sur place (véhicules, caisses de gaz lacrymogènes, casques, ceinturons, matraques, fusils ) pour disparaitre dans la nature. Et, c’est en ces moments qu’ont commencé les saccages et l’incendie. Les véhicules de la police ainsi que pour certains particulier dont une voiture des Avocats de Ras Bath sont incendiés. Les renforts arrivent, les tirs de gaz lacrymogènes sont répondus par des jets de pierres (Révolution intifada au cœur de Bamako au lieu du Nord ou au centre du pays où servissent les terroristes). Des tirs de sommations puis des balles réelles.
Un affrontement entre partisans et forces de l’ordre qui va occasionner la mort de deux manifestants et de nombreux blessés. La photo des morts est aussitôt exhibée sur les réseaux sociaux. La manifestation gagne en intensité. Les policiers repoussent les manifestants jusque dans les quartiers d’Hamdallaye, Lafiabougou et Hamdallaye ACI. Routes barrées, pneus brûlés, des pierres partout. Est triste le tableau qui se dressa après le retour d’une certaine accalmie. Donc, au finish, Il n’y a pas eu de jugement.
Réseaux sociaux censurés
Après la dispersion de la foule, les réseaux sociaux dont facebook prennent le relai. Les commentaires et les réactions incriminant le régime sont plus acerbes les uns que les autres. Les « pour » et les « contre » de la manifestation s’attaquent à coups d’arguments. Assez nombreux, les « pour » étouffent vite la voix des autres. Alors, comme sur une autoroute ils foncent à vive allure sur le régime. Suffisant pour mettre le régime aux abois. En début de soirée, les réseaux sociaux sont bloqués. « Un acte qui rappelle les systèmes dictatoriaux », nous souffle un internaute. Les internautes les plus avertis volent aux secours des autres leur proposant des solutions de contournement qui ont pour noms : cyberghost, psiphon, UC Browser, etc. Le remède est bon, les quelques uns qui ont essayé reviennent vite sur les réseaux sociaux dont faceboook. Cette fois-ci, il n’y a plus personne pour défendre le régime, tous sans exception s’attaquent à IBK et dénonce cette façon maladroite de gérer un problème qui n’aurait pas dû en être un s’il avait été géré avec intelligence et tact. D’une partie de la jeunesse, le gouvernement venait de se mettre à dos toute la jeunesse et tous ceux qui jurent par la « liberté d’expression ». Au moment de rédiger ces lignes, la censure était de mise. Que nous réserve la suite de ce feuilleton « Ras Bath » ? Si on en sait pas trop grand-chose, une chose est sure : «Ce régime vient malgré lui de créer un héros qui est parti de zéro».
Mohamed Dagnoko : LE COMBAT